La production TV de fiction

par Richard Andry

par Richard Andry La Lettre AFC n°179

Ceci est mon premier papier dans la Lettre de l’AFC. Il traite de la production TV de fiction, domaine que je peux revendiquer bien connaître, tout au moins du point de vue particulier du directeur de la photographie.
J’ai participé aux tournages de nombreux téléfilms unitaires et épisodes de séries, en 35 mm, Super 16 et HD, pour à peu près toutes les chaînes françaises, et c’est à ce titre que Kodak m’a invité le 3 juin dernier à une conférence tenue par Judith Zaylor, vice-présidente de Warner Télévision (USA). Cet événement studieux mais sympathique se déroulait au Pavillon Lenôtre, à Paris, devant une audience de qualité, représentant tous les acteurs du PAF, et avide de connaître " les recettes de la fiction TV aux USA ".

Il est vrai que quand on observe la grille des programmes TV français, ce que j’ai fait cet été, on peut voir défiler toute la gamme des produits US aux heures de grande écoute et, hormis quelques rares produits " phares ", la production française n’est le plus souvent représentée (quand elle l’est) que par des " rediff’s " de séries déjà anciennes à des heures de moindre audience. Pour un pays de plus 64 millions d’habitants, membre du G8, nous avons presque les mêmes grilles de programmes de fiction que certains pays qualifiés d’" émergents " dix fois moins peuplés. Le PAF est en crise, ce n’est pas un scoop, et cela n’a pas l’air d’aller en s’améliorant, et nous sommes nombreux, tant auteurs, qu’acteurs, réalisateurs ou techniciens, à tirer la langue en ce moment...

Je reconnais personnellement la grande qualité de la production américaine, mais cela ne m’empêche pas d’apprécier l’originalité et la qualité de la création télévisuelle française (quand on lui en donne les moyens) et de dénoncer sa mise en pièces, pour de sombres raisons politico-financières.
Je ne pense pas qu’il soit possible ni même souhaitable d’importer le modèle US, mais en cette période de grand chambardement dans l’organisation de l’économie de nos chaînes de diffusion et de grand bouleversement dans le domaine technologique (avec ses " grands " théoriciens et ses extrémistes), il n’est pas inutile d’observer les méthodes de travail de l’industrie TV US, qui semble, elle, en tout cas, être en bien meilleure forme que la nôtre. Je n’ai pas la prétention d’en faire ici l’analyse mais seulement de rapporter quelques " infos " sur le savoir-faire US, dans les domaines, qui nous concernent.

Judith Zaylor a une expérience de 25 ans dans le domaine de la production, de Dallas à FBI portés disparus en passant par Urgences et Smallville, elle a gravi tous les échelons de responsabilité dans le domaine de la production.
Quant à Warner Télévision, l’entreprise a produit près de 5 000 programmes TV en 10 ans, diffusés principalement aux heures de grande écoute (20h-23h). En 2007, elle a produit 19 séries et a tourné en plus 16 " pilotes " de nouvelles séries.
On peut résumer la dynamique annuelle de production du " modèle " Warner comme suit :
- de janvier à avril, production de pilotes pour des nouvelles séries
- 2e semaine de mai, choix parmi les pilotes des films et des nouvelles séries qui seront développées (50 %, environ, des pilotes) après que les chaînes de diffusion aient donner leur accord pour tourner 12 épisodes (soit une demi-saison environ)
- de mai à juillet, développement des projets, écriture des épisodes, préparation tournage
- juillet, début du tournage (qui pourra durer jusqu’à la fin mars de l’année suivante)
- fin septembre, début de la diffusion des nouvelles séries, et si le public accroche bien, les diffuseurs décident de continuer le tournage de la saison complète (22 ou 23 épisodes suivant les difficultés spécifiques à chaque programme). Le réseau de diffusion apporte 50 % du financement et pour la maison de production la longévité d’une série est très importante en ce qu’elle détermine les ventes à l’étranger et les ventes de DVD, certaines séries (Supernatural, Smallville) demandant jusqu’à cinq ans de production pour obtenir un retour sur investissement.
- en même temps que ces nouvelles séries, il faut assurer le tournage de nouveaux épisodes des séries sorties les annèes précédentes et qui en sont déjà à leur énième saison : (Urgences, Supernatural, Friends, par exemple)
Ce qui représente, au total, un énorme volume de production.

La TV a beaucoup changé depuis Dallas et le public demande plus maintenant, en particulier les jeunes. Pour répondre à cette nouvelle attente, les producteurs ont réagi, en diminuant le nombre de pages des scénarii, avant il y avait trois ou quatre pages pour décrire une scène, maintenant il y en une, et parfois même 1/8, car « le public a besoin de plus de stimulation aujourd’hui pour maintenir son intérêt ». Il y a moins d’angles de caméra différents et on tend à privilégier les plans d’installation (set-up) Pour Dallas on utilisait une seule caméra, maintenant on pratique systématiquement des mouvements de caméra (dollies, grues, Steadicam) et, d’une façon ou d’une autre, il y a toujours deux caméras même si on ne travaille pas avec les deux en permanence. Pour les shows qui n’utilisent pas d’effets spéciaux d’une manière habituelle, l’option FX est quand même toujours disponible. Tout cela augmente les coûts.
Les programmes, les épisodes des séries, ou les " dramatiques " ont une durée de 43’ en moyenne, et sont tournés en 8 jours (une journée de plus s’il y a des scènes d’action). Leur coût moyen est de 2 millions de dollars.

« Il y a des postes sur lesquels des économies peuvent être faites et d’autres qui ne souffrent aucun compromis » me disait Judith Zaylor.

