L’Ethique du masque

par Charlie Van Damme

par Charlie Van Damme La Lettre AFC n°139

L’Ethique du masque par Charlie Van Damme
La prise de vues est au centre du dispositif cinématographique : on peut imaginer un film sans son, sans acteurs, sans récit même, mais pas un film sans images. Et c’est le geste du photographe qui est le geste fondateur de toute pratique cinématographique. A partir de ce geste-là, je vais aborder la question du masque, et au-delà, à partir de ma pratique de directeur de la photographie.

Nous avons tous vécu ce moment, face à l’objectif et au photographe, conscient d’être regardé. C’est inévitable, on éprouve un malaise plus ou moins accentué, on se sent " en représentation ". Alors, on se compose une attitude, involontairement presque, comme si l’on avait peur d’être mis à nu, comme si l’on voulait se dérober, se cacher derrière un masque. Les possibilités de dérobade sont multiples mais en général extrêmement conventionnelles : l’éclat de rire, la grimace, le sourire figé, la fuite dans une posture inspirée, l’imitation d’un cliché de beauté, de virilité, de féminité, d’intelligence, de sérénité...
Mais pourquoi chercher à se masquer face à un geste devenu si banal ? Bien sûr, on peut de la sorte chercher à éviter une blessure narcissique : on a rarement le sentiment d’être à son avantage sur une photo, si traîtreusement ressemblante. On supporte bizarrement mieux son image dans un miroir, comme si la photo révélait ce qui, dans le miroir, n’était pas visible, ou du moins pas d’une manière aussi flagrante. Mais il y a plus : cette photo risque fort d’être vue par d’autres, et c’est bien le regard des autres que nous appréhendons et le jugement que l’on portera sur nous, via cette image, sans que l’on puisse se défendre. Celui qui détient notre image aurait-il donc un pouvoir sur nous ? Survivance d’une pensée magique ? Pas du tout : notre législation prévoit depuis quelques années que l’on puisse contrôler l’usage public des images photographiques nous représentant. C’est un droit moral avant d’être une affaire de gros sous.

Il a fallu du temps pour que l’on prenne conscience du pouvoir de la photographie. Au début du XXe siècle, on se livrait encore en toute candeur au regard du photographe : observons à la loupe ces images de foules, immobiles face à la caméra pour éviter le flou du " bougé " : nulle trace de gêne, nulle trace de masque. Aujourd’hui, on a appris à s’en méfier. On peut craindre des utilisations volontairement malveillantes, mais ce n’est pas cela qui m’intéresse ici. On sait confusément que la photographie n’est jamais neutre, jamais objective, même la photographie de style documentaire, même la plus élémentaire photo de vacances ; que la photo n’est pas la copie conforme, l’analogon parfait ou le clone du sujet. Elle est un regard, un point de vue particulier sur le sujet. Une interprétation. Elle n’est pas la vérité, le tout du sujet, elle est au mieux une vérité, toujours partielle. Elle transforme, voire déforme, selon. C’est ce que la photo pourrait " dire " de nous que nous voulons masquer, en nous masquant nous-mêmes. Aussi, le travail du photographe de qualité consiste-t-il pour une part importante à nous faire accepter de laisser transparaître une certaine vérité de nous. Ce travail s’apparente à ce qu’en fiction, nous appelons la direction d’acteur. Et plus qu’en fiction, cela peut déraper vers la manipulation, l’abus de pouvoir, à moins que nous ayons un contrôle suffisant sur nous-même - c’est le travail que font certains personnages publics - pour imposer au photographe un masque valorisant. Dans ce cas, nous sommes dans la posture du comédien : nous jouons. Et il ne s’agit plus de dérobade, mais d’action volontaire et consciente : la création d’un personnage.

