La Famille Wolberg

d’Axelle Ropert , photographié par Céline Bozon, AFC

par Céline Bozon

Déjà, en 2007, Céline Bozon avait répondu aux entretiens de l’AFC pour deux films sélectionnés à la Quinzaine des réalisateurs : La France, réalisé par son frère, Serge Bozon, et Un homme perdu de la cinéaste libanaise Danielle Arbid.
Cette année, elle signe la photo du film d’Axelle Ropert, La Famille Wolberg, sélectionné à la Quinzaine également. À noter qu’elle a rejoint l’AFC fin 2007...
Jean-Luc Bideau et François Damiens - dans <i>La Famille Wolberg</i> d'Axelle Ropert, photographié par Céline Bozon
Jean-Luc Bideau et François Damiens
dans La Famille Wolberg d’Axelle Ropert, photographié par Céline Bozon

Céline, avais-tu déjà travaillé avec Axelle Ropert ?

Céline Bozon : Oui, sur un moyen métrage, Etoile violette, qui avait été sélectionné à la Quinzaine en 2005. C’est aussi la scénariste de La France... J’ai d’emblé aimé le scénario, et j’ai pu participer très en amont à l’élaboration de l’édifice. Je crois avoir lu toutes les versions du scénario ; nous avons eu à peu près deux ans pour parler du film, regarder d’autres films, réfléchir à des manières de faire..., etc.
En même temps, je connais bien le producteur, David Thion, de Pelléas, et cela a facilité les discussions, surtout quand le budget définitif a été annoncé et qu’il a fallu trouver des solutions, car il était très réduit.

Tu as réussi à " imposer " le 35 mm en vrai Scope...

Oui, et cela est très difficile, car aujourd’hui, c’est presque toujours sur la pellicule que l’on fait des sacrifices. Bien souvent, sur les budgets restreints, on est amené à tourner en 16 mm ou en vidéo. Par contre, j’ai proposé de travailler en équipe très réduite : un électro, un machino, deux assistants caméra. Je tiens d’ailleurs à les remercier pour tout ce qu’ils ont donné en temps et en énergie sur ce film.
La réalisatrice a joué le jeu pour la pellicule et a accepté la restriction du nombre de bobines ! Je tenais vraiment au Scope qui, pour moi, apportait le contrepoint à la douceur qui pouvait, sinon, se transformer en fadeur ; le Scope apportait la brillance, une profondeur, une assise à l’image. En Super 16, ça n’aurait pas du tout marché ! Axelle avait une belle formule, elle disait que le Scope donnait une forme élégiaque au film…

Vous avez donc pu imaginer un univers visuel très précis...

Nous avions principalement deux références : Stranger When We Meet de Richard Quine, ainsi qu’Hôtel des Amériques d’André Téchiné. Elles nous ont permis de dégager d’une part le Scope et d’autre part une grande douceur sur les visages, très éclairés, jamais enterrés... J’aime beaucoup capturer des images de films sur DVD et ainsi avoir des références d’ambiances visuelles en photogrammes.
Pour la dernière scène de La Famille Wolberg, qui se passe dans une gare comme dans Hôtel des Amériques, je me suis rendu compte qu’on était très proche en axe, en valeur de plan, en lumière de photogrammes qu’on avait choisis…, même si je les avais oubliés !

En fait, ces images étaient imprimées dans un coin de ma tête… Je pense aussi à une scène de bagarre sous la pluie dans Stranger... Axelle m’avait toujours parlé de dureté et de pluie pour cette scène, or nous n’avions pas les moyens d’avoir des rampes de pluie… Fort heureusement, il a plu à torrent ce jour-là, et je pense que la scène a pris une dimension lyrique et triste, donnant un sentiment d’inexorabilité qu’elle n’aurait pas eu autrement…
La réalisatrice me parlait très souvent du côté tendre et lumineux des visages, d’une vraie photogénie… Elle avait noté, dans ses intentions pour l’image une phrase, qui me plaît : « Retrouver les bleus et les roses du cinéma américain ».

