Le gouvernement veut mieux encadrer les stages pour faire cesser les abus

Par Isabelle Rey-Lefebvre

La Lettre AFC n°233

Le Monde, 20 juin 2013

Ils ont doublé en six ans ! De 600 000 en 2006, les stages conventionnés sont passés à 1,2 million en 2012. C’est même devenu un mode d’entrée incontournable dans le marché du travail. Comment en limiter les abus sans affecter cette première expérience professionnelle ?

Le sujet revient comme un leitmotiv dans le débat politique depuis quelques années sans que n’émerge de solution idéale. Dimanche 16 juin, lors de son intervention dans l’émission de M6 " Capital ", le chef de l’Etat l’a souligné. « Un stagiaire n’a pas vocation à prendre le poste d’un salarié, mais, en même temps, il faut donner leur chance aux jeunes », a répété François Hollande, se réjouissant de voir évoluer les textes législatifs sur cette thématique.
Il a été une nouvelle fois à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, le 23 mai, lors de la discussion de la loi dite Fioraso sur l’enseignement supérieur et la recherche, et devrait être à encore discuté cette semaine au Sénat.

Poussée par le mouvement Génération précaire et relayée par le député (PS) de La Réunion Jean-Jacques Vlody, une série d’amendements, qui ont pour objectif de faire glisser les jeunes en formation du statut de main-d’œuvre d’appoint à celui d’étudiants en formation, va renforcer la protection des stagiaires.
Les 1,2 million de stages répertoriés dans le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE), rendu public en septembre 2012 et rédigé par Jean-Baptiste Prévost – ex-président de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), aujourd’hui conseiller de Geneviève Fioraso –, sont encore appelés à croître. Les cursus universitaires prévoient en effet de multiplier les séjours de formation en entreprise, afin d’augmenter l’employabilité des diplômés.
Les secteurs qui abusent des stagiaires sont désormais identifiés : communication, médias, marketing, publicité, mais aussi secteur bancaire. Le projet de loi doit apporter des modifications sur cinq points principaux.

La fin des stages post-diplôme
Le projet de loi interdit les stages hors cursus. La loi Cherpion, de juillet 2011, avait déjà proscrit cette pratique, mais prévoyait tant de dérogations, avec notamment le « stage permettant une meilleure insertion professionnelle », qu’elle a montré ses limites. De nombreuses entreprises se servaient de ces stagiaires pour remplacer un salarié. Un abus cautionné parfois par certains établissements d’enseignement supérieur.

L’accompagnement pédagogique des entreprises
La nouvelle loi systématise, dans la convention de stage, un volet pédagogique que l’entreprise doit respecter. Cette dernière est tenue de préciser les conditions d’accueil et de formation du stagiaire.
En outre, tout cursus prévoyant des stages devra être équilibré en heures de cours assurés par l’établissement, pour éviter les cursus aux programmes squelettiques et aux frais d’inscription élevés, qui sont un moyen d’accéder à des stages conventionnés avant d’être un lieu d’enseignement.
Un rapport non public de l’inspection générale de l’éducation nationale, réalisé en 2010, que Le Monde s’est procuré, avait ainsi recensé, sans les citer, une quinzaine d’établissements assez coutumiers du " cursus conventions de stage ", où les étudiants ne profitent guère de leurs professeurs.

Une indemnité obligatoire au-delà de deux mois
Un stage de plus de deux mois devra être rémunéré. Toutes les entreprises, les associations et, dorénavant, les collectivités locales et les hôpitaux publics devront, dès la promulgation de la loi, rémunérer leurs stagiaires d’une indemnité minimale de 12,5 % du plafond horaire de la Sécurité sociale, soit 2,875 euros de l’heure, ce qui revient à environ 436 euros par mois, en 2013. Ces dernières vivaient pour beaucoup à l’abri des multiples dérogations de la loi Cherpion.
Les collectivités locales, dont les budgets sont très tendus, ont déjà réagi à ce texte, tout comme les hôpitaux. Les externes de médecine ne seront pas visés par la future loi, leur statut étant réglé par ailleurs. Mais elle pourrait concerner les élèves infirmiers ou des disciplines paramédicales et faire bondir les coûts pour des établissements de soins déjà au bord de l’asphyxie financière. La bataille sur ce point sera donc rude au Sénat.

Un égal accès aux étudiants
Les écoles ont souvent des services de stage. Ce qui n’est pas toujours le cas des universités. La loi Fioraso les invite à améliorer, à l’avenir, leur politique des stages et, surtout, à veiller à l’égal accès des étudiants, en mettant en œuvre un suivi pédagogique.
Elles se devront donc d’aider à la rédaction d’un curriculum vitae, comme de préparer les étudiants aux entretiens. Décrocher un stage s’apparente de plus en plus à une quête d’emploi ! « Beaucoup d’universités sont dynamiques dans ce domaine, même si c’est plus compliqué de travailler avec elles qu’avec une école », confirme Amaury Montmoreau, fondateur d’AJStage, start-up mettant en contact entreprises et étudiants.

Une information sur les conditions d’accueil
Enfin, l’étudiant qui a terminé son stage informera le bureau d’aide à l’insertion professionnelle de la qualité, bonne ou mauvaise, de l’accueil qu’il a reçu sans que cela ait des conséquences sur l’obtention de son diplôme ou son évaluation. Le but de ce retour est de libérer la parole des stagiaires sur les éventuels abus des employeurs.

(Isabelle Rey-Lefebvre, Le Monde, 20 juin 2013)