Le directeur de la photographie Pierre Aïm, AFC, parle de son travail sur "Asphalte", de Samuel Benchetritt

Histoires de voisins et d’astronaute

par Pierre Aïm

Pierre Aim, AFC, et Samuel Benchetritt se connaissent bien. Depuis la comédie loufoque Janis and John, en 2003, avec François Cluzet, Marie Trintignant et Sergi Lopez, ils ont signé ensemble deux autres films. Ils se retrouvent cette année en Sélection officielle Hors compétition pour Asphalte, un film choral qui se déroule entièrement dans une barre d’immeubles avec au casting Isabelle Huppert, Valeria Bruni Tedeschi, Gustave Kervern et… Michael Pitt dans le rôle inattendu d’un astronaute. (FR)
Pierre Aïm sur le tournage d'"Asphalte" - DR
Pierre Aïm sur le tournage d’"Asphalte"
DR

C’est une longue collaboration avec Samuel Benchetritt...

Pierre Aïm : Oui. C’est avec lui que j’ai fait le plus de films ! A part Chez Gino, qui a été filmé par Guillaume Schiffman, j’ai fait tous ses films, ainsi que quelques pubs.
Il m’ a parlé d’Asphalte très tôt, mais le film étant peu à peu repoussé pour des raisons de financement pendant près d’un an, ça a rendu ma participation au projet incertaine. Finalement les choses se sont accélérées en l’espace de quelques semaines à la fin de l’automne 2014, et tout s’est fait ensuite très rapidement. Le tout avec une sorte de simplicité intrinsèque à l’image. Je pense que c’est même l’un des films les plus simples qu’il m’ait été donné de faire.

Cette simplicité repose-t-elle sur une continuité de travail avec lui ?

PA : Non. Samuel m’a toujours proposé des projets très différents, avec des choix d’image assez radicaux. Par exemple le noir et blanc sur J’ai toujours rêvé d’être un gangster ou les couleurs plus pop de Janis et John... Sans parler de la caméra vidéo tenue à la main D’un voyage.
Ici, il m’a tout de suite parlé du format 1,37 et d’un côté naturel dans les ambiances de ces appartements. Une image un peu froide, basée sur quelques photos qu’il avait pu lui-même prendre lors de repérages.
Il y avait un côté très évident dans les choses, dans l’histoire qui ne nous a pas pris beaucoup de temps à concevoir ni à discuter... D’une certaine manière, en commençant le tournage, j’ai donné un ton à l’image que je me suis ensuite efforcé de conserver sur le reste du film. En termes de mise en scène, peu de plans ont été tournés, souvent fixes. Avec quand même quelques mouvements qui marquent alors les moments forts de l’histoire.

D’où vient le film ?

PA : A la base, le scénario est inspiré d’un recueil de nouvelles écrit par Samuel intitulé Chroniques de l’asphalte. Trois histoires ont été extraites, et recomposées pour créer ce film qui s’apparente un peu, selon moi, à une sorte de poème, avec un coté un peu universel. Certes on peut penser parfois que ça se passe en banlieue parisienne mais aucun détail de l’histoire n’accrédite cette thèse. Du coup, on a tourné pendant six semaines dans une grande barre d’immeubles vides à Colmar.
Le film se déroulant dans ce décor sur une durée narrative de trois jours, il était capital qu’on puisse s’installer tranquillement comme dans une sorte de studio en dur. Seul l’ascenseur a dû être reconstruit par la déco. Tout simplement parce que celui qui existait dans l’immeuble s’arrêtait à chaque demi étage..., et ça ne collait pas au scénario. Avec les quelques autres décors du film (un hôpital, un extérieur route) tout a été tourné dans un rayon de 2 km ! C’était vraiment super, on a même terminé le film avec deux jours d’avance !

Avez-vous cherché à séparer les différentes lignes d’histoires ?

PA : Non pas du tout ! Il y a une sorte d’unité d’image dans cet immeuble, et dans tous les appartements. Que ce soit ceux qui vivent au premier étage (comme celui de Gustave Kerven) ou au contraire tout en haut (chez Tasadit Mandi). Pour tourner j’ai profité de l’orientation plein sud de la barre pour organiser les plans en fonction des découvertes. En commençant en général par les plans les plus larges et en me calant sur l’ambiance lumière naturelle qu’on avait. Ensuite pour tous les plans sans découvertes, j’ai fait borgnioler les balcons, installer des séries de Kino Flo Wall-O-Lite qui nous ont permis de conserver un raccord lumière parfait sur ces courtes journées d’hiver.

Où avez-vous fini le film ?

PA : La postproduction s’est effectuée chez Film Factory avec Lionel Kopp comme étalonneur. C’est quelqu’un à qui je dois beaucoup car c’est un peu grâce à lui et à ses recherches, à l’époque au laboratoire Les trois lumières, qu’on avait mis au point la technique de passage de la couleur au noir et blanc pour La Haine. Deux semaines de travail qui se sont déroulées, comme le tournage, très naturellement car la plupart des ambiances étaient déjà raccord entre elles. Pour les quelques plans à effets spéciaux, c’est Alain Carsoux qui s’en est occupé.
Quand on sait que le tournage de ce film s’est terminé fin février 2015, c’est pour vous dire combien les choses ont été vite en montage et en postproduction !

Avec quel matériel avez-vous choisi de travailler ?

PA : Le film s’est tourné en ProRes. Comme il n’y a pas beaucoup de plans larges dans le film et que la lumière est assez maîtrisée, le surcoût du Raw ne se justifiait pas. L’Arri Alexa était en capteur 1,37 et on a utilisé une série Cooke S4. J’ai filtré parfois avec des Ultra Contrast, mais je suis de moins en moins à l’aise avec les filtres et l’Alexa. En fait je trouve que les filtres réagissent de manière très différente en numérique en fonction des axes, et dès qu’on bouge un peu la caméra, on se retrouve parfois battu. J’essaie de voir ce qui est possible à faire en postproduction, plutôt que de filtrer à la prise de vues de manière à ajuster parfaitement l’effet sur chaque plan. J’aimerais vraiment développer un système comme celui qu’a pu mettre en place Bruno Delbonnel sur Big Eyes, le dernier Tim Burton.

Et en lumière ?

PA : En lumière j’ai surtout éclairé avec des Kino lumière du jour. Que ce soit les Wall-O-Lite en source principale venant l’extérieur et remplaçant la lumière du jour. Des petits rajouts en intérieur (2 ou 4 tubes), en composant avec la faible hauteur de plafond de cette barre d’immeuble... et le cadre 1,37 ! Sinon pour quelques séquences de nuit, j’ai utilisé les Lucioles de Maluna. Ce sont alors des séquences plus chaudes, plus caractéristiques de l’éclairage tungstène.

Un souvenir en particulier ?

PA : J’ai eu la chance d’éclairer pour la première fois Isabelle Huppert, et je dois dire que j’étais enchanté. Une fois les quelques essais passés, elle nous a entièrement fait confiance. Et les deux premières semaines de tournage qui lui était consacrées étaient un bonheur.

Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC

Réalisation : Samuel Benchetritt
Décors : Jean Moulin
Son : Thomas Lascard et Miguel Riejas