Le directeur de la photographie Nicolas Gaurin parle de son travail sur "Hippocrate", de Thomas Lilti

Nicolas Gaurin a fait ses premiers pas comme directeur de la photographie auprès d’Anthony Cordier pour Douches froides, collaboration suivie d’un deuxième film, Happy Few. Entre ces deux longs métrages, il signe l’image de Notre étrangère, de Sarah Bouyain, et de Stella, troisième long métrage de Sylvie Verheyde qu’il retrouve quelques années plus tard pour Confessions d’un enfant du siècle (présent à Cannes en 2012). Sa carrière se poursuit avec Audrey Fouché pour Memories Corner et avec Marion Vernoux pour Les Beaux jours. Hippocrate, projeté en clôture de la Semaine de la critique, est le deuxième film de Thomas Lilti et l’occasion pour Nicolas Gaurin de travailler avec ce réalisateur pour la première fois.

Synopsis : Benjamin effectue son premier stage d’interne dans le service de son père, le professeur Barois, mais rien ne va se passer comme il l’espérait. Il va se confronter brutalement à ses limites, à ses peurs, à celles de ses patients, des familles, des médecins, du personnel. La pratique se révèle plus rude que la théorie, la responsabilité est écrasante, son père est aux abonnés absents et son co-interne est un médecin étranger plus expérimenté que lui. Benjamin n’est plus sûr de rien. Il commence alors son parcours d’adulte.

Thomas Lilti, main levée à droite, et Nicolas Gaurin, caméra à l'épaule, sur le tounage d'"Hippocrate" - DR
Thomas Lilti, main levée à droite, et Nicolas Gaurin, caméra à l’épaule, sur le tounage d’"Hippocrate"
DR


Thomas Lilti a lui-même fait médecine, il avait donc une idée précise du film ?

Nicolas Gaurin : Oui, il en connaît très bien l’univers ! Son parti pris était de faire un film à mi-chemin entre la comédie, la chronique et le drame. Il avait envie d’une image réaliste, pas d’une lumière léchée ni sophistiquée.
En tant que personne et opérateur, mon expérience de l’hôpital se limite à être soit le malade, soit le visiteur, et dans la proposition de Thomas, on passe du candide au savant et c’est ce qui m’a intéressé. Thomas a été l’initiateur de ce parcours, je suis sorti du film avec une plus grande connaissance du monde hospitalier, comme Benjamin, interprété par Vincent Lacoste.
J’ai évidemment été confronté aux murs blancs ou aux couleurs " apaisantes " typiques de ce genre d’endroit mais il fallait les conserver au mieux sans vouloir enjoliver la réalité d’un service hospitalier. Nous ne voulions pas que ce soit comme dans des séries télé, type Docteur House, avec des décors, une lumière et une pratique médicale donnant une impression de facilité et de glamour. L’idée était d’éviter une image trop " propre " pour ne pas distraire de la difficulté du travail quotidien.

De quelle manière avez-vous préparé Hippocrate  ?

NG : Globalement, l’idée du découpage était de rester au plus près du point de vue de Vincent. On découvre avec lui le service et on passe d’une vision un peu stéréotypée à plus de profondeur et d’intimité en suivant son parcours initiatique. Nous avons notamment regardé Fish Tank, d’Andrea Arnold, une réalisatrice anglaise qui est un peu la fille de Ken Loach, avec plus de lyrisme.
Fish Tank est très réaliste, tout est tourné à l’épaule, avec une caméra qui suit toujours le personnage principal. C’était un film intéressant par rapport au projet de Thomas, le procédé de filmage n’est jamais inquisiteur et garde des espaces de lyrisme très beaux.

Le cadre 1,33 de Fish Tank vient aussi centrer le personnage, ce qui n’est pas le cas sur Hippocrate, tourné en 2,39. Il fallait trouver un moyen d’être toujours avec Vincent sans pour autant oublier ses interlocuteurs.
Une façon de passer de sa subjectivité à un accompagnement proche. C’est parfois difficile de trouver la juste mesure, la position de la caméra peut être derrière lui, devant lui ou à côté, avec ou sans amorces suivant les moments.