Le choix de la pellicule et des optiques a-t-il aidé à atteindre cette douceur " élégiaque " ?

(Rires…) Mon choix s’est porté sur la Fuji pour justement ce côté rosé des carnations et sur les Hawks pour leur contraste. J’aimais bien le rapport de contraste du couple Hawks-Fuji. Par ailleurs, il y a eu un gros travail de maquillage de Caroline Philipponat avec qui je venais de faire deux films. On demande rarement un tel travail dans le cinéma contemporain, de peur que le maquillage ne se voit.
Dans une volonté naturaliste, il fallait rapprocher les carnations de Valérie Benguigui et de François Damiens et les tirer vers ce rosé délicat ni trop rouge ni trop jaune, exclure totalement le vert (et c’était aussi valable pour les températures de couleur de la lumière...). Par ailleurs, pour avoir des carnations ni trop agressives ni trop précises, au mauvais sens du terme, j’ai filtré avec des SFX.

Nous avons fait beaucoup d’essais avec Catherine, l’assistante caméra, et nous avons défini un filtre pour chaque optique, car ils ne diffusent pas tous de la même manière. Il m’a fallu éclairer plus qu’à mon habitude les visages qu’Axelle voulait lumineux, et surtout à la face, ce que je fais rarement. Il y avait quasiment toujours un Kino 4 tubes à la face en jour, et du tungstène en nuit. J’avais très peu de lumière, la plus grosse source étant un 1 200 Watts HMI ; par contre, j’avais demandé à pouvoir éclairer, même en extérieur jour, pour ne pas filmer des visages creusés par la lumière qui vient seulement du ciel. Là aussi, il faut se battre, car sur les films à petits budgets, on ne nous accorde pas de groupe qui ne paraît pas justifié en extérieur jour ! Même sans groupe, on peut toujours trouver un moyen pour brancher un 1 200 HMI (nous tournions en hiver évidemment, autrement le système était impossible).

L’économie du film m’a obligée aussi à faire tout le film avec quatre mètres de rails et un plateau. Ce qui est un peu une gageure, en Scope, de ne pas pouvoir monter et descendre pour suivre un comédien ! Et Axelle n’aime pas beaucoup les contre-plongées... J’ai eu la Peewee sur dix minutes de films, pour la scène d’anniversaire... Pour cette scène très importante, où toute la famille est réunie et où tout se noue, on a trouvé un décor génial, un ancien café abandonné. Sur ce décor, j’ai vraiment pu goûter au travail d’équipe, venir voir les peintres chaque jour, parler avec la décoratrice, Sophie Reynaud ; on était comme en studio !

J’apprécie vraiment beaucoup qu’on ait fait ce décor de cette manière-là, dans cette économie-là. Cette scène est préparée par l’ensemble du film en amont, tous les personnages se retrouvent, il y a une sorte de classicisme dans ce " bouquet final " qu’il fallait accompagner, souligner. J’imagine qu’on pourrait instinctivement avoir peur de ce côté redondant, mais cette décision a été prise grâce au temps passé en préparation.
C’est ce temps qui donne de l’intimité et de la force aux idées, c’est une chose à laquelle je tiens le plus et qui est le plus difficile à défendre auprès des producteurs : qu’est ce qui dit qu’une idée qui a mûri vaut plus qu’une idée trouvée en deux secondes ? Et bien moi je le pense, parce que ce n’est pas seulement l’idée que je saurais tenir par la suite mais tout le chemin qui l’a fait naître. Cela pourrait être une définition de l’image d’ailleurs : une trace de quelque chose, qui ouvre sur tout un chemin, sur toute une histoire.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)

Equipe
Assistante caméra : Catherine George
Chef électricien : Muriel Olivier
Chef machiniste : Benjamin Vial, puis Edouard Omnes

Axelle Ropert - la réalisatrice de <i>La Famille Wolberg</i><br class='manualbr' />© Photo Carole Bethuel
Axelle Ropert
la réalisatrice de La Famille Wolberg
© Photo Carole Bethuel