Pour Serge Daney, la condition sine qua non pour qu’il y ait image est l’altérité. Cette altérité fonctionne en triangle : le sujet photographié, le photographe, et enfin ceux à qui la photo va être montrée. Pour que la photo offre un minimum d’intérêts, il faut qu’elle nous révèle quelque chose de particulier au sujet que nous n’aurions pas vu nous-même ou à quoi nous n’aurions pas été sensibles sans le talent du photographe. La première étape, pour le photographe, est d’être sensible à ce quelque chose. Ensuite, il lui faut mettre en œuvre toute une procédure - l’approche du sujet, le choix du cadrage, de la distance, de l’objectif, du diaphragme, du temps de pose, du fameux instant déclic cher à Cartier Bresson - pour donner à la photo " la forme " la plus appropriée qui exprimera son point de vue sensible. C’est dans cette mise en œuvre que réside son talent. Ce n’est donc pas le sujet en soi qui détermine le sens de la photographie mais la manière dont le sujet a été photographié, c’est-à-dire in fine la forme, le style qui fait sens. Le formalisme - ou l’esthétisme -, c’est une forme qui ne parle plus que d’elle-même, qui masque le sujet.
Lorsque nous regardons une photo, l’émotion que nous éprouvons agit sur la connaissance et l’appréciation que nous avons du sujet, en bien ou en mal. Et cela peut avoir des effets sur le sujet : la photo crée du lien. La qualité de ce lien est déterminée par le style du photographe et cela engage sa responsabilité sur le plan éthique. Tel est à mon avis le sens de la phrase attribuée à Jean-Luc Godard : « Un travelling est une affaire de morale ».
Aucun paramètre stylistique pris isolément ne suffit à caractériser un style, pas plus qu’il ne peut être associé d’une manière univoque à une position éthique. En soi, l’usage de tel ou tel objectif ne fait pas sens. C’est comment l’ensemble des paramètres fonctionnent les uns par rapport aux autres qui peut être significatif, pour autant que j’aie une conscience forte de la nature de l’émotion que l’image suscite en moi.

On peut à mon sens extrapoler cette manière d’envisager la photographie documentaire - et le portrait - vers le cinéma documentaire, en prenant en compte ce qui est propre au cinéma : le plan dans sa durée, le montage, le son, etc. Tous deux fonctionnent comme des " peintures d’après modèle ". En fiction aussi il y a modèle, en ce sens qu’il est difficile d’imaginer une fiction sans relation aucune avec la réalité de nos vies, y compris en ce qu’elles ont d’immatériel tels les émotions et les sentiments, les rêves, les souvenirs, les espoirs, les craintes, les aspirations. En ce sens aussi que la fiction ne peut nous parler de ce qui s’est passé, aurait pu se passer, maintenant ou plus tard. Et, comme dans le documentaire, nous avons altérité et création de lien dans une relation triangulaire sujet-auteur-spectateur, ce qui pose les mêmes questions éthiques. Mais alors que, dans le documentaire, on devrait avoir la conviction que ce que l’on voit sur l’écran appartient au réel et être en la mesure de déceler d’éventuelles falsifications, il faut qu’en fiction on soit certain que les événements sont des constructions artificielles sans conséquences pour les protagonistes, quand bien même tout nous semblerait vraisemblable. C’est la condition sine qua non pour qu’agisse ce qu’Aristote appelle dans la Katharsis auprès des spectateurs, pour qu’il y ait en somme cette sorte de distanciation nécessaire à ce que l’émotion ne soit pas réduite à des manifestations neurovégétatives et pulsionnelles mais accède aux sentiments, de la conscience et de l’intelligence. Dans La République, Platon fustige ceux qui créent des situations d’énonciations illusoires venant doubler le réel et prétendant se donner pour vrai. Cela concerne aussi le documentaire, qui ne doit pas être un double illusoire du réel mais un point de vue, un regard, une réflexion sur le réel. Cette question est d’importance, en particulier dans le cinéma ou l’effet de réalité des images et des sons aidant, les mécanismes de projection-identification sont sensiblement plus opérants qu’au théâtre, de sorte que l’on peut vivre le temps de la projection comme un moment de la réalité. Lorsque cela se produit, je dirais que la fiction se propose à nous travestie, masquée. C’est bien ce questionnement là qui préoccupait Bertold Brecht, défenseur d’un théâtre épique fondé sur la distanciation, l’effet d’étrangeté ou dépaysement (Verfremdungseffect). Plus proche de nous, il y a Guy Debord avec sa critique radicale de la « société de spectacle ». Questionnement qu’il faut sans cesse réactiver.

