La (délicate) négociation sur l’assurance chômage renvoyée à la fin décembre

Par Jean-Christophe Chanut

La Lettre AFC n°235

La Tribune, 10 septembre 2013
Patronat et syndicats vont informer le ministre du Travail que la négociation sur le renouvèlement de la convention d’assurance chômage ne débutera en octobre mais plutôt en décembre (voire début janvier 2014). En cause, l’embouteillage des dossiers sociaux... mais surtout le besoin de déminer le terrain alors que le Medef veut rétablir la dégressivité des allocations.

Pour éviter l’embouteillage, la négociation sur le renouvellement de la convention d’assurance chômage, qui fixe les conditions d’indemnisation des demandeurs d’emploi, attendra un peu. Ce n’est pas encore officiel, mais patronat et syndicats ce sont mis d’accord sur ce report et vont très prochainement en informer le ministre du Travail Michel Sapin, selon une source syndicale. Normalement, cette négociation entre les organisations patronales et syndicales, gestionnaires de l’Unedic qui gère l’assurance chômage, aurait dû démarrer en octobre afin que la nouvelle convention s’applique dès le 1er janvier 2014. La précédente, applicable depuis 2011, arrivant à expiration. Finalement, la négociation ne s’ouvrirait que fin décembre, voire début janvier 2014, et l’actuelle convention serait alors prorogée d’au moins trois mois.

Embouteillage des dossiers sociaux
De fait, patronat et syndicats ne sont pas prêts. Trop de dossiers sociaux se bousculent depuis le début de l’année. Il y a d’abord eu l’accord national sur l’emploi du 11 janvier puis sa traduction législative qui a pas mal mobilisé les énergies. Ce fût ensuite la réforme des retraites, toujours en cours, puisque la discussion parlementaire ne débutera pas avant octobre. Enfin, il y a la négociation sur la réforme de la formation professionnelle souhaitée par François Hollande. Les partenaires sociaux doivent débuter les discussions fin septembre avec la mission d’aboutir pour la fin décembre.

Sans compter que les changements intervenus à la tête de différentes organisations syndicales et patronales ont quelque peu désorganisé le travail interne. C’est surtout le cas à la CGT et au Medef, moins à la CFDT.

Le Medef veut rétablir la dégressivité des allocations
Mais il y a d’autres motifs à ce retard, moins avoués mais tout aussi réels. On sait que le Medef veut rétablir la dégressivité des allocations. Et ce pour deux raisons. D’abord, il s’agirait de soulager les finances de l’assurance chômage alors que le déficit cumulé du régime devrait atteindre 18,4 milliards d’euros cette année. Une donnée qui sera actualisée lors du prochain bureau de l’Unedic le 26 septembre. Avec la montée du chômage, le déficit de l’Unedic s’accroit d’environ 5 milliards d’euros par an. Heureusement que l’organisme bénéfice de la garantie de l’Etat pour pouvoir emprunter sur le marché obligataire à des taux intéressants ! mais si la croissance tarde à revenir, cette politique deviendra intenable. D’où le souhait de l’organisation patronale de parvenir à des économies. L’autre raison, classique, avancée parle Medef : le système français serait trop généreux en prévoyant jusqu’à 24 mois d’indemnisation (36 mois pour les chômeurs de plus de 50 ans) et n’inciterait donc pas à la reprise d’un emploi.

Côté syndical, unanimement, on est sur la ligne inverse : pas question de rogner sur les indemnités chômage, alors que le nombre des chômeurs est si élevé. Pour des milliers de personnes, les indemnités constituent ainsi le dernier filet de sécurité. Bref, patronat et syndicats ne sont pas du tout sur la même longueur d’ondes, dans ces conditions il faut mieux temporiser… pour déminer.

Le ministre du Travail ne semble d’ailleurs pas voir l’initiative patronale de rétablir la dégressivité des allocation d’un très bon œil. Non seulement parce qu’il voit également dans les indemnités chômage un « stabilisateur social » mais aussi en pensant aux finances de l’Etat. De fait, principe des vases communicants, si l’Assurance chômage réduit la durée de versement des indemnités, c’est le régime de solidarité nationale, géré lui par l’Etat, qui devra prendre en charge l’indemnisation des chômeurs privés de l’allocation Unedic, via le versement de l’allocation spécifique de solidarité (ASS). En ces périodes de vaches maigres budgétaires, le ministre du Travail voudrait bien éviter de ce retrouver avec ce fardeau…

Seuls 50% des demandeurs d’emploi perçoivent une indemnisation
Déjà, selon les dernières statistiques connues, fin juin, seuls 41,3% des demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi en catégories A,B,C,D,E sont indemnisés par l’assurance chômage et 8,1N % par le régime de solidarité nationale. Ce qui signifie, concrètement, que 50 % des chômeurs ne perçoivent aucune indemnités, soit parce qu’ils sont trop jeunes et n’ont pas assez cotisé, soit parce qu’ils n’y ont plus droit (il perçoivent alors le RSA).

D’autres données méritent d’être connues pour bien cerner le débat avant que ne s’ouvre la négociation en fin d’année. Selon des chiffres fournis par l’Unedic, au 31 décembre 2012, le montant brut moyen de l’allocation mensuelle s’élevait à 1 108 euros. Et 95 % des allocataires perçoivent moins de 2 070 euros (toujours en brut). Seuls 1 400 allocataires, soit 0,06 % du total, touche le fameux montant maximum (6 959 euros par mois) qui fait tant polémique.

On comprend pourquoi les discussions vont être houleuses… Surtout si la question des intermittents du spectacle est mise sur la table.

(Jean-Christophe Chanut, La Tribune, 10 septembre 2013)