Le directeur de la photographie Julien Poupard parle de son travail sur "Party Girl", de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis

Julien Poupard a éclairé de nombreux courts métrages depuis sa sortie de La fémis, en 2006. Il a été l’assistant d’Yves Cape, AFC, sur des films de Bruno Dumont puis débute sa carrière de chef opérateur de long métrage sur le film Voie rapide, de Christophe Sahr. Party Girl est son quatrième long métrage, il retrouve pour l’occasion Claire Burger et Marie Amachoukeli qui avaient remporté le César du meilleur court métrage avec C’est gratuit pour les filles. Un troisième réalisateur, Samuel Theis, interprétant son propre rôle, vient compléter l’équipe de Party Girl qui ouvre l’édition 2014 de la section Un certain regard à Cannes. BB

Synopsis : Party Girl parcourt l’existence d’Angélique, soixante ans, entraîneuse dans un bar de nuit, qui aime encore la fête et les hommes mais qui, devenue la doyenne, se sent en fin de course. Sur un coup de tête, elle accepte d’épouser Michel, son client régulier. Elle a eu quatre enfants, dont elle ne s’est pas occupée. C’est une histoire vraie, interprétée par les vrais personnages.

Sur le tournage de "Party Girl" - De g. à d. : Virginie Cheval, scripte ; Antoine Chevrollier, 1<sup class="typo_exposants">er</sup> assistant réalisateur ; Julien Poupard ; Claire Burger, réalisatrice ; Ronan Boudier, 1<sup class="typo_exposants">er</sup> assistant opérateur ; Alma Galy-Nadal, 2<sup class="typo_exposants">e</sup> assistant réalisateur ; Marie Amachoukeli, réalisatrice ; Samuel Theis, réalisateur ; Mathieu Villien, chef opérateur du son - DR
Sur le tournage de "Party Girl"
De g. à d. : Virginie Cheval, scripte ; Antoine Chevrollier, 1er assistant réalisateur ; Julien Poupard ; Claire Burger, réalisatrice ; Ronan Boudier, 1er assistant opérateur ; Alma Galy-Nadal, 2e assistant réalisateur ; Marie Amachoukeli, réalisatrice ; Samuel Theis, réalisateur ; Mathieu Villien, chef opérateur du son - DR


Comment s’est passée ta collaboration avec trois réalisateurs à tes côtés ?

Julien Poupard : Dans le trio, j’avais déjà travaillé avec Claire et Marie sur deux courts métrages. On se connait donc très bien, on a expérimenté pas mal de choses sur des courts métrages. Il est vrai que trois réalisateurs, c’est beaucoup, mais ils se connaissent très bien et ils ont vraiment fait le film à trois en y apportant chacun quelque chose de différent.
Claire était, parmi les trois, la plus proche de l’image. Elle est monteuse de formation, donc elle sait rebondir sur les impros et définir les plans manquants, tout en se concertant avec Marie et Samuel. On a vraiment travaillé ensemble, en discutant pas mal entre les prises.

Peux-tu nous expliquer en quoi le tournage de Party Girl a été particulier ?

JP : L’originalité du tournage est liée au scénario qui est issu d’une histoire vraie et au fait que tous les rôles soient interprétés par des comédiens non professionnels. Party Girl est l’histoire de Samuel, de sa mère et de sa famille. Tous jouent leurs propres rôles dans le film. Les réalisateurs voulaient laisser une liberté absolue aux acteurs. C’est l’énergie du jeu, de la prise, qui prime sur tout.
Nous étions donc tous dans ce système d’impro. Il y a un vrai parti pris de se laisser emmener par les acteurs, comme un défi lancé pour tous. Je ne savais pas ce qu’il allait se passer dans les scènes, il n’y avait pas de répétitions, aucune marque au sol, aucun pied de projecteurs. Tout est filmé à l’épaule, nous ne faisions jamais deux fois une prise dans le même axe. Parfois, nous ne coupions même pas entre deux prises, les acteurs ne savaient plus si la caméra tournait ou pas.

J’ai d’ailleurs longuement réfléchi à la constitution de l’équipe image. Pour répondre à ces défis d’impro où il s’agissait d’être discret et réactif, j’ai choisi de partir avec une équipe très réduite et polyvalente : deux assistants caméra, Ronan Boudier et Marine Beauguion, et un électro-machino-assistant caméra, Simon Roche.
Ces impros sont de vrais défis techniques à tous les niveaux, à la fois vertigineux et passionnants. Pour le pointeur, cela demande une attention particulière à chaque plan, une vraie " prise de risque ", il faut aussi que l’on coordonne cadre et point. Pour le perchiste, c’est aussi compliqué de ne pas toujours savoir quelle est la personne cadrée. Mais on a vraiment fait le film en équipe, en prenant des risques encouragés par les trois réalisateurs.

