L’EST réalise les effets visuels du film " Indigènes "

entretien paru dans " le technicien du film "

La Lettre AFC n°155

En quoi a consisté votre travail sur Indigènes  ?
Le travail de L’E.S.T sur indigènes représente au total 60 plans truqués plus les effets graphiques de chaque chapitre et du générique de début. Ce qui représente deux mois de présence sur le tournage (Maroc, Vosges, Provence), plus de six mois de postproduction à L’E.S.T., et plus d’un an entre le début de la prépa et la fin des effets.

Quelles ont été les principales méthodes employées ?
La plupart des trucages a fait appel à la méthode du compositing 2D.
Cette technique nous a permis par exemple de multiplier ou ajouter des soldats ou des explosions (lors de la bataille de Monte Cassino). On a aussi réalisé quelque matte Painting 2D comme l’ajout de chaînes de montagnes an arrière-plan ou d’éléments champêtres pour donner un côté un peu plus italien au décor marocain.
Mais la plus grosse partie du travail en compositing s’est effectuée en collaboration directe avec les effets pyrotechniques de plateau, afin de les amplifier ou de les finaliser. Des effets numériques qui se doivent d’être à la fois invisibles, réalistes, et violents sans influencer la matière tournée en direct.

Quels types d’effets en particulier dans cette catégorie ?
On a par exemple réalisé des compositings multipasses pour l’explosion de comédiens (une passe comédie, une passe mannequin raccord qui explose), pour des décors qui explosent proche des comédiens (une passe comédie, une passe explosion du décor).
Dans cette gamme d’effets, je peux citer notamment le plan de la mule chargée de munitions qui explose au milieu d’une clairière minée. Au final la fabrication de ce plan aura nécessité pour son compositing 6 couches tournées - mule réelle et comédiens, explosion mule SFX, explosion mine, figuration arrière plan, débris mule explosée, fond vide... Avec au tournage l’utilisation d’une mixette vidéo permettant une prévisualisation des trucages en direct vu le nombre important d’éléments raccords.
Il a également fallu parfois rajouter des flammes de tirs d’armes à feu ou de nombreuses balles traçantes notamment pour créer et matérialiser à l’image la présence ennemie. Ces rajouts renforcent aussi la menace de certaines armes comme les mitrailleuses - notamment dans la séquence de la clairière sombre où tous les tirs allemands sont fabriqués en postprod.
Enfin, on s’est aussi appliqué à rajouter des impacts de balles sur les comédiens ou sur les décors. A ce sujet, la séquence de siège du hameau dans laquelle Samy Naceri, à travers une fenêtre, combat une mitrailleuse allemande est un bon exemple de combinaison postprod de balles traçantes, flammes de tir et impacts sur les volets de la fenêtre qui explosent.
Quelques plans ont fait appel à de la 3D, comme la recréation de l’armada d’avions dans le ciel de Provence (SuperMarine Spitfire de la Task Force),
Ou celui concernant une roquette qui explose le lavoir du hameau dans lequel les protagonistes sont assiégés à la fin (l’explosion du lavoir est tournée en réel, nous avons ajouté une roquette synchrone en 3D).
Tout ça sans oublier les effets de montage associés aux retimings, les effacements d’éléments modernes, ou l’amélioration des nuits américaines...

Vous avez passé beaucoup de temps sur le tournage, pouvez-vous nous décrire votre rôle lors de cette étape ?
Comme à chaque fois certains effets étaient prévus dès la prépa (les tournages multipasses, les objets 3D et les matte-paintings). Pour ces plans, mon travail sur le plateau était simplement d’aider la mise en scène dans ses choix tout en respectant le cahier des charges technique. Mais on savait aussi qu’il allait falloir rajouter des explosions, des balles et/ou des impacts, etc. Cela était difficilement paramétrable avant le tournage car ces effets numériques dépendaient largement des manques et/ou des caractéristiques des effets directs.
On avait donc prévu au plan de travail avec la mise en scène, l’équipe image et les Versaillais (l’équipe chargée des effets pyrotechniques) de tourner pendant 4 jours des " kits " de tous les éléments possibles à rajouter en postproduction. Avec, au final, plus de 20 000 images scannées depuis ces " kits " pour la fabrication de trucages. Mon rôle était donc d’anticiper dans quels plans et comment ces images allaient être utilisés. En tout j’ai passé 2 mois avec l’équipe de tournage à vérifier les rushes, réaliser les comptes-rendus de tournage (relevé des positions et coordonnées caméra et des focales, informations précieuses pour l’organisation du tournage des " kits ", etc.) et anticiper les trucages en fonction de ce que pouvait me dire Rachid.