Au centre de cette préoccupation se trouve le comédien. La question est connue : faut-il que le comédien éprouve ou vive véritablement les émotions du personnage, faut-il qu’il y ait confusion, identité entre le comédien et le personnage ? Diderot répond par la négative dans le « Paradoxe sur le Comédien » et cela peut sembler une évidence : que ferait le comédien sinon, lorsque le personnage est sensé mourir à la fin de la représentation ou du film ? Oui... sauf que le style de jeu dominant depuis un bon demi-siècle est de type réaliste, hyperréaliste pourrait-on dire, en particulier au cinéma. L’école d’interprétation dramatique de l’Actor’s Studio préconise d’ailleurs que le comédien aille jusqu’à faire l’expérience la plus réelle possible des situations vécues par le personnage pour mieux les représenter - ou les vivre ? - sur scène. Et parfois, sur les plateaux, les scènes sont réellement vécues. Il arrive que l’on obtienne de l’acteur qu’il soit ivre pour jouer l’ivresse, défoncé pour jouer la défonce, ou que le désir et l’acte soient en réel dans une scène d’amour. Si ça ne marche pas, on fait appel à des pros du porno. Comme si l’on voulait faire la preuve par la pénétration - visible - que tout est réel. N’y aurait-il pas là dangereuse confusion des genres ? Pour qu’on soit dans le registre de la fiction, il faut donc que le comédien et le personnage soient deux personnes distinctes auxquelles on est alternativement confronté sur le plateau. On s’adresse au comédien par son nom (et pas par celui de son personnage !) et on parle avec lui du personnage qui est " un autre ", avec sa vie propre : « Que penses-tu qu’il ferait dans cette situation ? »

Le personnage résulte d’une construction par le comédien, guidé en cela par le metteur en scène, aidé par la costumière, le maquilleur, le directeur de la photographie parfois. Ça n’a rien de naturel. Lorsque le comédien se met à jouer, il cesse d’apparaître tel qu’il est intimement pour revêtir le masque du personnage pour que, seul, ce dernier apparaisse à l’écran. Et juste après la prise, en quelques secondes, il est à nouveau lui-même, pour pouvoir faire sereinement le commentaire critique du personnage qu’il vient de représenter et éventuellement corriger le tir. C’est un travail qui implique conscience et lucidité, en permanence. Il faut notamment qu’il puisse être le spectateur critique du personnage qu’il fait vivre, tout en jouant. Il faut qu’il y ait masque, sans quoi il y aurait intrusion d’éléments de réalité dans la fiction. Et il le faut aussi pour que le comédien puisse se protéger, autrement, il deviendrait fou de devoir être réellement tous ces " autres ". Sinon lui serait-il encore possible d’être lui-même ? Mais pour construire ce masque, (ce personnage), le comédien est pour l’essentiel son propre instrument : c’est en travaillant physiquement la voix, la gestuelle, le rythme, le visage qu’il y accède. Le masque n’a aujourd’hui pas d’autre matérialité que le corps du comédien, et accessoirement le maquillage, la coiffure, le costume, etc. - sauf effets spéciaux ou fonction diégétique. Cela fait que le comédien est physiquement et psychologiquement plus exposé et fragilisé que jadis, parce qu’il n’y a plus de matérialité du masque, et parce que le style dominant du jeu est de type réaliste : il ne peut plus se réfugier derrière une formalisation forte et ostensible du jeu. A cela s’ajoute le fait que l’objectif de la caméra est souvent impudique, inquisitorial et qu’il perce le masque que le comédien s’est construit. Alors, dans le regard du spectateur, il peut y avoir confusion entre comédien et personnage. Il faut mentionner ici une dérive, assez fréquente : un comédien tire à soi le personnage plutôt que d’aller vers celui-ci. Je dirais que c’est le personnage qui revêt alors le masque du comédien, et non l’inverse. Masque savamment étudié pour aller à la rencontre des attentes d’un public d’aficionados. Et de personnage en personnage, de film en film, c’est toujours le même masque du même acteur que l’on découvre.

