La lumière bleue émise par les LEDs présente-t-elle un réel danger ?

Une étude récente relance le débat

La Lettre AFC n°256

Dans un article intitulé "Les diodes luminescentes sous l’œil inquiet des chercheurs" – publié dans Le Monde du 12 août 2015 –, la journaliste Florence Rosier souligne l’inquiétude de certains chercheurs quant aux effets de la lumière bleue émise par les diodes électroluminescentes (LED) sur notre œil et en particulier notre rétine. Afin "d’y voir clair" sur le sujet et évaluer les risques liés à ce type de source de lumière, en voici des extraits.

Sans qu’on en ait toujours conscience, les diodes électroluminescentes ont massivement pénétré ­notre quotidien. Plus connues sous le nom de LED ("light-emitting diodes"), elles rencontrent un succès croissant dans les éclairages publics, professionnels, ­domes­tiques et automobiles, mais aussi dans les écrans de nos télé­viseurs, ordinateurs et smartphones.
Cet essor des LED, depuis les ­années 2000, est lié à leur faible consommation électrique, couplée à leur fort rendement d’éclairage. A ces atouts s’ajoutent leur longue durée et leur faible coût de production. En 2014, le prix ­Nobel de physique récompensait leurs trois inventeurs : les Japonais Isamu Akasaki et Hiroshi Amano et l’Américain Shuji Nakamura.

LEDs bleues : Isamu Akasaki, Hiroshi Amano et Shuji Nakamura, Prix Nobel de physique en 2014 - DR
LEDs bleues : Isamu Akasaki, Hiroshi Amano et Shuji Nakamura, Prix Nobel de physique en 2014
DR

Lumière bleue et forte intensité
Pour autant, «  des risques liés à l’usage de certaines lampes à LED ont été identifiés », notait en 2010 l’Agence nationale de sécurité ­sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Car les LED utilisées pour l’éclairage ont deux spécificités. Elles contiennent très souvent une part importante de lumière bleue. Et ­elles émettent une très forte intensité de lumière par unité de surface – jusqu’à 1 000 fois plus que les éclairages classiques !
« Les enjeux les plus préoc­cupants concernent l’œil : effet ­toxique de la lumière bleue et risque d’éblouissement », indiquait l’Anses. «   La lumière bleue nécessaire pour obtenir des LED blanches conduit à un stress toxique pour la rétine. Les enfants sont très sensibles à ce ­risque : leur cristallin très trans­parent ne peut assurer son rôle efficace de filtre de la lumière bleue. »

Une étude récente de l’Inserm, publiée en avril dans la revue Free Radical Biology and Medicine, ­conforte ce message de prudence. Elle a évalué, chez des rats albinos, les effets d’une exposition prolongée aux cinq LED les plus utilisées en Europe. «   Au bout de dix-huit heures d’exposition aux LED, nous observons les mêmes dégâts rétiniens qu’après sept jours d’exposition aux lampes fluorescentes », résume Alicia Torriglia, chercheuse à l’Inserm dans le laboratoire de la professeure Francine Behar-Cohen et principale auteure de ce travail. [...]
Ces conclusions ne sont pas ­extrapolables à l’homme, admet la chercheuse. « Nous ne craignons pas que les LED provoquent une ­nécrose massive des cellules de ­notre rétine, mais plutôt une accumulation de petites lésions au fil des ans. » Celles-ci pourraient causer une altération à long terme des couches profondes de la rétine.
On savait que la lumière bleue, proche des UV et plus énergétique, est davantage toxique pour l’œil. [...]

Bonnes pratiques
«   L’étude d’Alicia Torriglia est intéressante », estime le professeur José-Alain Sahel, ophtalmologue, directeur de l’Institut de la vision, à ­Paris. « Mais il faut nuancer : les rats albinos ont une extrême sensibilité à la lumière. Ces données sont une incitation de plus à progresser sur des normes de protection adaptées aux éclairages à LED. »
En 2010 déjà, l’Anses alertait sur le fait que les normes pour les éclairages classiques ne conviennent pas aux LED. « Or, la qualité des LED est très variable selon les ­fabricants », relève Serge Picaud. Beaucoup pointent l’opacité des données sur des produits issus de pays moins régulés qu’en Europe.
Autre difficulté : les LED émettent une lumière dans une direction donnée. « Cette distribution axiale nécessite une norme spéciale contre l’éblouissement », estime Alain Azaïs, délégué général de l’Association française de l’éclairage (AFE), qui milite pour «   de bonnes pratiques d’éclairage ». Alain Azaïs l’assure : un travail est en cours pour établir des normes et des recommandations. «   L’année 2016 sera déterminante pour la qualification de ces produits.  »
Mais « des LED de seconde génération vont arriver : elles seront vingt fois plus lumineuses », s’inquiète Alicia Torriglia. « Nos yeux n’ont pas été sélectionnés par l’évolution pour faire face à des luminosités aussi fortes ! »

« Prise de conscience »
Pas simple d’y voir clair, dans cette jungle obscurcie par des intérêts divergents. « Les éclairages aux LED ne sont pas dangereux dans des conditions d’utilisation normales », affirme Alain Azaïs. « Mais il faut acheter des produits de fabricants reconnus. Et faire appel à des bureaux d’étude compétents pour installer ces systèmes.  » [...]
«  Les LED sont l’éclairage de demain », ­assure le délégué général de l’Association française de l’éclairage. « Dans dix ans, elles auront remplacé les éclairages classiques. » Les ampoules à incandescence, trop énergivores, ne sont déjà plus commercialisées. Les lampes halogènes ­seront interdites en Europe après 2018. [...]

Pour Francine Behar-Cohen, directrice de recherche à l’Inserm, qui a présidé le groupe de travail sur les LED de l’Anses, en 2010, « il y a, ­depuis cinq ans, une prise de conscience : les mutations radicales de nos technologies d’éclairage peuvent avoir des conséquences sanitaires qu’il s’agit de comprendre ».

(Florence Rosier, Le Monde, mercredi 12 août 2015)

  • Lire l’article "Effets sanitaires des systèmes d’éclairage utilisant des diodes électroluminescentes" sur le site Internet de l’Anses (Agence nationale de sécurité ­sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail)
Attention les yeux !
Science & Santé n° 26, page 6

En vignette de cet article, fragment de la couverture du magazine de l’Inserm Science & Santé n° 26 – juillet - août 2015.