La Caméra d’or 2006

par Jean-Louis Vialard

par Jean-Louis Vialard La Lettre AFC n°156

Jeudi 18 mai : première réunion du jury, aux allures de rentrée des classes. Nous sommes dix : Jean-Pierre et Luc Dardenne, nos présidents, à la fois faciles d’accès et impressionnants, Alain Riou, critique de cinéma redouté et pourtant charmant, Jean-Pierre Neyrac, directeur de labo bien connu des membres de l’AFC, Jean-Paul Salomé, réalisateur attentif et précis, Luis Carlos Marten, critique brésilien à l’accent chantant, Frédéric Maire, directeur du festival de Locarno nouvellement nommé et plein d’énergie, Natacha Laurent, chaleureuse responsable de la cinémathèque de Toulouse et, Morgane Le Roy, cinéphile cannoise qui aura la dure tâche de consigner nos débats sur le papier, et moi, en tant que représentant de l’AFC.
D’emblée le ton est donné : bonne ambiance, studieuse, mais joyeuse. On a 29 films à voir en 10 jours, perspective délicieuse et effrayante à la fois. Chaque jour, je devrai voir trois films (au moins), prendre des notes en vue des réunions du jury, et faire une photo pour le site Kodak (partenaire de la Caméra d’or). Une vraie rentrée des classes, excitation et appréhension comprises !

Première séance : Hamaca Paraguaya, de Paz Encina. Le premier film réalisé au Paraguay depuis trente ans, et une proposition de cinéma radicale : neuf plans fixes, crépusculaires, tout en voix-off, sur deux personnages dont le fils est parti à la guerre... et qui savent qu’il ne reviendra pas, mais qui ne veulent pas se l’avouer l’un à l’autre. Malgré cette distance créée par la mise en scène, une émotion forte. Si tous les premiers films présentés sont de cette qualité, on va se régaler.

La journée file, nous sommes tous les dix en permanence et nous courons d’une sélection à l’autre, échangeant nos impressions entre les séances ou au cours de pauses déjeuner bien méritées, le rythme s’accélère et, dès le premier jour, je ne sais pas quand je vais pouvoir faire la photo quotidienne promise à Kodak !...
Ce sera de ma chambre d’hôtel, au cours d’une petite pause d’une demi-heure bienvenue : au travers des stores, le visage de Juliette Binoche, en très grand format sur la façade de l’immeuble d’en face ; elle baisse les yeux, elle est magnifique. Et je la verrai, chaque matin et chaque soir, aux deux seuls moments de calme de la journée !

Sainte Juliette veille sur la Croisette - (Photo Jean-Louis Vialard, avec l'aimable autorisation de Kodak)
Sainte Juliette veille sur la Croisette
(Photo Jean-Louis Vialard, avec l’aimable autorisation de Kodak)

Vendredi 19 mai : c’est décidé, j’arrête de faire un compte-rendu journalier !
Alors je passe sur la terrasse de la Caméra d’or où le jury et les réalisateurs peuvent se retrouver chaque soir autour d’un verre dans une ambiance décidément très chaleureuse.
Voici les films dont j’ai eu envie de vous parler :
- Fresh Air film hongrois de fin d’étude d’Agnès Kocsis, original, brillant, sensible, tourné en S16, en seulement 20 jours... et 150 000 euros de budget !!! Une mère et sa fille vivent seules dans la Hongrie d’aujourd’hui... et rêvent d’autre chose. D’air frais.
- Red Road d’Andrea Arnold, le seul des 29 films à avoir été sélectionné en compétition officielle. Cette documentariste écossaise livre une première fiction à la fois réaliste et hitchcockienne, servie par une remarquable actrice (Kate Dickie).
- El Violin de Francisco Vargas, un film mexicain nécessaire et actuel sur les Indiens en lutte contre l’armée d’état, magnifique noir et blanc intemporel et un sublime vieil acteur violoniste.
- Anche libero va bene, de Kim Rossi Stuart, une chronique familiale en Italie émouvante, juste et profonde, au découpage précis, très maîtrisé.

Les frères Dardenne vus par Jean-Louis Vialard
Les frères Dardenne vus par Jean-Louis Vialard

En bref, vingt-neuf films et un tour du monde des nouvelles cinématographies, où l’on voyage d’un pays à l’autre et d’un imaginaire à l’autre... Deux films d’animations, un documentaire, un film d’art contemporain, et peu de lignes communes qui se dégagent, au contraire, une belle diversité, et un dynamisme, de vraies envies d’inventer... Une tendance, peut-être, à noter par rapport aux autres années : l’arrivée de beaucoup de films en provenance d’Europe de l’Est.

Est-ce pour cela que nous avons fini par récompenser A fost sau n-a fost ? du Roumain Corneliu Porumboiu ? Pas seulement, bien sûr, mais cette comédie hilarante, qui nous livre une vision corrosive de l’après-communisme et de l’impossible recherche d’une " vérité " historique, nous a tous réjouis au point que nous lui avons accordé le prix de la Caméra d’or... à l’unanimité.

Une expérience forte, cette participation au jury de la Caméra d’or. Et un bon cru, décidément, Cannes 2006, puisque Dans Paris, de Christophe Honoré, dont j’ai signé l’image, a reçu un accueil très chaleureux, et que Première neige, un court métrage argentin de Pablo Aguero que j’ai tourné dans de rudes conditions en Patagonie, déjà sélectionné en compétition officielle contre toute attente, a remporté le prix du jury du court métrage !
Une dernière soirée de fête en compagnie de mes acolytes, et le 29 mai, un retour à Paris... et à la réalité !

Retrouvez toutes les photos en couleurs de Jean-Louis sur le site de l’AFC sous la rubrique Festival de Cannes 2006 ou sur le site de Kodak en cliquant sur Photo of the day.