Le cinéma italien refuse son régime sec

Par Philippe Ridet

La Lettre AFC n°208

Le Monde, 23 mars 1201

Productions arrêtées, théâtres et scènes lyriques fermés, acteurs muets. Vendredi 25 mars, le monde du spectacle italien sera en grève à l’appel unitaire des trois syndicats les plus importants.
Le plan de rigueur adopté par le gouvernement a été sans pitié pour le ministère de la culture, qui devra se passer de 568 millions d’euros par an d’ici à 2013. Si tous les secteurs sont concernés, le cinéma paye le prix fort de ces coupes.

Le Fonds unique pour le spectacle (équivalent de l’Avance sur recettes) a été taillé de 213 millions d’euros, la moitié de sa dotation habituelle, mettant en péril un bon nombre de productions.
La Mostra de Venise voit son budget passer de 7,1 millions d’euros en 2010 à 4 millions d’euros en 2011. Le président de la Biennale, Paolo Baratta, en a appelé à Silvio Berlusconi pour qu’une mesure législative exceptionnelle soit adoptée.

Autre institution mise en péril, l’Istituto Luce devra se contenter de 7,5 millions d’euros (soit le quart de son budget de 2008) pour fonctionner. Né en 1925 de la volonté de Mussolini de contrôler les actualités cinématographiques, l’institut est devenu la cheville ouvrière de la conservation, de la diffusion et de la distribution du cinéma italien.
« Notre mission est triple », explique Roberto Cicutto, son directeur. « Archiver, numériser, commercialiser notre patrimoine composé notamment de 4 000 heures d’actualités et de documentaires sur pellicule. Promouvoir le cinéma italien classique et contemporain dans les festivals et assurer la distribution des premières et deuxièmes œuvres. » Pour l’heure, l’institut n’a pas failli à sa mission. Le nombre d’œuvres italiennes dans les festivals a augmenté de près de 50 %. C’est grâce au Luce qu’une rétrospective Bertolucci a pu être montrée au MoMA de New York ou que le film Le Quattro volte de Michealangelo Frammartino a pu être distribué.

Mise en péril
Ces coupes drastiques font craindre la fermeture de l’institut. Les cinéastes Marco Bellochio et Roberto Begnini ont pris la tête de la protestation. « Une très mauvaise nouvelle », a réagi le réalisateur de La vie est belle (1998). « L’Istituto Luce, c’est notre mémoire, nos rêves, notre histoire. Comment fait-on pour fermer l’histoire ? »
Face à l’inquiétude des professionnels qui craignent la mise en péril de tout un secteur de l’industrie, le ministère de l’économie ne propose pour l’heure que des rustines. Une taxe de 1 euro sur le prix des billets de cinéma « à l’exception des salles ecclésiastiques et religieuses » va voir le jour à partir du 1er juillet pour compenser le manque à gagner. Cette agitation du monde du spectacle et de la culture a conduit le ministre des finances, Giulio Tremonti, a esquissé un pas en arrière : « J’ai vu, j’ai entendu, j’ai compris », a-t-il dit sans faire de proposition. Lassé d’attendre et de servir de bouc émissaire de toutes les contestations, le ministre de la culture, Sandro Bondi, s’est mis en grève. Il ne met plus les pieds dans son bureau depuis trois mois.

(Philippe Ridet, Le Monde, 23 mars 1201)