Le directeur de la photographie Arnaud Potier parle de son travail sur "Les Cow-boys", de Thomas Bidegain

Un premier film ambitieux

Avec une carrière qui se partage entre les États-Unis et la France, Arnaud Potier s’est fait connaître récemment avec les deux longs métrages de la comédienne et réalisatrice Mélanie Laurent. Stockholm Pennsylvania et 5 to 7 sont aussi deux productions américaines indépendantes qui devraient sortir prochainement en France. Il signe aujourd’hui l’image des Cow-boys, premier film, en tant que réalisateur, du scénariste à succès Thomas Bidegain (Un prophète, De rouille et d’os, La Famille Bélier). Une histoire ancrée dans l’actualité qui parle d’un père (François Damiens) à la recherche de sa fille partie faire le djihad au Pakistan. (FR)
Arnaud Potier sur le tournage des "Cow-boys" - Photo Antoine Doyen
Arnaud Potier sur le tournage des "Cow-boys"
Photo Antoine Doyen

Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce film ?

Arnaud Potier : Je connaissais le travail de Thomas en tant que scénariste sur les films de Jacques Audiard, mais on ne s’était jamais croisé. Ma première découverte du film s’est faite à partir de la lecture du scénario, à la suite d’un appel du producteur Alain Attal. Après ça, j’ai rencontré Thomas, et on a échangé nos visions respectives du film. Dès cette première discussion les choses ont été très fluides entre nous. Une relation très sincère avec quelqu’un que j’avais l’impression de connaître depuis déjà longtemps.

Aviez-vous des références précises ?

AP : J’aime bien éditer un petit carnet de références visuelles et photographiques sur chaque projet. Ce film n’a pas dérogé à la règle et ça nous a permis d’échanger lors des phases de préparation. Je trouve ça efficace car ça permet de parler très concrètement de contraste, de couleur et de toute une série d’éléments qu’on transcrit ensuite en termes techniques. S’en sont suivis quelques essais d’optiques, sur lesquels j’ai essayé de faire entrer Thomas dans le processus en lui montrant le résultat de mes tests. Je trouvais que c’était très important, notamment sur un premier film, d’associer le plus possible le réalisateur au choix de son image.

Vous avez pu participer aux repérages ?

AP : Vu le nombre de lieux, le planning de préparation a été trop court pour moi. Les repérages étaient déjà bien avancés quand je suis arrivé en septembre 2014 sur le film, notamment ceux à Udaipur en Inde, effectués dès le mois d’août par François Emmanuelli, le chef décorateur. Que ce soit en France ou en Belgique, on a aussi dû faire des choix assez rapides et radicaux pour pouvoir se mettre autour d’une table et préparer concrètement le film. A partir de novembre on a tourné pendant 41 jours.

Vous connaissiez déjà l’Inde en tant qu’opérateur ?

AP : Je n’avais tourné que des publicités là-bas. Ce qui frappe visuellement, c’est l’immensité des ciels et les couleurs qui y sont très vives, que ce soit dans les vêtements, dans l’architecture, et même dans la végétation. Des couleurs qu’on a dû souvent calmer à l’image, surtout dans les séquences urbaines, car la région du Pakistan, où est censée se passer le film, est en réalité plus terne.

C’est plutôt ambitieux pour un premier film...

AP : Oui, mais c’était une sorte de faux premier film. Même si Thomas n’a officiellement jamais réalisé de long métrage avant Les Cow-boys, il a une grande habitude de l’image, des rushes. Comme il a été distributeur et producteur au début de sa carrière, et qu’il a une culture cinématographique énorme, ça ne le classe pas dans la catégorie des réalisateurs débutants !
Il s’avère, en plus, que c’est quelqu’un de délicieux, qui met sur un plateau une ambiance détendue. Les gens ont tout de suite envie de travailler à 200 % pour lui.

Comment travaille-t-il ? Aviez-vous un découpage très précis ou, au contraire, laisse-t-il beaucoup de liberté aux comédiens ?

