"La star, c’est le scénar !"

Par Charles Gassot, producteur

La Lettre AFC n°240

Le Figaro, 4 février 2014
Mortelle randonnée, de Claude Miller, c’est lui, les comédies d’Étienne Chatiliez, aussi. Suite à la publication du rapport Bonnell et ses 50 mesures pour le financement du cinéma français, le producteur à la retraite a écrit au Figaro. En colère, il dénonce le mépris actuel pour le scénario.

Comme tous les quatre à cinq ans, le débat sur le cinéma fait rage. Celui autour des cachets des acteurs est intéressant. J’ai été à plusieurs reprises, " l’heureux producteur ", comme l’on dit, de films comme La Vie est un long fleuve tranquille, Tanguy, Tatie Danielle, Un air de famille...

Ces films ont dépassé la barre des 4 à 5 millions d’entrées. Je rappelle juste qu’ils ont été produits et réalisés dans l’indifférence générale. À tel point que lorsque je proposais un projet de film à René Bonnell (ancien de Gaumont, de Canal+ et rapporteur sur le financement du cinéma français, NDLR), il me demandait si c’était (encore) un casting à la Gassot… Hélène Vincent, André Wilms, Catherine Jacob, Catherine Frot, Jean-Pierre Darroussin, Isabelle Nanty... Tous venaient du théâtre et ont été bien vite récupérés par le cinéma.

Pourquoi ceux qui se disent producteurs ne reprennent pas la même re­cette ? Parce qu’ils n’auront pas le 20 h de TF1 ? Parce qu’ils n’auront pas tel ou tel coproducteur ? Où est le courage de produire si on ne brise pas les chaînes ?

À la suite de ces succès, la ministre de la Culture de l’époque, Catherine Tasca, m’avait demandé de faire un rapport sur le scénario. Celui-ci avait donné pour une fois un nouvel éclairage sur ses mystères et a apporté un peu plus d’argent pour les scénaristes. Je crains hélas que le soufflé soit retombé depuis.

Le problème actuel de la déroute de certaines grosses productions ne serait-il pas dû à un générique alléchant au total détriment d’un vrai travail sur le scénario qui redevient la dernière roue d’un carrosse bien abîmé ? Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? Tout simplement à cause des commissions mise en place par les coproducteurs comme Orange, Canal+, TF1. Des chaînes qui interviennent à tous les niveaux et qui n’ont aucune conscience ni du public ni de la création et qui, pour se rassurer, prennent le meilleur casting du moment.

D’où viennent ces nouveaux censeurs ? Qui sont-ils ? Ont-ils à un ­moment pris un seul risque dans le ­cinéma ? Pouvez-vous me citer un nom reconnu par les professionnels de la profession ? Aucun. Ils sont obscurs mais flinguent à tour de bras tout ce qui sort de la norme, de leur norme. Le propre du cinéma est justement de ne pas être dans la norme.

Où sont passés les producteurs, pas ceux qui ne produisent que des bides parce qu’ils sont " financés ", à défaut de produire, pour parodier Sacha Guitry, au moins une bonne impression ? Il ne nous reste que des " producteurs " issus de la finance et quelques fils à papa. Cela fait chic dans les soirées mondaines de se dire producteur.

Est-ce que la notion de risque existe encore dans la profession ? Y a-t-il encore un producteur prêt à mettre ses propres biens en garantie pour un projet ? Avant l’apparition de ces " nouveaux censeurs ", j’ai eu la chance de produire une cinquantaine de films. La création avait le dessus, la confiance était là. Aujourd’hui avec ces ­" commissions " des télés, je ne ­pourrais pas monter le moindre court-métrage.

Faudra-t-il encore attendre longtemps pour que la profession se réveille et s’en remette à des " pros prêts à se faire virer si leurs choix ne sont pas suivis par le public ? Quand laissera-t-on les demi-sels aux vestiaires ? À la sortie de La Vie est un long fleuve tranquille, j’avais lu dans feu L’Événement du jeudi un article, enfin article. Cela disait : « À voir éventuellement. » Les spectateurs sont venus et très nombreux. Parce que la star du film reste le scénario. Sans scénar, pas de star. C’est une question de survie du cinéma mais il faut du courage. Je ne pense pas que ce soit inscrit dans le rapport de René Bonnell.

(Charles Gassot, tribune publiée dans Le Figaro du mardi 4 février 2014)