Le rire de Guillaume Deffontaines, AFC

Par Ariane Damain Vergallo, pour Ernst Leitz Wetzlar

par Ernst Leitz Wetzlar La Lettre AFC n°274

[ English ] [ français ]

Dans les années 1980, abandonné sur la banquette de moleskine du train de banlieue Paris-Chaville, il y a un appareil photo Leica R6, un objet incroyablement attirant pour un adolescent passionné de photo. L’honnêteté, doublée du secret espoir de le récupérer un jour, commande alors à Guillaume Deffontaines de le signaler aux objets trouvés de la SNCF et une excellente mémoire lui commande également de venir rechercher l’objet un an après, pile poil.

Le Leica R6 est toujours là entre ses mains, choyé, poli et un peu oublié, avec une envie subite "d’argentique", de faire à nouveau des photos comme si l’appareil avait eu cette vertu magique de le transporter à nouveau dans le passé.

Guillaume Deffontaines - Leica M, Summicron-C 100 mm - Photo Ariane Damain Vergallo
Guillaume Deffontaines
Leica M, Summicron-C 100 mm - Photo Ariane Damain Vergallo

Tout avait commencé en observant son père, architecte, qui faisait des petits films en 8 mm, "d’amateur" soi-disant. Guillaume Deffontaines s’était vite aperçu que son père avait cette faculté de faire des films passionnants avec un regard, une originalité et une poésie : « Il essayait de montrer ce que les autres ne voient pas. »
A la montagne, de simples blocs de glace, sous le regard sensible de sa caméra, devenaient des oiseaux prêts à s’envoler. Son oncle, scientifique à l’INRA, qui vivait alors sur le même palier que leur famille dans cette banlieue paisible, faisait des films en 16 mm avec une Paillard Bolex sur un tout autre sujet comme la pâture des bergers en montagne.

Avec ce double héritage poétique et scientifique, Guillaume Deffontaines se met en tête de rentrer dans la célèbre Ecole Louis-Lumière. Elève moyen mais animé d’une redoutable envie d’y arriver, il intègre enfin l’école au bout de trois tentatives. A la sortie, la Paillard Bolex de son oncle resurgit pour un projet de film d’animation avec des étudiants de l’Ecole des Gobelins.
A sa grande surprise, le premier jour, déboule à l’étage du dessus une équipe de tournage avec une débauche de matériel propre à susciter chez lui le désir irrésistible de leur emprunter au moins un "petit" projecteur. Le lendemain, il a les mains dans le "changing bag" pour mettre la pellicule 16 mm dans les magasins de la caméra Arri SRII et il est presque promu second assistant.

Beaucoup de carrières commencent ainsi, il faut être là le bon jour au bon endroit, avoir ce mélange de culot dingue et de chance pure puis enfin faire la rencontre importante de quelqu’un que l’on l’admire pour la justesse de son regard, comme enfant "petit Guillaume" admirait celui son père. Cette rencontre, c’est celle de Christophe Beaucarne, AFC, dont Guillaume Deffontaines a été l’assistant. Tous deux experts en "coolitude" et évidemment moins légers qu’il n’y paraît. « Christophe Beaucarne m’a donné envie de faire du cinéma, il m’a initié à l’image et ensuite il m’a donné la chance de démarrer comme chef opérateur. »

Cette chance, le souriant, voire le riant, Guillaume Deffontaines l’évoque également dans sa rencontre avec un cinéaste important, Bruno Dumont avec qui il a participé comme directeur de la photo à une série de films qui font partie du "cycle du rire" inauguré par hasard sur le film Camille Claudel 1915. Lors d’une scène qui se déroule dans l’hôpital psychiatrique où le peintre Vincent Van Gogh fût interné, Juliette Binoche, incarnant Camille Claudel, assiste à une pièce de théâtre jouée par des fous et est prise d’un fou rire - c’est le cas de le dire - inextinguible, qui se communiqua à l’équipe entière toute la journée et déclencha sans doute chez Bruno Dumont l’envie d’explorer cette veine.
Suivent P’tit Quinquin, Ma loute et enfin Jeannette, que Guillaume Deffontaines vient de tourner, et qui explorent chacun d’eux à leur manière une facette du rire ; du rire dément de Ma loute au rire hilarant de P’tit Quinquin, enfin au rire décalé de Jeannette qui est un conte musical avec des enfants sur l’histoire de Jeanne d’Arc.

« Bruno Dumont a un credo. Les idées qu’on a au moment où l’on tourne ne sont jamais les bonnes, tout doit se passer lors de la préparation du film. Sur le tournage, c’est à moi qu’il confie la tâche de rentrer dans son monde imaginaire et de le rendre concret. Un rêve de directeur de la photo. », dit-il.
Sur Jeannette, lors des essais, Guillaume Deffontaines avait été frappé par le rendu de la série Summilux-C alliée à la caméra Alexa. Il y avait retrouvé "l’aspect mystique de l’image" que Bruno Dumont souhaitait pour évoquer le monde sacré de l’enfance.

« Le rendu des visages est exceptionnel avec les Summilux-C de Leica, on obtient d’emblée une pureté, une blancheur des peaux qui était exactement ce que l’on recherchait ; être dans un film d’époque dans lequel on a l’impression d’être comme au temps présent. »

Qu’il est loin le temps du premier jour du premier film, le jour zéro où tout commence enfin. Pour Guillaume Deffontaines ce fût ce jour impérissable et délirant - il y a un peu plus de 20 ans - où, ayant été appelé en renfort comme second assistant caméra, il avait eu la lourde mission de charger les sept caméras Aaton 35 de Claude Lelouch sur son film Les Misérables du XXe siècle et où le décor avait explosé devant ses yeux projetant la scripte au loin qui s’était alors évanouie, puis le décor prenant feu dans un désordre indescriptible.

Un baptême du feu explosif qui le faire rire encore aujourd’hui !