L’éditorial de la Lettre de février 2014

L’exposition des films

Par Rémy Chevrin, AFC

par Rémy Chevrin La Lettre AFC n°239

Il y a quelques années, l’argentique vivant son apogée, je me rappelle un conseil que m’avait donné un étalonneur de laboratoire cinématographique. Je n’étais alors qu’un très jeune opérateur débutant et il m’avait encouragé à remplir mon négatif, à le surexposer afin d’obtenir pour le film que je tournais une image bien contraste et bien saturée en couleur, et en tirant le positif dans les hautes lumières autour de 45-40-40. A contrario, tirer sur le négatif sans limite amenait une image grise et désaturée en couleur.

De la surexposition ou de la sous-exposition dépendait la qualité de l’image en tirage ou, en tout cas, les intentions dépendaient de la sous-exposition ou de la surexposition (une vérité). De ce fait, notre travail était de bien exposer (exposer juste), d’impressionner la pellicule, de mettre suffisamment de lumière sur cette surface sensible afin que l’image apparaisse.
Je suis bien malheureux de voir que de plus en plus de films sont sous-exposés ou mal exposés, que de lumière, point il n’y en a : ce sont souvent les films du milieu ou même les films les plus difficiles, ceux qui sont " fauchés " mais qui ne sont pas nécessairement les moins bien réalisés. La lumière ne semble pas les atteindre au moment où le public pourrait les voir ou au moins les apercevoir.

Oui, je parle bien de cette exposition des films, ceux qui me font rêver, des films que je fais, des films pour lesquels mon esprit s’envole : leur sous-exposition est devenue une règle, une habitude auprès du public. Quelques jours en pleine lumière (et c’est souvent du temps gris couvert et blafard), puis retour dans les boîtes noires ou des DCP qui s’évaporent pixel par pixel dans une sous-exposition totale.
Ce dont ces œuvres auraient besoin, c’est une surexposition soutenue avec un temps de développement de plusieurs semaines. En étant surexposés, leur contenu en deviendrait contraste et saturé, brillant et éclatant, à la lumière d’un public qui nous a toujours prouvé quand la chance était donnée aux films, que ce n’est pas quelques heures passées à la lumière du jour en pleine révélation qui suffisent à les faire vivre.

On entend parler de films fragiles, de films sous-financés, je voudrais que l’on oublie pas les films sous-exposés : les distributeurs le savent et luttent depuis de nombreuses années pour que le bain de révélation fasse son travail, sans " cross process ". Trop de films, peut-être, mais c’est dans notre culture de la diversité en France et c’est une chance pour la relève des nouveaux cinéastes, ceux qu’il faut soutenir, ceux qui réinventent, comme le firent Godard, Truffaut, Chabrol et tant d’autres... mais trop peu d’exposition, non ce n’est plus acceptable.
Trop de films restent dans des boîtes et l’idée de shunter la distribution et la sortie en salles pour ces films, c’est donc en faire des téléfilms (et j’ai un profond respect pour les téléfilms et leurs sujets).

Dès le prochain rendez-vous du mois d’avril, la continuité des Assises du Cinéma doit s’emparer de cette problématique et lancer un appel à l’ensemble des professionnels pour soutenir définitivement ceux qui inventent le cinéma de l’avenir (pas le cinéma technique de l’avenir), je parle du medium cinéma, un espace de création critique, de vision sociologique, de proposition de société (un peu comme le fait l’Allemagne autour de son théâtre extrêmement vivant et fort de propositions).
Certains travaillent sur le refinancement des films du milieu et de la diversité, travaillons ensemble autour de la surexposition des films, nous avons beaucoup de choses à dire et à défendre... Sous-exposer, c’est moins montrer, moins impressionner et surexposer, c’est plus affirmer, et plus défendre... L’AFC est légitime pour réfléchir à cette problématique...

Je tiens aussi à rappeler l’hommage que fait la Cinémathèque française autour de la rétrospective Caroline Champetier à partir du 5 février 2014. Une sélection de films majeurs du cinéma français, une Master Class de Caroline le 8 février dans l’après-midi, des débats passionnants autour des problématiques du cinéma et de la relation particulière du chef opérateur avec le réalisateur dont Caroline Champetier a si souvent parlé, enfin le regard d’une femme sur l’art cinématographique, une occasion d’évoquer dans notre métier la sensibilité féminine et masculine qui se côtoient jusqu’à fusionner. Caroline a choisi de parler de cinéma avec à ses côtés Céline Bozon, membre de l’AFC. J’encourage chacun d’entre vous à venir nourrir les débats et les questionnement soulevés sur l’art de la cinématographie à travers la diversité des individus et de leur parcours.

N’oubliez pas nous plus de réserver le vendredi 7 et le samedi 8 février 2014 pour le Micro Salon à La fémis dont le programme est à l’intérieur de cette Lettre de février.

Et enfin je souhaite, après une année 2013 mouvementée et riche en événements, une belle année 2014 de reconstruction et de surexposition pour nous tous, passionnés de cinéma : il est temps de se reparler, de reconstruire, de réinventer...