"L’AFC doit davantage faire entendre sa position", un entretien avec Rémy Chevrin

"Le Film français", vendredi 25 mai 2012

par Rémy Chevrin

En mars dernier, l’Association française des directeurs de la photographie d’images cinématographiques renouvelait son bureau. Après trois mandats successifs à la tête de l’AFC, Caroline Champetier laissait sa place à un triumvirat composé de Matthieu Poirot-Delpech, Michel Abramowicz et Rémy Chevrin. Rencontre avec l’un des trois présidents, par ailleurs membre du jury de la Caméra d’or cette année au Festival de Cannes.

Pourquoi l’AFC a-t-elle aujourd’hui trois co-présidents ?

L’ensemble des activités de l’AFC a sérieusement augmenté ces dernières années, nous fonctionnions un peu à flux tendu, notamment lorsqu’il fallait réagir à des événements précis, telle la faillite de Quinta. Il faut d’ailleurs saluer le travail de Caroline Champetier et des membres de l’AFC qui ont très vite réagi autour du drame qui se nouait. Le mandat de Caroline a été placé sous la réalité tangible provoquée par les bouleversements du numérique – aussi bien dans la diffusion que dans l’évolution des outils de tournage. En l’espace de trois ans, nous sommes passés de 20% à 80% des tournages qui se font actuellement en numérique. Cette présidence à trois permet également que les responsabilités puissent continuer à être prises lorsque l’un d’entre nous est en tournage.

Sur quels dossiers souhaitez-vous avancer ?

L’AFC doit davantage faire entendre sa position, qui est de défendre l’intégrité et le respect de l’œuvre, ainsi que le respect du spectateur. Nous ne voulons pas nous substituer aux syndicats ou aux institutions qui portent ces luttes.
Sur le dossier de la Convention collective, nous avons pris position car il fallait réagir vite : comme les réalisateurs de la SRF, en tant que directeurs de la photo, nous refusons cette zone de non-droit qui existe actuellement dans nos métiers. Aussi l’AFC se réjouit de la signature de la convention portée par l’API, même si le texte représente un genre de films qui n’est pas la majorité de ceux produits en France. Qu’il y ait une convention collective pour l’ensemble des salariés, c’est une base de travail actée. Dès lors, la variable d’ajustement que sont les salaires sur le financement de films fragiles existe mais elle n’est plus si gigantesque. Cela régule les méthodes de financement.

D’autres sujets sensibles sont à votre agenda ?

Nous resterons vigilants sur le sujet des écrans métallisés qui est en cours. Nous travaillerons également à préserver le savoir-faire des réalisateurs sur le support argentique. En aucun cas la messe est dite sur l’argentique. À l’AFC, nous devons faire en sorte de poursuivre cette transmission. Il faut garder la mémoire de l’argentique comme on garde la mémoire de la peinture.
Au sein d’Imago, la fédération des associations de directeurs de la photo, il existe un mouvement qui tente de faire du lobbying pour que l’argentique devienne un patrimoine de l’humanité, ce qui nous semble juste. Le négatif fait partie de l’histoire de l’art et de l’histoire de la captation d’une image. Ne faisons pas l’erreur de nous en apercevoir trop tard. D’autant que pour l’heure nous n’avons pas encore prouvé, d’un point de vue technologique, que le numérique soit de meilleure qualité.

Outre un plus grand soutien envers les industries techniques et les techniciens, nous réfléchissons à l’édition 2013 du Micro Salon qui va sans doute changer. Nous souhaitons y proposer encore plus de contenu et à en étendre la durée. Nous nous apercevons que les gens sont très en demande de voir du matériel et de comprendre à quoi il sert, donc de voir des images en se demandant comment on les fabrique. La fémis, où se tient la manifestation, est prête à nous écouter et nous nous concertons avec nos partenaires.

Justement, parmi vos partenaires, on compte des fabricants de pellicule comme Kodak dont on peut questionner l’avenir économique !

L’AFC soutient Kodak, qui a encore un vrai rôle à jouer. Kodak, c’est avant tout la transmission de l’image et des couleurs. D’autant qu’ils ont d’autres outils que la positive et la négative. Ils ont un vrai savoir-faire sur l’image. Il existe encore plein de projets. Ceci étant dit, la composition de nos partenaires évolue. Nous en avons de nouveaux : des sociétés davantage liées à l’étalonnage…

Un membre de l’AFC participe chaque année au jury de la Caméra d’or. Qu’apportez-vous, en tant que directeur de la photo de cinéma, à ce jury ?

Ma place au sein du jury n’est en aucun cas celle d’un directeur de la photo qui défendrait simplement une belle image. C’est celle d’un spectateur lambda – mais pas si lambda que ça – qui, avec sa propre sensibilité, dira : « C’est plutôt ce film-là qui me touche et doit avoir la Caméra d’or. »

Propos recueillis par Anne-Laure Bell, publiés dans Le Film français du 25 mai 2012 et reproduits avec son aimable autorisation
En vignette, Rémy Chevrin sur la Terrasse Fujifilm - Cannes 2012 / Photo M Demy