Le directeur de la photographie Denis Rouden, AFC, parle de son travail sur "Zulu", de Jérôme Salle

par Denis Rouden

Denis Rouden, AFC s’est illustré notamment auprès de Olivier Marchal, en signant l’image de plusieurs polars assez sombres (36 quai des Orfèvres, MR73, Les Lyonnais...). Il est aussi le fidèle collaborateur de Laurent Tirard avec qui il a fait deux films, dont le dernier Astérix, l’un des plus gros budgets de l’année 2012. Zulu est également son quatrième film avec Jérôme Salle, après Anthony Zimmer et les Largo Winch.
Denis Rouden, caméra à la main, avec Forest Whitaker - Photo Michael Agel
Denis Rouden, caméra à la main, avec Forest Whitaker
Photo Michael Agel


Quelles ont été vos influences pour ce nouveau film ?

Denis Rouden : Je pense qu’il faut citer le premier Inspecteur Harry de Don Siegel, photographié par Bruce Surtees. On s’est beaucoup inspiré, avec Jérôme, de la manière dont ces films étaient tournés à l’époque... Dans une sorte d’urgence et un côté très basique. En tout, on a passé seulement onze semaines de tournage et très peu d’heures sup’. Avec un côté énergique et une image très solaire. Des plans faits en posant rapidement la caméra entre les genoux, alternant avec des plans au Stead quand la scène l’imposait. Cette volonté est vraiment venue de Jérôme qui voulait rompre un peu avec le côté spectaculaire et chorégraphié de ses deux précédents films (les deux Largo Winch). D’une certaine manière, c’était aussi pour lui l’occasion de revenir au style de son premier film (Anthony Zimmer) qui était aussi un film de personnages et de suspens avant d’être un film d’action. C’est aussi pour cette raison que je lui ai proposé de revenir à la prise de vues anamorphique qu’on avait utilisée à l’époque (mais en 35 mm).

Est-ce que le fait de tourner avec deux stars américaines change la donne sur le plateau ?

DR : Ça a été une chance incroyable pour nous d’obtenir l’accord de ces deux comédiens. J’ai parfois eu l’occasion de brièvement tourner avec d’autres stars américaines, comme Sharon Stone par exemple, mais faire un film entier avec les deux rôles principaux interprétés par de tels talents, c’est pour moi une expérience unique et très forte. La rigueur, la préparation et le niveau de concentration développée par l’un comme l’autre forcent le respect. La rapidité par exemple avec laquelle Orlando s’est approprié ce personnage afrikanner était très impressionnante. Ça propulse littéralement le film et l’équipe en poussant chacun à se dépasser dans son travail.

Est-ce que chacun a sa méthode ?

DR : Chacun a son caractère, mais l’attitude de travail est intimement liée aux caractères qu’ils interprètent. Par exemple, on sentait Forrest totalement investi dans ce personnage de flic torturé par son passé, meurtri dans ses chairs et dans sa tête. À l’exception d’une séquence un peu plus légère de repas entre flics où l’atmosphère était assez détendue, et où clairement il s’ouvrait plus au reste de l’équipe, on voyait vraiment que son immersion était telle qu’on ne pouvait en aucun cas l’excuser de limiter au minimum les moments de détente entre les prises... Un comportement qui aurait été simplement pour lui hors sujet.
La comparaison avec les méthodes de travail qu’on connaît dans le cinéma français est pour moi riche d’enseignement ! Non pas qu’on n’ait pas de bons comédiens en France mais, objectivement, le niveau de préparation, de concentration et d’engagement de tous les instants a été sur ce film au-delà de ce que j’ai pu connaître jusqu’alors. On a vraiment la sensation de travailler avec des gens qui sont très stricts sur leurs conditions de travail mais qui donnent absolument tout en retour.

Et l’équipe sud-africaine ?

DR : J’ai eu la chance de travailler avec des équipes extrêmement bien formées à l’école des grosses productions US et autres séries TV. On trouve tout ce qu’on veut comme matériel chez les loueurs et, en plus, les chefs de poste sont tous suréquipés. D’un point de vue emploi du temps, on a choisi de faire des journées continues, essentiellement parce que les équipes techniques locales sont habituées à ce type de travail. Je dois dire que ça collait parfaitement au rythme que Jérôme voulait insuffler à la mise en scène, rester sur quelque chose de dynamique et coller au jeu et à la concentration des comédiens. Chacun était à 100 % dans le film tout au long de la journée, donnant dix heures durant (avec une courte pause d’une demi-heure pour se reposer) des performances à chaque fois parfaites devant la caméra.

Comment avez-vous éclairé les extérieurs nuit ?

DR : Pour les extérieurs nuit, notamment dans les townships, j’ai choisi de coller le plus près possible aux ambiances naturelles en utilisant des bacs sodium et en poussant un peu la caméra à 1 280 ISO. Pour quelques séquences plus classiques, j’ai sorti des Dinolight ou des ballons à helium pour faire des contre-jours sur des grandes surfaces... J’ai aussi utilisé quelques HMI que mon " gaffer " corrigeait avec une gélatine bleu vert pour donner un coté plus urbain à ces contre-jours. Mais la plupart de la lumière vient surtout de petites sources d’appoint " naturelles ", comme des bacs, des réglettes fluo...

Avez-vous utilisé du matériel inhabituel pour vous ?

DR : Les machinos et les électros utilisent beaucoup, là-bas, les Ladderpod. Un accessoire qu’on n’a pas en France parce qu’il est interdit sur les plateaux pour des raisons de sécurité. Ce sont des espèces de praticables formés par trois échelles rejointes au sommet par une platine destinée à recevoir la caméra. La mise en place est très rapide et ça permet de faire très vite des installations à hauteur conséquente sans rentrer dans toute la lourdeur des tours ou des praticables empilés les uns sur les autres.

Et les intérieurs jour ?

DR : Sur les intérieurs jour, j’ai souvent mélangé les sources de lumière de différentes températures de couleur, ré-éclairer par exemple en tungstène avec un quart de CTO pour équilibrer un décor éclairé par des découvertes en 5 500 K. C’est en réglant après sur le menu de l’Alexa qu’on trouve un réglage qui convient, souvent aux alentours de 4 000. De ce point de vue, le numérique me permet de risquer ce genre de mélanges beaucoup plus souvent que je ne le faisais en film. Une méthode que j’utilise depuis régulièrement comme sur le film que je tourne en ce moment (Le Dernier diamant d’Eric Barbier).

(Propos recueillis par François Reumont)

  • Lire également un entretien avec Denis Rouden publié dans le supplément au n° 584 de Sonovision de mai 2013.