"L’opération séduction de Vivendi sur le cinéma"

Par Alain Beuve-Méry et Alexis Delcambre

La Lettre AFC n°258

Le Monde, 1er octobre 2015
Vincent Bolloré, le nouveau président des conseils de surveillance de Vivendi et de Canal+, a engagé une vaste opération de séduction vis-à-vis du milieu du cinéma. Après être devenu le grand mécène de la Cinémathèque française et avoir acquis les emblématiques Studios de Boulogne, le groupe Vivendi a annoncé, mardi 29 septembre, une prise de participation de 30 % dans Mars Films, l’heureux producteur de La Famille Bélier, et un des leaders français de la production et la distribution de films. [...]

Vincent Bolloré et les dirigeants de Vivendi ont l’art de manier la carotte et le bâton. Mardi 29 septembre, c’est dans une vaste opération de séduction vis-à-vis du milieu du cinéma qu’ils se sont engagés. Le groupe a annoncé une prise de participation de 30 % dans Mars Films, l’heureux producteur de La Famille Bélier (7,5 millions d’entrées) et un des leaders français de la production et de la distribution de longs-métrages.

Stéphane Célérier, président de Mars Films, est nommé vice-président de StudioCanal, tandis que Didier Lupfer, déjà directeur du cinéma du groupe Canal+, est propulsé à la tête du premier studio européen de cinéma, qui a généré un chiffre d’affaires de 534 millions d’euros, en 2014. Pour Stéphane Célérier, qui, avec son associé, reste détenteur de 70 % du capital de Mars films, il s’agit en quelque sorte, d’un retour au bercail. Il avait créé le label Mars au sein de StudioCanal, dans les années 2000, avant de gagner son indépendance.

Outre La Famille Bélier, Mars, sous la direction de M. Célérier, a su gagner la confiance de réalisateurs prestigieux, tels que Woody Allen, et en tant que distributeur a comme succès à son actif des films comme Polisse, de Maïwenn, Des hommes et des dieux, de Xavier Beauvois, Potiche, de François Ozon, ou encore 12 Years a Slave, de Steve McQueen, qui a reçu l’Oscar du meilleur film étranger.

M. Célérier est un professionnel respecté par ses pairs. Il présidera aussi un comité mensuel de développement composé de personnalités du cinéma. Cette arrivée d’un homme qui connaît la maison devrait mettre un peu de baume aux cœurs des dirigeants de Canal+ et de sa branche cinéma, quelque peu tourneboulés par les changements brutaux opérés par l’équipe de Bolloré. Exit en revanche Olivier Courson, président de StudioCanal, qui quitte le groupe.

La deuxième opération de séduction se lit dans le titre même du communiqué publié mardi : « Canal+ a décidé de nouveaux investissements dans le cinéma. » Dès le premier paragraphe, il est clairement rappelé que Canal+ « investit déjà près de 800 millions d’euros par an », dans le cinéma. Cela vaut engagement. Ce rappel montre que Canal+ va continuer à jouer le rôle de grand argentier du cinéma français. avec une dépense annuelle de 200 millions d’euros en achats et préachats. Les chaînes de Canal+ diffusent environ 400 nouveaux films par an.

En mai, avant la prise de pouvoir par Bolloré, le groupe Canal+ avait conclu un nouvel accord quinquennal avec les organisations du cinéma français.

Grand mécène de la Cinémathèque
L’initiative de Vivendi-Canal+ survient après plusieurs autres opérations dans le secteur du cinéma. Elle « s’inscrit dans une dynamique d’investissement dans les contenus, en particulier le cinéma, qui est plus que jamais au cœur de notre proposition éditoriale », a expliqué Jean-Christophe Thiery, le président du directoire de Canal+.

Récemment, Vivendi est devenu grand mécène de la Cinémathèque de Paris, aux côtés de Canal+. Un engagement de cinq ans. En septembre, le groupe a également acquis les Studios de Boulogne, un lieu emblématique de l’histoire du cinéma, désormais dévolu à la réalisation d’émissions de télévision, comme "Le Grand Journal" et "Canal Football Club".

Canal+ a aussi annoncé qu’il « financera[it] et mettra[it] en place un projet d’ateliers d’écriture dans le but de faire émerger de nouvelles formes de narration et de nouveaux auteurs ». Vivendi cherche à augmenter sa puissance dans la production. Le groupe de médias est enfin entré en négociations exclusives pour prendre une part minoritaire au sein de l’ensemble Banijay-Zodiak, amené à devenir le troisième groupe mondial de création de programmes de flux.

Complémentarité
Le cinéma est un secteur où Vivendi entend jouer à fond la complémentarité de ses activités : production, gestion de droits et distribution avec StudioCanal ; diffusion avec les chaînes du groupe Canal+ et DailyMotion ; éclosion de talents avec Vivendi Talents ; musique avec Universal Music Group ; billetterie avec Digitick ; et même les salles de spectacle. Le groupe a annoncé, lundi 28 septembre, la prochaine ouverture de dix salles en Afrique centrale et de l’Ouest sous le nom de "CanalOlympia".

Depuis la reprise en main de Canal+ par l’homme d’affaires Vincent Bolloré, en juillet, la filière cinéma et les pouvoirs publics scrutent les initiatives du groupe dans ce domaine et s’interrogent sur une éventuelle réorientation de ses investissements ainsi que sur la ligne éditoriale que suivra Didier Lupfer. Dans le domaine de l’information, la déprogrammation d’un documentaire sur le Crédit mutuel ou la non-rediffusion d’un reportage sur l’Olympique de Marseille ont marqué les esprits.

(Alain Beuve-Méry et Alexis Delcambre, Le Monde, jeudi 1er octobre 2015)