Julien Poupard et Ronan Boudier
Julien Poupard et Ronan Boudier


Cette manière de filmer a-t-elle entrainé des contraintes d’éclairage ?

JP : Oui, il fallait tout mettre au plafond ou cacher les projecteurs. Dans le décor du cabaret, qui est le vrai cabaret où Angélique a travaillé lorsqu’elle était entraineuse, j’ai utilisé les PARs existants et ajouté des PARs plus petits, des PARs 16. La lumière de ce décor est également le fruit d’un travail avec le chef déco, Nicolas Migot. On a utilisé des néons de couleur, des lampes, des lasers... On a fait un mélange entre ce qui pré-existait et une volonté artistique de moderniser le cabaret.
Pour les " espaces séparés ", des endroits très sombres par nature, j’ai utilisé des Dedolight qui éclairaient en rebondi les murs rouges. L’intervention lumière était légère et respectait les couleurs du lieu mais cela permettait de voir un peu plus...
Pour les autres décors, je soignais les entrées de lumière par les fenêtres. Pour les intérieurs nuit, j’ai principalement utilisé des Lucioles Nano sur dimmer.

On a utilisé assez peu de lumières additionnelles sur le film. L’idée était de rester dans une lumière "documentaire ", d’accepter une image brute, pas toujours très " propre " et d’agir avec beaucoup de simplicité. Par exemple, pour la scène de nuit d’enterrement de vie de jeune fille d’Angélique, on a utilisé une guirlande lumineuse que possédait la fille d’Angélique chez qui on tournait la scène. Pour les extérieurs jour, on faisait plutôt de la lumière en cadrant. On privilégiait certains axes par rapport au soleil et aux différents fonds.

Pour ce film au réalisme assumé, les essais ont dû être absolument nécessaires ?

JP : Oui, les essais ont été très utiles. J’ai comparé la Red Epic et la Sony F55 qui venait tout juste de sortir. Mais la F55 n’était pas encore tout à fait au point. Avec l’Epic, je savais que je pouvais être sur un mode tout terrain avec une grande fiabilité. C’est une caméra légère et compacte.
Les assistants caméra ont fabriqué des éléments pour équilibrer la caméra. Il fallait que cette caméra à l’épaule soit supportable pour tourner environ trois heures de rushes par jour. J’ai testé pas mal d’optiques et de filtres avec le maquillage, surtout pour l’héroïne. Elle a 60 ans et est assez marquée.

Nous avons fait des essais en plein soleil, et le rendu était très dur sur son visage, ça la desservait totalement. Malgré son âge, que nous ne voulions pas du tout tricher, il fallait que l’on trouve une manière de la filmer plus photographique.
On a alors décidé de la filmer davantage à contre-jour et dans l’ombre. Au final, ça la rend beaucoup plus mystérieuse dans le film et c’est très intéressant.

Quelles optiques as-tu choisi pour tourner à l’épaule et accepter les décors très sombres ?

JP : On avait des Mini Cooke S4 qui sont des optiques très légères. Pour le cabaret, j’avais des Zeiss Ultra Prime afin d’être un peu plus sensible et de changer légèrement le " look " de l’image. J’ai aussi utilisé un zoom Angénieux Optimo 28-76 mm pour les séquences plus " documentaires " comme la fête du village ou le lâcher de montgolfières. J’avais besoin d’un zoom pour être plus rapide et m’adapter plus facilement au réel.

Comment s’est passé l’étalonnage ?

JP : Une fois le film monté, il est vrai que les plans partaient dans tous les sens ! Mais de toute façon, on le savait, cela faisait parti des choix de tournage. On a alors cherché un " look " assez fort sur l’image. Avec Christophe Bousquet et Thibault Carterot, chez M141, nous avons testé un effet de sans blanchiment " maison ". Cet effet adoucissait les peaux et les hautes lumières. Par contre, la désaturation nous plaisait moins et certaines couleurs devenaient un peu fausses.
Au fur et à mesure de l’étalonnage, on a atténué cet effet de 40 % à 20 %, puis 10 %. Par moment on l’a même supprimé. Finalement, l’effet est très léger mais il est là. L’image finale est assez proche de celle des rushes mais cette recherche, comme un cheminement, laisse une trace sur l’image du film.
J’aime beaucoup l’idée du cheminement. Cette somme d’accidents et d’intuitions au cours des essais, du tournage et de l’étalonnage construisent petit à petit l’image du film.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)