Le discret battement de cœur des caméras Aaton

Par Dominique Gentil, AFC
Si aujourd’hui on demandait à des enfants de dessiner une caméra, à quoi ressemblerait-elle ? Je ne suis pas certain qu’ils dessineraient, sur son trépied, la fameuse boîte, surmontée des oreilles de Mickey.

Toi non plus, Jean-Pierre, tu n’as pas imaginé une caméra "à oreilles" mais un appareil sans angles vifs et aux contours adoucis, un objet dont le centre de gravité est bas, un objet léger qui, par sa forme et son ergonomie, est tout de douceur, discrétion, précaution, calme.
J’ai retrouvé des images de tournage où je filmais avec une caméra Aaton : parmi les nombreuses photos, ce n’est pas la caméra qui est visible, c’est l’homme qui la tient tant l’objet fait corps avec celui qui la porte.
Ta révolution en 1968... Cela a été de nous libérer du câble synchro - câble qui relie l’enregistreur à la caméra - en inventant le moteur quartz. Ensuite les caméras Aaton 16, Super 16, A-Minima et 35 mm sont nées de demandes précises de metteurs en scène, d’opérateurs, de documentaristes.
En ingénieur exceptionnel, tu as su percevoir nos désirs, nos demandes créatives et les interpréter.
Tout comme le chef opérateur met en image les lignes d’un scénario, tu as su rendre réels nos rêves techniques.
D’année en année, tu as su améliorer l’outil pour faciliter notre capacité à saisir des images. On se souvient des diodes dans le viseur pour mesurer la lumière, du marquage temps (possibilité de créer un time code à même la pellicule), de la vidéo directe de bonne qualité, des outils de postproduction.

Je me se souviens aussi des caméras qu’en homme généreux tu mettais à notre disposition alors qu’elles étaient encore des prototypes. Quoi de mieux que de tester en conditions réelles... Ta confiance et l’écoute de nos retours sont fondues dans le secret d’Aaton pour créer des caméras adaptées à nos besoins créatifs.
L’Aaton ne peut s’imaginer sans son emblématique poignée en bois, élément organique, devenant lien essentiel pour diriger notre caméra, la déclencher, mesurer la lumière. Est-ce cette poignée qui a amené tant de metteurs en scène à s’en saisir, à installer leur caméra sur l’épaule ? Il était né comme une évidence le désir de filmer, en se déplaçant, en voyageant…

On ne se tromperait pas en affirmant que tes caméras ont été pour beaucoup dans la créativité cinématographique des années 1980.
Aujourd’hui, je me souviens de notre conversation alors que nous nous dirigions en voiture vers le laboratoire Eclair pour visionner des essais de la Penelope Delta. Seule la LED rouge dans le viseur indiquait alors qu’on tournait. Cette lumière qui ne clignotait même pas ne banalisait-elle pas l’acte même de filmer ? Le mot « tourner » devenait comme vidé de sens, la caméra numérique ne faisant aucun bruit. Jean-Pierre, tu m’as répondu : « Oui, un clignotement mais pourquoi pas un son discret comme un défilement, ou non, mieux encore, je pourrais ajouter un discret battement de cœur… ».

En vignette de cet article, Dominique Gentil filme Yehudi Menuhin pour The Open Wall avec une Aaton 16 mm.