La directrice de la photographie Jeanne Lapoirie, AFC, parle de son travail sur le film "My Little Princess" d’Eva Ionesco

par Jeanne Lapoirie

C’est pour éclairer un récit autobiographique et pour son premier long métrage que la comédienne Eva Ionesco a fait appel à Jeanne Lapoirie, AFC. Un film de lumière, de photographie, un univers fantasque pour une réalité que la réalisatrice a voulu transcender en magnifiant la fiction. « La difficulté », dit-elle, « était de savoir comment filmer la photographie ».
Jeanne nous confie comment elle a tenté de répondre à ce défi visuel et comment elle a collaboré avec Eva Ionesco pour My Little Princess, sélectionné à la Semaine de la critique.

« Eva Ionesco, qui est surtout comédienne, avait déjà essayé de monter ce film il y a plus de dix ans et ça n’avait pas abouti. C’est un récit autobiographique, sur ses relations avec sa mère photographe, qui a eu son heure de gloire dans les années 1980, particulièrement grâce aux photos, mi-érotiques mi-artistiques qu’elle prenait de sa fille, très jeune. C’était un sujet important pour Eva, elle tenta donc de remonter le projet, cette fois avec succès.
Le film se situe à cette époque des années 1980, le rôle de Violetta est tenu par Anamaria Vartolomei, petite fille de 10 ans, originaire, comme Eva, de Roumanie et qui n’avait jamais joué auparavant. Isabelle Huppert interprète Hanna, la mère.

Vu la difficulté du sujet, Eva ne voulait pas traiter ce film de façon trop réaliste pour ne pas basculer dans le trop sombre, ou trop douloureux, elle voulait mettre une distance avec la réalité, le traiter un peu à la manière d’un conte avec ses aspects à la fois merveilleux et terrifiants. Elle voulait et avait elle-même un univers visuel très fort. Il y avait le problème de comment filmer ces séances photos. On devait, quand on entrait dans l’univers d’Hanna, se retrouver dans un lieu fait de bric et de broc, mais qui, quand on l’éclaire, change d’aspect et devient tout d’un coup fantastique, une sorte de sanctuaire comme dans les films de vampires.
Le rapport à la série B intéresse beaucoup Eva (Mario Bava, les films muets de vampire) mais aussi le cinéma hollywoodien des années 1950. Toutes ces sources d’inspirations sont donc très présentes dans les décors (murs noirs dans la pièce d’Hanna), dans les costumes, et bien sûr dans la lumière aussi. On oscillait du réalisme chez la grand-mère (avec qui vivait la petite Violetta), à l’école ou dans les rues, au magique des séances photos (traitées plus Technicolor), des lieux où Hanna emmenait sa fille, au film d’horreur dans l’appartement de la mère.

Eva n’étant pas à court d’idée, on a plutôt essayé de se limiter et de ne pas avoir à faire une sorte de catalogue de tous les styles et effets possibles. La préparation a été très agréable, une discussion permanente avec moult références cinématographiques passionnantes !
Quelques essais pour mettre au point tout ça…
Nous avons tourné bien sûr en argentique, il était hors de question de faire ce film qui parle d’une photographe en numérique. En plus, elle poussait très souvent ses films, et si l’on regarde les tirages d’origine, il y a beaucoup de grain. Eva voulait aussi filmer plusieurs scènes en caméra portée, mélanger à l’intérieur d’une même scène plan large sur pied et plans rapprochés à l’épaule. Nous sommes donc partis sur une Pénélope, avec des objectifs légers ; j’ai choisi les Cooke S3 qui, un peu plus soft, m’on permis de ne presque pas filtrer Isabelle. Nous avons choisi le 2perf, un peu poussés par les soucis budgétaires mais aussi pour les questions de grain. Le résultat est d’ailleurs très intéressant et me plait beaucoup. J’ai une fois de plus le sentiment que c’est l’un des derniers films que je fais avec du grain…
Le format Scope s’est aussi presque imposé à cause du 2perf, on n’y avait pas pensé au début, et c’est devenu un vrai choix ensuite.

L’appartement de la mère est tourné dans une sorte de faux studio, c’est-à- dire avec le plafond à 3,5 m donc très peu au-dessus des feuilles, pas de recul ou presque derrière les fenêtres, le reste est du décor naturel.
Pour les séquences où l’on voit les clichés photographiques de Violeta, il a fallu les faire, bien évidemment, on ne pouvait pas utiliser les originaux. On a dû recréer toutes les photos, correspondant plus ou moins aux originaux de l’époque. C’était assez amusant de devoir refaire une très grande série de photos dans le style de quelqu’un d’autre… Il y en a de très belles. »

(Propos recueillis par Brigitte barbier pour l’AFC)

Equipe image
Assistante caméra : Emilie Monier
Chef électrectricien : Pierre Bonnet
Chef machiniste : Eric Fontenelle