Le prix Vulcain, pour quoi faire ?

par Christian Guillon, président du Jury CST 2005

par La CST La Lettre AFC n°145

La CST est depuis toujours au cœur du dispositif du Festival de Cannes. Elle y assure en effet le contrôle et la gestion des projections, cette année plus de 2 000. Mais nous, les techniciens, sommes comme la bande passante du festival, au même titre que les femmes de ménage ou les agents de sécurité : il faut véhiculer les paillettes, mais on ne doit pas produire de bruit.

Assurer une présence efficace représente déjà un énorme travail, se faire entendre sur les sujets qui nous tiennent à cœur, dans le brouhaha général, est une autre affaire. Cannes n’est pas un festival de techniciens. Au contraire. Même si les mentalités changent, et si notre image commence à s’améliorer (voir la présence bien vécue de l’AFC cette année, ou le texte du discours d’ouverture du festival dit par Cécile de France).

En faisant renaître, il y a deux ans, le prix du Jury de la CST, sous l’appellation « Prix Vulcain de l’artiste technicien », nous voulions contribuer, même discrètement s’il le fallait, à la nécessaire revalorisation du statut de technicien en France, en mettant simplement en avant la notion de collaborateur de création. La qualité exceptionnelle des projections, la présence de nombreux membres de l’association parmi lesquels on avait pu désigner quelques jurés volontaires, et le choix offert par les plus prestigieuses sélections de films, faisaient de Cannes le meilleur endroit pour cela.

Mais la " sélection officielle ", que nous avions choisie (force de l’habitude, ou effet paillettes) comme " corpus " à notre travail, aussi prestigieuse fût-elle, allait-elle se révéler pour nous pertinente ? Dans ce temple du cinéma d’auteur, héritier de la tradition littéraire du cinéma d’après-guerre, des évidences surgiraient-elles, qui nous permettent de mettre en lumière l’apport créatif exceptionnel du montage, de la déco, du mixage, des costumes, de l’image, etc. ? C’est un des débats qui a animé le Jury, avant même d’avoir commencé : tous les départements du cinéma, lorsqu’ils sont dirigés avec talent, concourent à demeurer invisibles, au service de l’approche globale du metteur en scène, allions-nous trouver la contribution qui, tout en servant le propos de l’auteur, ferait preuve de qualités artistiques propres exceptionnelles ? Il le fallait : la technique est indissociable de son implication dans l’ensemble du film, pour le meilleur comme pour le pire. C’est précisément ce que nous voulions mettre en avant avec le prix Vulcain.
Même s’il était clair que les critères dont nous devrions juger n’avaient pas été moteurs dans la sélection, le programme semblait quand même très prometteur.

Au début, une première série de films, venus d’Asie (Chine, Corée, etc.) plombe un peu l’enthousiasme. Faut-il que les cinématographies dites " émergentes " revisitent encore et encore le néo-réalisme italien, qu’elles fantasment en boucle une nouvelle vague française désincarnée, ou reconduisent la rigidité moralisante d’une caméra crypto-rhomérienne ? Sans la liberté, sans l’humour, sans la découverte, sans le plaisir, et sans la rigueur, de leurs références. N’avons-nous pas vu ailleurs, venant de ces pays précisément, des œuvres de maturité, ancrées dans de vraies cultures et joyeusement insoumises aux traditions des désormais deux vieux continents du cinéma ? Pour ce qui concerne notre jury, au mieux ce sera " du bon travail ", " au service de la narration ", au pire ce sera négligent, indifférent, méprisant même peut-être. Et le pire arrive quelquefois, comme la revendication butée et infantile d’une absolue paresse formelle dissimulée derrière les habituels alibis dogmatiques. On s’inquiète.

Et puis les surprises arrivent. Après Last Days de Gus Van Sant, nous nous trouvons soulagés et réconfortés. La bande son invente complètement le film. Le concept de " design sonore " prend ici son sens. Subtil mélange, le travail de Leslie Shatz est fort d’évocations presque allitératives, richement symbolique, parfois subliminale, harmonisé d’effets diégétiques discrets, et fait le film presque à lui seul. Cette contribution majeure du technicien à une œuvre de cinéma constitue l’exemple même de ce que nous espérions mettre en avant par notre démarche. Ce sera l’un des deux prix Vulcain de l’artiste-technicien.

D’autres films viennent, qui nous réconcilient définitivement avec la sélection : Wim Wenders, Jim Jarmush, David Cronemberg, quelques multirécidivistes cannois, auxquels est venu s’agréger Tommy Lee Jones et ses somptueux Trois enterrements, font preuve d’une magnifique maturité, d’une subtile maîtrise de leurs outils, d’un réjouissant recul et d’un bel amour du cinéma.

Quelques jours plus tard, un ovni surprend le festival : Sin City scotche les amateurs d’imagerie forte. Il propose un parti pris radical sur l’image, un point de vue personnel, puissant, et parfaitement maîtrisé, qui passe par une utilisation experte et surtout désinhibée des nouvelles technologies. S’il y a un film d’auteur dans la sélection, c’est bien celui-là. Mais la notion d’auteur a évolué. Il s’agit bien ici d’images et de sons. Roberto Rodriguez signe la photo, la musique, les effets visuels, en même temps que la mise en scène de son film. Et l’expression " de son film " a aussi ici un sens. En signant tous ces postes techniques et même la production, Roberto Rodriguez a adopté la posture d’un " humaniste " qui intègre les sciences et la technique dans une démarche artistique. Nous attribuerons donc l’autre prix Vulcain de l’artiste-technicien à un metteur en scène.
Et le fait qu’il arbore en permanence un chapeau de cow-boy avec des médailles n’y changera rien.