L’Échange des princesses

C’est après avoir vu Dans les forêts de Sibérie, de Safy Nebbou, que Marc Dugain m’appelle afin de savoir si je suis libre pour l’accompagner avec une caméra sur son Echange des princesses. Etonnant de savoir que c’est grâce à un film, dont l’action se déroule entre la glace et la neige, que je me retrouve finalement dans les coulisses obscures de châteaux, à des milliers de kilomètres d’une petite cabane du Baïkal.

Du blanc au noir…
Si la grande Histoire de France, retranscrite par Chantal Thomas, se déroule entre Versailles et l’Espagne, nous tournons L’Echange des princesses, de Marc Dugain, entièrement entre la Wallonie et les Flandres ! Ce qui aurait pu être une très mauvaise histoire belge pour un directeur de la photographie devient, dès les premiers repérages, un véritable pari.

Finalement, je crois sincèrement que les quelques jardins à la française de Wallonie, l’unique réplique d’un escalier en marbre du château de Versailles en plein cœur de Bruxelles et un château flamand, dont l’inspiration espagnole ne fait aucun doute, aident Marc à se focaliser lors de son immersion à l’intérieur d’une histoire, dont les enfants sont à la fois l’objet et le sujet.

Marc choisit le classicisme et l’élégance dans son écriture cinématographique, en contrepoint à l’histoire sombre que son film révèle. Une véritable attention sur la profondeur des noirs est accordée dans un film où la part de l’ombre prend souvent le pas sur les fastes et les apparats de la royauté. Si Le Caravage, Rembrandt, Vermeer et Gainsborough sont convoqués dans mon carnet de tournage, le peintre Soulages s’invite logiquement entre les pages pour me rappeler la petite touche de noir qui accompagne des enfants que les grands de ce monde manipulent et que Marc choisit de filmer en restant à leur hauteur.

Nous avons choisi le format 2,40 sphérique en optant pour des optiques 70 mm car le travail sur l’absence de profondeur de champ nous intéresse tout autant que le modelé, la douceur et le piqué des objectifs.
La lumière que je choisis de faire avec Vincent Piette – immense chef électricien – est parfois brutale quand elle surgit de très grandes fenêtres de châteaux. Rien à voir avec cette lumière enveloppante que certains peintres pompiers essaient parfois de nous raconter.

Impossible de refermer cette aventure cinématographique dans laquelle j’ai aimé m’abandonner sans avoir une immense pensée pour celui qui fut à l’origine de ma vocation : mon père, dont j’appris le décès le premier jour de tournage, après une partie de chasse à cour.

Je me souviens… C’est ce même soir que j’accompagne la petite tache du peintre par des mots de son auteur : « Le noir avait tout envahi, à tel point que c’était comme s’il n’existait plus… Un art sans présence, n’est-ce pas de la décoration ? Lorsqu’on y réfléchit, le noir est fondamental dans l’histoire de la peinture. Il y a trois cent quarante siècles, des hommes sont descendus peindre dans l’obscurité totale des grottes et peindre avec du noir […] » (Pierre Soulages)

Dans le portfolio ci-dessous, quelques pages du carnet tenu par Gilles Porte tout au long du tournage de L’Echange des princesses, suivies de photogrammes extraits du film.

Équipe

Chef électricien : Vincent Piette
Assistants opérateurs : Olivier Servais, Fanny Chausson, Leonor Lacroix, Amandine Mahieu
Chef machiniste : Renaud Anciaux
Opérateur Steadicam : Yvan Coene

Technique

Matériel caméra et lumière : Panavision Wallonie (Sony F65, optiques Primo 70 mm)