Vous avez tourné dans un vrai décor d’hôpital ?

NG : Oui, nous avons tourné à l’hôpital Rothschild et certains intérieurs-extérieurs à l’hôpital de Garches. Nous avons disposé de tout un service désaffecté très abîmé par le temps mais avec une vraie âme. Philippe Van Herwijen, le chef décorateur, a fait un beau travail pour remettre en route ce service en lui donnant un coup de jeune tout en gardant la trace des années.
Le bâtiment était orienté nord-sud, on travaillait selon la disposition des chambres côté nord ou sud. La présence des découvertes étaient importantes pour marquer l’hôpital dans son environnement (l’Arriraw a bien aidé à récupérer des informations dans les fenêtres à l’étalonnage).

Nous avons reconstitué la lumière qui existait dans le service avant qu’il ne soit désaffecté. Il n’y avait plus de courant, les faux plafonds étaient encore équipés de réglettes. L’équipe électrique a tout recâblé et changé tous les tubes (180 tubes). Pour les effets nuit, nous avons fait la même chose avec les veilleuses tungstène et les ampoules au plafond que j’ai mis sur dimmer. Pour certaines chambres ou des bureaux médicaux, j’ai fait installé un grill pour toute la lumière, avec des Kino et des Lucioles en passant tous les câbles dans le faux plafond pour pouvoir tourner à 360° et sortir facilement de la chambre avec la caméra, aller dans le couloir puis dans une autre chambre.

Comment as-tu éclairé ce décor de l’internat ?

NG : Les vrais internats sont souvent dans des bâtiments très délabrés. Les internes dorment sur place et l’on trouve dans les chambres des graffitis qui expriment leurs états d’âme. Il y a même des graffitis qui sont classés et qui datent du 19e siècle. Nous avons reconstitué une chambre d’interne à l’hôpital Rothschild.
J’ai fait un éclairage très blafard, carcéral, avec un tube au plafond, au plus près de ce que j’avais vu en repérage. J’ajoutais parfois une Luciole en tungstène pour la petite lampe de chevet. J’obtenais ainsi un mélange de chaud et de froid. Pour la salle commune des internes, nous avons tourné dans un véritable internat à Garches, j’ai utilisé des Lucioles au plafond pour les effets nuit.

Pour quelle raison avez-vous choisi de tourner le film entièrement à l’épaule ?

NG : L’épaule institue une fragilité du cadre, un esprit " documentaire " que Thomas voulait pour Hippocrate. On suit tout le temps Vincent Lacoste, il nous guide à travers l’hôpital et il est quasiment dans tous les plans. On ne devance jamais ce qu’il voit en restant dans son point de vue. Il y a aussi pas mal de scènes de groupe, avec un mélange de vrais internes, de vrais infirmiers et de comédiens. La caméra à l’épaule permet une mise en place très libre.

Quels ont été tes choix de matériel de prise de vues ?

NG : Nous avons fait des essais pour les optiques et la caméra. La première série d’essais chez Alga était destinée à comparer la Red Epic et l’Alexa. Au final, j’ai choisi l’Alexa en Raw pour sa plus grande latitude. Pour la deuxième série d’essais, j’ai testé différentes séries d’optiques sur le décor : des Primo, des Cooke S4 et S3 et des Zeiss GO. J’ai finalement choisi les Primo qui apportent un peu de chaleur et de douceur.
Sur le tournage, j’ai un peu souffert du poids des optiques et globalement du poids et du volume de la configuration caméra (Primo + Alexa + enregistreur).
Magie du cinéma, j’ai pu suivre plusieurs séances avec un ostéopathe de l’hôpital pendant le tournage !

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC
PS Les images illustrant cet article ont été prises par divers membres de l’équipe)