En conséquence, lorsque j’éclaire le personnage, j’éclaire aussi la personne du comédien, peu ou prou, parce qu’elle est très exposée et que cette personne mérite autant mon attention que le personnage. S’il y a contradiction entre ce qui convient au personnage et ce qui convient à la personne du comédien, c’est qu’il y a " miscasting ", ou un profond malentendu quant au sens du film.
La prépondérance de la réalité corporelle et physique dans la construction du personnage au cinéma est telle que, par rapport au théâtre, le comédien jouant au cinéma n’a accès qu’à un registre de personnages beaucoup plus limité. Il doit compter aussi avec la photogénie, qu’il a ou qu’il n’a pas, et qui conditionne sa présence à l’écran. Ça ne se construit pas, ou si peu.

C’est sans doute le maquillage qui est aujourd’hui la dernière trace évidente de la matérialité du masque. D’une manière générale, ce qui domine stylistiquement aujourd’hui, mis à part la science-fiction, c’est la vraisemblance réaliste. On peut clairement identifier cependant une volonté d’idéalisation des visages de femmes assez systématique dans le sens d’une idée de beauté, de séduction et de sensualité. Comme si fondamentalement un personnage de femme se devait de répondre au désir fantasmé des hommes. En marge de cela, il est intéressant de constater qu’il y a beaucoup moins de rôles féminins que masculins, et franchement peu de rôles de femmes mûres. C’est parce qu’il y a idéalisation qu’il est plus aisé de vérifier si cette idéalisation se décline selon des axes stylistiques différents. Il me semble pouvoir identifier quatre axes qui coexistent.
Le premier prolonge l’idée de masque telle qu’elle se pratiquait dans le théâtre antique grec : un traitement du visage qui ne sert pas tant l’idée de ce personnage particulier mais plus l’idée d’un traitement emblématique d’un type de personnage à portée universelle, souvent la femme fatale : Marlène Dietrich, Greta Garbo, Rita Hayworth. Dans ses versions les plus radicales, en particulier dans le cas du couple Dietrich-von Sternberg, un travail très sophistiqué de la lumière contribue très activement à l’élaboration de ce qui devient véritablement un masque.

A l’opposé de cet axe, le réalisme radical du néo-réalisme propose des visages traités " comme dans la vie " ou du moins c’est vers cela qu’on tend. Anna Magnani en est une des figures emblématiques. Cet axe se prolonge chez Bresson, Godard avec Jean Seeberg, Cassavetes, tant d’autres. Il est à l’origine de la vraisemblance réaliste d’aujourd’hui, où ce qui prime est une vérité dramatique et psychologique individualisée. Dans ses versions les plus édulcorées, il gomme tout ce qui pourrait trop particulariser un visage, et tend à ramener chaque visage au plus près des mêmes standards de beauté. Dans ses versions les plus audacieuses, les standards sont heureusement bousculés. C’est là notamment que la femme a le droit de vivre librement son corps, son visage, son âge.

Un troisième axe consiste fondamentalement à masquer la réalité physique et biologique du visage, à l’abstraire, le désincarner. Un peu comme l’on procédait vers les années 1920-1930 en adoptant ce que l’on appelait en France l’éclairage américain, mais avec d’autres moyens. A l’époque, on tentait de ramener le volume du visage à un aplat grâce à un gros projecteur à la face qui gomme texture et morphologie des visages maquillés très clair, un projecteur en contre-jour. Aujourd’hui, le traitement du visage d’Audrey Tautou dans Amélie Poulain est comme un rappel de cet esthétique mais avec d’autres moyens : le visage est sans texture, comme lissé, comme un visage de cire presque. Résultat obtenu au maquillage, à la lumière et grâce au traitement numérique. On peut rapprocher cet axe de l’esthétique de la bande dessinée, en particulier des mangas, et bien sûr des personnages de synthèse numérique.

Le quatrième axe a pour principe le rejet de tout masque. Il résulte de la volonté des auteurs de ne plus envisager le personnage en termes de construction en collaboration avec le comédien, mais de chercher quelqu’un, pas nécessairement un comédien, qui " est " intrinsèquement le personnage. On peut même construire le personnage à partir de la personne que l’on a choisie, pour arriver à une vérité " sans fard ". Et on lui fait jouer des situations proches de ce qu’elle a vécu ou de ce qu’elle pourrait vivre. Une technique de direction du jeu qui relève de la technique du psychodrame. On ne fait pas appel au talent, mais à la réalité de la vie de la personne. C’est évidemment un jeu très dangereux pour la personne. Et quand bien même cela fonctionne parfois très fort, je ne peux m’empêcher d’éprouver une gêne car mon plaisir vient de situations plus vécues que représentées, ce qui me met dans la position d’un voyeur. Dans son principe, cette démarche de réalisation est discutable car elle introduit dans la fiction des éléments qui n’appartiennent pas au monde de la fiction, mais à celui du réel. Dans un tel système, le maquillage ne participe pas à la construction du personnage d’une manière active. Fondamentalement, comme il n’y a pas de construction du personnage, il faut juste obtenir de la personne qu’elle se livre en mettant bas le masque, bien sûr.

