Le directeur de la photographie Stéphane Fontaine, AFC, parle de son travail sur "Jimmy P.", d’Arnaud Desplechin

par Stéphane Fontaine

[ English ] [ français ]

Depuis Mon cœur de battre s’est arrêté, pour lequel il a reçu le César de la meilleure photographie en 2006, Stéphane Fontaine travaille sur les films de Jacques Audiard et obtient un deuxième César pour Un prophète. Il retrouve Arnaud Desplechin, dix ans après Léo, en jouant " Dans la compagnie des hommes " pour un film tourné aux Etats-Unis, Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines), en Compétition officielle sur la Croisette. (BB)

Synopsis : Après la seconde guerre mondiale, Jimmy Picard, un vétéran amérindien de la tribu des Pieds-Noirs, est admis au Winter Veteran Hospital de Topeka, au Kansas. Devenu alcoolique, souffrant de maux de tête et d’absence, dont aucun médecin ne réussit à diagnostiquer les causes, il est pris en charge par Georges Devereux, un ethnologue spécialiste des cultures amérindiennes et psychanalyste français d’origine hongroise.

Comment s’est passée la préparation avec Arnaud Desplechin ?

Stéphane Fontaine : La préparation a commencé il y a deux ans et puis la production s’est arrêtée. Arnaud avait fait beaucoup de recherches iconographiques, cinématographiques. Ce film est inspiré d’une histoire vraie qui s’est passée au milieu des années quarante. Des séances d’une heure par jour avaient lieu entre cet Indien et un analyste qui transcrivait ensuite chaque séance. Un livre de 600 pages – Psychothérapie d’un Indien des Plaines – écrit par Georges Devereux a été édité. Il témoigne d’une des rares analyses à laquelle on ait accès de manière aussi précise. A cette époque de la préparation, avec Arnaud, on avait déjà un peu découpé le film. Quant aux références cinématographiques, Bergman ou Truffaut ne sont jamais très loin.

Comment avez-vous construit le film au niveau de l’image, les intentions de lumière étaient-elles précises ?

SF : Oui, assez précises, mais sans donner l’impression de travailler dans la contrainte. Ce qui est difficile, c’est de donner une intention narrative à des choses qui se répètent. En l’occurrence, il y a beaucoup de séances de dialogues entre deux hommes assis. Donc, comment essayer, sachant qu’il y a a priori une certaine force au niveau des dialogues, qu’il se passe quelque chose d’intéressant visuellement. Chaque séance a une intention définie pendant la préparation, une sorte de cartographie précise qui a évolué bien sûr pendant le tournage.

Pourquoi ce choix de tourner en argentique ?

SF : C’est amusant parce qu’il y a deux ans, on disait : « Pourquoi tournez-vous en numérique ? », et aujourd’hui on dit : « Pourquoi tournez-vous en film ? ». On avait simplement envie de tourner en 35 mm. Des yeux un peu exercés, comme les nôtres, oublient à quel point le film est radicalement différent et cent fois plus riche. Quand on regarde une image numérique, on dit : « Ah oui, c’est pas mal, ah, en fait c’est bien ! », et puis quand on voit une image 35 mm, on se rend compte tout de suite que l’échelle de tons, les carnations n’ont rien à voir…, et pas seulement un visage mais la nature, un papier peint, un tissu…, c’est tellement plus fin, plus précis.
Le petit inconvénient avec la pellicule, ce sont les rayons X. Nous étions en tournage près de Detroit et les rushes voyageaient par avion pour être développés à New York. Un jour et demi de tournage sont passés aux rayons X et ont eu du mal à s’en remettre ! Ils ont été restaurés par Mikros, assez bien d’ailleurs,mais certaines séquences ont un peu perdu de leur éclat.

Vous n’avez pas pu retourner ces plans ?

SF : Non, nous avions un plan de travail extrêmement chargé, un tournage très court. Et comme c’est arrivé à la fin du tournage, il était compliqué de refaire ces plans.

Tu avais beaucoup de lumière pour ce décor d’hôpital ?

SF : Oui et non, les lieux étaient très grands, la majorité des décors se trouvant dans un immense bâtiment du début du 20e siècle, beaucoup de pièces et de couloirs différents. Nous tournions dans quatre ou cinq lieux distincts par jour et il fallait qu’ils soient prêts en même temps. Le matériel était donc dispersé dans cet espace.

Pour une lumière différente pour chaque lieux ?

SF : Oui, une lumière très réaliste ou parfois plus sophistiquée.
Nous avions 30 jours de tournage pour 140 séquences environ. Tout le monde devait aller très vite, le réalisateur, les comédiens. La préparation est très importante dans ce cas de figure, elle lance le moteur, pour que l’on puisse, en tournage, s’embarquer dans un mouvement très rapide.

Le découpage change pour chaque entretien ?

SF : Oui, chaque entretien était découpé très précisément, parce qu’il est vrai que c’est compliqué de filmer deux personnes assises qui parlent… Nous avions envie de créer une dynamique propre à chaque séance. Chaque session était filmée et éclairée de manière différente. Deux caméras ont été utilisées simultanément pour la moitié du film.

Une deuxième caméra pour des champs contre-champs ou pour être dans le même axe ?

SF : Pour des champs contre-champs ou pour que chacune fasse des plans différents, un profil ou des gestes. C’est pour cette raison aussi que nous avons choisi deux Arricams, malgré mon goût pour la Penelope ; mais il fallait des magasins de 300 mètres pour pouvoir recharger en même temps sans rompre le rythme du tournage.

Au moment de l’étalonnage, as-tu changé tes intentions visuelles ?

SF : J’aime quand l’intention est déjà sur le négatif, donc, à partir de ce principe, c’est toujours compliqué de changer de direction. Cela se voit tout de suite. Le grain n’est pas le bon, le rendu des couleurs n’est pas juste.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)