En 2007, 16 programmes sur 19 ont été tournés sur pellicule film.
Urgences (E.R) est sur 35 mm 4 perfos, 2 hommes et demi (2 Men & a Half) enregistrée en public avec 4 caméras Super 16, et parmi les nouvelles séries Moonlight (Le Vampire) considérée comme chère, et nécessitant de nombreux effets spéciaux, est tournée en HD. Chuck, en Super 16, quand à Pushing Daisies, c’est en 35 mm, car le décor dans lequel officie le personnage principal est une boutique très stylisée, aux couleurs excentriques, avec des mouvements de caméra très sophistiqués qui utilisent différentes grues et des effets visuels très spéciaux. Pour le pilote, une séquence qui faisait une 1/2 page sur papier a nécessité 8 heures de tournage, elle présentait une femme qui chantait, la caméra tournant autour d’elle, puis un chien arrivait et tournait dans l’autre sens, ensuite un homme apparaissait, et il fallait filmer chaque point de vue.

« Nous devons pouvoir vendre nos produits actuels sur les marchés dans l’avenir et, pour cette raison, notre entreprise essaie de tourner sur du 35 mm. Moi je travaillais au départ sur de la vidéo, d’abord avec des émissions en " live " qui n’avaient pas de longévité. Mais tous les " dramas " tournés par Warner Bros ont une longévité certaine, et même encore aujourd’hui aux USA, les gens achètent I Love Lucy et Jack Benny, des séries datant de 1950 !
Et quand en 1998, Warner bros a repris Lorimar où je travaillais, ils nous ont donné comme impératif de tourner sur du 35 mm. » (Judith Zaylor)

Depuis 1990 les négatifs montés (ainsi que les chutes négatives) sont archivés. On les transfère sur les formats du diffuseur quand il en a besoin. Les émissions qui n’ont pas la même exigence de longévité sont transférées sur un format numérique.
Pour Moonlight (Le Vampire), toute la postprod’ a été faite en HD ce qui a fait gagner du temps pour le traitement des effets visuels en particulier, surtout dans le domaine du stockage d’images et pour la rapidité des opérations.

Au début des années 1990, les responsables des archives et ceux de la distribution avaient prédit que dans l’avenir, la diffusion se ferait en HD, il a fallu alors s’inquiéter des formats de cadrages, et la discussion fut longue pour savoir si cela serait en 16/9 ou en 4/3 et, pour des problèmes de compatibilité, on est même allé jusqu’à se demander s’il ne fallait pas tourner dans les deux formats !
Puis, sont apparus les dépolis tracés 4/3 et 16/9. Il fallait s’assurer que dans le cadre 4/3 rien ne traînait dans la réserve sur les cotés (perchiste, pied, électro) pour pouvoir transformer 4/3 en 16/9, puis plus tard, la demande s’est inversée et, en cadrant en 16/9, il a fallu s’assurer qu’aucun visage n’était coupé en 4/3, comme cela, on pouvait toujours diffuser en 4/3 ce qui avait été tourné en 16/9. Tous ces éléments sont archivés et représentent sûrement la plus grande médiathèque du monde compatible au format HD.
70 % de tout ce qui est tourné maintenant est stocké sur film et peut être transféré sur n’importe quel format connu.
Les USA passe à la diffusion en HD en février 2009, 95 % des téléspectateurs sont équipés et la plupart des diffuseurs américains diffusent déja en HD, (NBC en 1 080i, CBS en 720p, ABC en 720p)

Quand une des comédiennes principales est une star ou une femme de plus de 33 ans, on tourne en 35 mm (dans Closer, qui est une série considérée comme pas très chère, une des héroïnes a plus de 40 ans, et Judith Zaylor pense que bien qu’elle soit naturellement belle, le 35 mm l’arrange quand même un peu...)

Les " comédies " (shows du style 2 hommes et demi), ne sont plus tournées en 35, mais en 16 car, avec 4 caméras, elles consomment beaucoup de pellicule. Mais le pilote peut être tourné en 35 mm.
Le 35 mm 3 perfs est utilisé depuis très longtemps, mais surtout depuis 1989-90 quand Panavision a pu transformer un assez grand nombre de caméras. Car c’était très difficile à l’époque de trouver des caméras 3 perfs.
Une nouvelle série intitulée Chuck, devait être tournée en 35 mm. Le pilote avait été filmé en super 16 et en 35 mm pour les scènes d’action. NBC, le diffuseur, voulait un tournage en HD, le producteur ne voulait pas de HD parce qu’il trouvait qu’on ne pouvait pas se déplacer assez vite avec les caméras HD. Le Super 16 a été l’outil idéal, et la chaîne n’a rien eu à y redire.
Des essais ont été effectués avec la Red One, caméra considérée comme prometteuse, mais jugée pas assez fiable pour le tournage de programmes diffusés aux heures de grande écoute, car elle semble souffrir encore de défauts rédhibitoires, mais, considérant la compétitivité de son prix d’achat, son évolution est suivie avec beaucoup d’intérêt. Ils ont aussi essayé la Genesis et la Dalsa, mais Warner pense surtout « qu’en ce moment, en ce qui concerne le stockage du numérique, on ne sait pas trop où on va et qu’il est urgent d’attendre pour voir comment cela va évoluer ».

Voilà, j’ai terminé mon devoir de vacances et, en guise de conclusion, avant de retourner rejoindre les autres au bord de la piscine, je voudrais répéter ces mots de Judith Zaylor qui m’ont apporté un peu de réconfort :

« Le réalisateur du pilote, avec le directeur de la photographie, va composer le format et déterminer la façon dont la série va être tournée. »
Il y a encore un peu d’espoir. Et, clic-clac, merci Kodak pour l’invitation.