Il existe un registre filmique qui est comme un cas limite de ce type de démarche, et qui atteint l’abjection absolue : le " snuff-movie ". Le principe est simple : on achète ou on enlève des personnes (hommes, femmes, enfants), on leur fait subir mille sévices (viols, tortures, mise à mort). Et on filme. Ce type de films, très marginaux en termes quantitatifs, ne mériterait pas d’être mentionné ici, s’il ne pouvait apparaître comme l’écho démesuré de productions qui, elles, sont loin d’être marginales : tous ces spectacles qui ont pour principe de base proposer des enjeux réels aux protagonistes, y compris dans leurs conséquences sur scène et dans leur vie. Le public tire son plaisir de la réalité des enjeux et de la réalité des souffrances éventuelles, physiques ou morales. Il s’agit bien sûr des reality-shows sous toutes leurs formes y compris les spectacles sportifs télévisés. C’est dans la mesure où ces spectacles drainent un public considérable et sans cesse en augmentation, dans la mesure aussi où ils génèrent des bénéfices appréciables et sont pour beaucoup de media d’une importance vitale, que l’on peut se demander si ce type de spectacle n’est pas en train de devenir dominant. Si en conséquence, notre modernité n’est pas en train de vivre un gigantesque mouvement régressif vers des formes de spectacles archaïques, antérieures au théâtre, plus proches des combats de gladiateurs, de la tauromachie, des choses de cet ordre. Des formes qui ne laissent pas de place à la réflexion, au regard, au point de vue, à la sensibilité, des formes qui ne permettent pas à la khatarsis d’opérer, qui ne sont en rien un discours sur la réalité de la vie mais qui prétendent être la vie même, rendue spectaculaire.

Ce ne sont donc pas les sujets traités par ces spectacles qui posent problème mais la manière dont ils sont traités. L’érotisme, y compris dans ses aspects les plus déviants et pathologiques, mérite d’être pris en considération. Les conflits privés, les problèmes relationnels et amoureux, la compétition sociale entre les individus et les groupes, la lutte pour la vie, les rapports à la mort, tous ces sujets peuvent être très bien traités par les sciences humaines, le roman ou le cinéma par exemple mais ne peuvent que produire une relation perverse avec le public dès lors que la télé réalité s’en empare. La pratique du sport, c’est très honorable et bénéfique. Et quand bien même on pourrait lire les sports d’équipe comme des simulacres de la guerre, ceux-ci font sensiblement moins de dégâts. C’est déjà pas mal. Mais projetés à l’avant-scène par une " surmédiatisation " spectaculaire, leurs enjeux apparents - les enjeux réels sont financiers - finissent par occulter (masquer) le réel. Ce genre de spectacle est à l’opposé de toute pratique artistique qui participe, à sa manière, aux cotés de la philosophie, des religions, des sciences et de la pensée politique, à cette volonté d’éclairer l’opacité du monde, à faire sens. Mais ces spectacles ont en commun avec le cinéma la constitution d’un espace scénique, l’image animée, le découpage du temps et de l’espace, la mise en scène, la dramatisation et souvent une forme de " scénarisation ". Si bien qu’aux yeux du public, l’un peut valoir l’autre. Et pourquoi pas, l’un déteindre sur l’autre. Alors, le cinéma ne répondrait plus qu’à la quête effrénée, de la part du public, de sensations toujours plus fortes qui ne mettent en mouvement que les pulsions, le Ça, en ne lui proposant plus que des simulacres de réalité, voire du réel filmé sans point de vue.

Le cinéma cesserait alors d’être de la fiction, d’appartenir au domaine de l’Art.