Comment s’est passée la collaboration avec l’équipe des effets spéciaux pyrotechniques ?
Les Versaillais et L’E.S.T ont été impliqués très en amont du tournage du film, donc très tôt nous avons pu déterminer précisément les effets numériques, les effets en direct et les effets en direct à tourner pour les effets numériques. Chaque élément fabriqué pour les trucages numériques était élaboré en accord avec L’E.S.T., comme la mule et le mannequin qui explosent, les " panzerfausts " dont jaillissent des roquettes, etc...
Pour les " kits ", tout était préparé d’avance. Pour les explosions au Maroc, des trous spécifiques ont été aménagés, les explosions se faisaient à la demande en variant les dosages de poudre et les éléments constituant l’explosion (fumée, pas de fumée, différentes sortes de débris, variation des poudres flash qui forme la flamme etc.). Les Versaillais ont pris le temps de m’expliquer de quoi étaient composés les effets et dans quelle mesure on pouvait les modifier en transformant tel ou tel paramètre, ce qui nous a permis de prendre ensemble la décision de ce qui allaient être opéré. Au final, une vingtaine d’explosions ont été filmées pour approximativement le même nombre rajouté en postproduction dans le film.

Vous avez évoqué aussi un tournage dans les Vosges...
Les " kits " des impacts opérés dans les Vosges se divisaient en trois groupes, les impacts au sol (terre, pierre, poussière) projetés par des valves à air comprimé, et opérés sur fond d’extraction. Les impacts sur le décor. Des échantillons des différentes façades (bois, plâtre, béton, etc.) étaient agencés prêt à exploser. Puis les impacts sur les comédiens, avec les différents costumes (goumier, tirailleur, allemand) avec ou sans sang, avec ou sans poussière, etc., également agencés prêts à exploser. Nous avons tourné tout ça soit sur fond d’extraction soit sur fond noir dans différents axes. On a également tourné des poussières, des fumées, des étincelles... Pour les flammes de tir, nous avons filmé des flammes de toutes les armes utilisées dans le film (9 sortes) dans différents axes sur fond noir.
Les Versaillais ont vraiment été très disponibles et j’ai eu la chance de pouvoir obtenir des images des tous les éléments nécessaires pour la postproduction du film.

Et concernant l’équipe image ?
Dans la mesure où la grande majorité des éléments servant à la fabrication des trucages étaient filmés, j’étais très dépendant de Patrick Blossier et son équipe. Dès la prépa nous avons souhaité pouvoir collaborer avec une seconde équipe pour tourner les kits. C’est Jérôme Almeras qui était le chef opérateur seconde équipe.
Pour les éléments filmés, nous avons communiqué un descriptif technique VFX à Patrick Blossier et son équipe, dans lequel chaque plan truqué envisagé était décrit et quelles étaient nos requêtes lors de son tournage (fixe, un axe ou plus, nombre de passes, nécessité de tourner un kit spécifique, trackers, fond d’extraction, trucage 2d ou 3d etc.). Le choix artistique du tournage en 35 Scope (prise de vue anamorphique) rajoutant pour nous à la complexité du travail, et nécessitant une plus grande précision qu’en Super 35.

Comment s’est déroulée la postproduction ?
Le travail s’est effectué avec l’aide d’une dizaine de graphistes. Des stations légères mac et pc, compositing majoritairement sur After Effects, la 3D sur XSI. Par souci d’homogénéité des effets, la répartition des trucages s’est faite surtout par type d’effet au sein des séquences. Un graphiste était en charge des balles traçantes dans une séquence, un autre des explosions, etc. Les plans étaient visionnés sur un player 2K temps réel à L’EST puis une fois insérés dans le montage étaient validés ou modifiés par Rachid Bouchareb et Yannick Kergoat. L’ultime validation étant l’étalonnage numérique avec Rachid et Patrick sur Lustre à Eclair (étalonnage numérique en 2K).
Une chose importante pour moi était surtout de bien mettre à disposition de chaque graphiste la totalité des images que nous avions tournées pour la fabrication des trucages. Ces images leur étaient destinées, j’ai donc mis en place une base de données HTML permettant de visualiser en QuickTime ces images de " kits " et éléments pour trucage classés par genre. Cette base de données leur indiquait aussi le chemin pour aller chercher ces images scannées en 2K (Scope anamorphique) sur le serveur. Comme cela chaque graphiste pouvait prendre connaissance des images à sa disposition et les utiliser simplement.
Cette base de données a aussi servi à mettre à disposition des graphistes une multitude d’images d’archives pouvant servir comme références aussi bien historiques que graphiques. On n’y trouvait des images documentaires issues de La Guerre en couleur, ou L’Anthologie de la seconde guerre mondiale... J’y ai rajouté aussi quelques images de fictions comme Le Soldat Ryan, La Ligne rouge, Band of Brothers, Le Jour le plus long, etc. Ces images nous ont été très utiles notamment pour les balles traçantes. Ce qui est bien, c’est que pour un sujet comme celui-ci on ne risque pas d’être frustré sur la quantité !

Que retenez-vous de cette expérience ?
Le tournage d’Indigènes a été dur, physiquement et parfois humainement mais enrichissant. Lors de la postproduction, j’ai pris beaucoup de plaisir, la collaboration avec Yannick et Rachid a été amicale, dynamique et riche. Je pense que les films de guerre sont toujours un peu à part du fait de ce qu’ils génèrent au tournage et de ce qu’ils relatent. Le chaos n’est jamais très loin, devant ou derrière la caméra. Sinon je pense que c’est un film fondamentalement utile et œcuménique.