Jean Harnois

par Philippe Houdart, AFCF

La Lettre AFC n°113

Je sortais tout juste de l’école de Vaugirard, il était l’un des premiers professionnels que je côtoyais. J’étais bien sûr impressionné comme nous l’avons tous été par nos premières rencontres, impressionné mais aussi séduit par le mélange de sérieux et de simplicité, de concentration et de disponibilité dont il faisait preuve. Ce tournage ne dura que quelques jours, mais il fut le point de départ d’une amitié professionnelle qui ne devait que s’affermir au long des années.

Je qualifie cette amitié de " professionnelle " car elle était toujours liée au métier, que ce soit sur les plateaux, au syndicat ou plus tard à l’AFCP devenue AFCF. Cela n’enlève rien à sa valeur, sa fidélité et sa sincérité.
Nos chemins se sont souvent croisés, parfois par hasard, parfois parce que Jean avait demandé à m’avoir comme assistant à ses côtés, comme avec Sven Nykvist et Sacha Vierny. A chaque fois, travailler avec Jean a été un vrai plaisir. Cette disponibilité qui m’avait impressionné à notre première rencontre, je l’ai toujours retrouvée. Que ce soit sur une pub, un court métrage, avec Luis Buñuel ou Peter Brook, il était attentif aux autres, à son réalisateur bien sûr, mais aussi à tous les techniciens et ouvriers qui l’entouraient sur le plateau. Il travaillait pour le réalisateur mais avec le directeur de la photographie, avec les assistants caméra, avec les machinistes, comme un rouage, certes important, indispensable, mais un rouage d’une machine complexe qui s’appelle tournage.

Ce métier, il le vivait avec passion et cette passion, il savait la transmettre. C’est entre autres pour cela qu’il a été un des fondateurs et pendant longtemps le Président de l’association des cadreurs. Parce qu’il aimait ce métier et qu’il le voyait disparaître de certains plateaux, il voulait le défendre. « Pas pour moi », disait-il, « Ma carrière, je l’ai faite. Mais pour ceux qui viennent derrière ; ceux qui veulent continuer à faire de ce métier, le métier de leur vie et non pas un simple passage plus ou moins obligé ». Il avait envie que d’autres prennent la relève et était très sensible au fait que certains, comme moi d’ailleurs, considèrent le métier de cadreur comme une fin en soi, comme un aboutissement au plaisir professionnel.

Jean restera un des rares techniciens que j’ai rencontré qui était toujours intéressé par le futur, le futur des techniques bien sûr, mais aussi et surtout celui des " nouvelles générations " qu’il côtoyait sur les tournages. Combien de fois, je l’ai entendu vanter les qualités de tel ou telle avec lesquels il avait eu récemment l’occasion de travailler. Il avait une capacité d’enthousiasme que l’on ressentait et qui participait à la chaleur des rapports qu’il savait créer sur les plateaux. Et puis il y avait son humour, parfois caustique, ce côté " pince sans rire ", le sourire narquois sous la moustache qui resteront à jamais présents dans nos mémoires.
C’est de ce sourire, de sa bonne humeur, de son amour des plaisirs partagés autour d’une bonne table, que nous devons nous souvenir. Les films, eux, seront toujours là pour nous aider à ne pas oublier le grand professionnel qu’il fut.