AP : Ça dépendait des scènes... Pour les besoins de certaines séquences très techniques, on travaillait sur un découpage précis mais, autrement, les choses se mettaient en place au fur et à mesure. Il avait beaucoup répété avec les comédiens en amont du tournage, et on faisait rarement plus de trois prises sur chaque plan.
Certes la première semaine a peut-être été un peu moins assurée, mais très vite les choses se sont mises en place avec l’ensemble du casting. Notamment avec John C. Reilly, qui est quelqu’un de très simple et très accessible malgré son statut de star internationale.

Quels ont été vos choix d’image pour le film ?

AP : Le choix du Scope d’abord, tout de suite évoqué par Thomas. La plupart de ses références étaient d’ailleurs des films en anamorphique, et je pense qu’il voulait vraiment aller vers ce côté très cinématographique que procure ce format. Même si j’avais déjà mon idée sur les optiques que j’avais envie d’utiliser, j’ai fait des essais pour Thomas, comparant les Hawk, les Kowa et les Lomo. Et ce sont justement ces dernières optiques qui ont été sélectionnées pour le film.

Pourquoi ?

AP : C’est surtout la profondeur dans le point que j’aime avec les Lomo. Pour les exploiter correctement, je trouve qu’il ne faut pas descendre en dessous de 3,5 de diaph. Comme la série n’est pas uniforme en ouverture, ça permet de ramener toutes les focales au même diaph.
Du coup, c’était un peu un challenge de tourner en extérieur nuit à 3,5, même en utilisant l’Alexa XT 4/3 à 1 000 ISO, comme je le fais régulièrement sur mes tournages. Mon seul petit regret, même si j’avais les Lomo en tête, a été de ne pas pouvoir faire d’essais comparatifs avec des optiques Scope Panavision (le film se faisant chez TSF).

L’Alexa prise à 1 000, ce n’est pas le réglage le plus courant...

AP : Je trouve que 1 000, c’est un bon réglage, car ça ramène un petit peu de bruit, et ça casse le côté un peu numérique, sans poser problème, que ce soit sur les couleurs ou sur la tenue générale de l’image. En outre, je l’avoue, j’ai utilisé parfois l’obturateur ouvert à 360° sur quelques plans où je manquais vraiment de lumière... je pense que seuls les yeux avertis les verront !

Avez-vous utilisé d’autres caméras ?

AP : Comme on avait pas mal de séquences de voiture en France et en Belgique, j’ai demandé ponctuellement à avoir une Alexa M. Et finalement, je trouve que cette caméra n’est pas si pratique que ça dans ces conditions. La faute surtout aux câbles et à l’enregistreur qu’il faut toujours tirer et placer quelque part, et qui sont, au demeurant, assez fragiles... Du coup, le départ en Inde s’est fait avec deux caméras Alexa XT pour des raisons de fiabilité.

Avez-vous tourné parfois à deux caméras ?

AP : Il n’y a eu que trois jours tournés à deux caméras... mais je dois avouer que je suis un peu "control freak" sur ce point, et que je n’aime pas trop partager le cadre sur les films ! Pour moi le travail du cadre est un tout avec la lumière.

Quelle a été la séquence la plus difficile pour vous ?

AP : Celle de la prison au Pakistan. On tournait dans un décor naturel transformé en cellule, il ne fallait bien sûr absolument pas sentir le "studio". Pas évident de créer une atmosphère avec des murs très nus, et une petite lucarne pour faire venir la lumière. Faire ressentir l’étroitesse du lieu, sans pouvoir bouger les murs, était un vrai défi sur ces scènes... Le travail de finition de François Emmanuelli a fait des merveilles.

Les Lomo sont des optiques vintage que beaucoup apprécient aussi pour leurs flares particuliers...

AP : Je ne suis pas hyper fan des flares non justifiés, et souvent ce sont les réalisateurs de pub qui vont les chercher et les mettre en avant au montage ! Sur ce film, j’avais vraiment décidé de ne pas jouer avec. Mais il y a quand même un long plan Steadicam au début du film où François Damiens chante une chanson avec un flare interminable... D’autres prises sans le flare ont ensuite été faites, mais c’est celle-là qui a été choisie au montage pour des raisons de synchro avec la chanson. J’ai pourtant plaidé jusqu’au bout pour qu’ils montent une autre prise... mais en vain !

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)

Les Cow-boys
Réalisation : Thomas Bidegain
Décors : Francois Emmanuelli
Son : Pierre Mertens