Le(s) regard(s) d’Agnès Varda, glaneuse d’images

La Lettre AFC n°297

[ English ] [ français ]

Comme le chat Zgougou, mascotte immortalisée par le logo de Ciné-Tamaris, Agnès Varda aura eu plusieurs vies – photographe, cinéaste, documentariste, plasticienne –, brouillant constamment les pistes entre fiction et documentaire, réalité et imaginaire, poésie et militantisme, regard porté vers les autres et introspection.

C’est peu dire qu’Agnès Varda aimait aussi les miroirs (de Cléo de 5 à 7 aux Plages d’Agnès) pour ce qu’ils permettent comme fragmentation du cadre, effets de profondeur ou retour vers soi. Elle aurait pu faire sienne, en la transposant au cinéma, la célèbre formule de Stendhal dans Le Rouge et le noir : « un roman [film], c’est un miroir qu’on promène le long d’un chemin. »

Comme Mona, l’héroïne de Sans toit ni loi, Agnès Varda n’a donc cessé de ­cheminer sur le bord de la route, jamais au centre, portant un regard décalé sur les êtres et les choses, un regard jamais dépourvu d’empathie mais sans ­compassion.
Figure singulière et en marge de la ­Nouvelle Vague, ces "jeunes turcs" avec lesquels elle partageait peu la culture et les influences cinéphiliques (« Je peux compter sur les doigts les films que j’avais vus avant vingt-cinq ans », dira-t-elle plus tard), Agnès Varda les rejoint et les précède même dans la recherche d’une nouvelle forme de narration, une "cinécriture" qui, pour la forme, se tourne plutôt vers la peinture, la photographie et même la littérature.
Références explicites à des œuvres de peintres célèbres (La Vénus au miroir, de Velásquez, Les Glaneuses, de Millet, ou La Maja nue et La Maja vêtue, de Goya) ou implicites (l’analyse et l’utilisation de la couleur chez les peintres impressionnistes pour la transposer à l’écran comme dans Le Bonheur avec ses "ombres complémentaires"). C’est aussi chez les peintres primitifs (Giotto, Van Eyck…) qu’il faut sans doute aller ­chercher le goût d’Agnès Varda pour l’"autoportraitisation", évoquant elle-même, dans Les ­Glaneurs et la glaneuse, un effet narcissique.

Après un passage par l’Ecole du Louvre, Agnès Varda s’était donc orientée d’abord vers la photographie.
« Par l’entremise de ses amies d’enfance sétoises, les trois sœurs Schlegel, elle va d’abord beaucoup fréquenter les milieux théâtraux amateurs ou semi professionnels. Dès 1943, alors qu’elle n’a que quinze ans, elle assiste à une représentation de La Fontaine aux Saints de Synge, la toute première apparition de Jean Vilar sur une scène parisienne, en l’occurrence le théâtre de Lancry (Paris, 11e). Et puis, lorsqu’Andrée Schlegel épouse Jean Vilar, le rénovateur de la mise en scène théâtrale de l’après-guerre en France, Varda rejoint tout naturellement en ­Avignon l’équipe du Festival d’art dramatique (futur Festival d’Avignon) dès sa deuxième édition, en 1948, puis celle du TNP dès sa création au Palais de Chaillot, en 1951. Grâce à un Rolleiflex acheté d’occasion, elle commence, dès 1948, à prendre de nombreux clichés. »*

Tournage de "La Pointe courte" avec Philippe Noiret, Silvia Monfort, Agnès Varda et Louis Stein
Tournage de "La Pointe courte" avec Philippe Noiret, Silvia Monfort, Agnès Varda et Louis Stein

C’est durant cette période "Jean Vilar" qu’Agnès Varda réalise en 1954 son premier film, La Pointe courte, empruntant à la scène théâtrale deux jeunes ­comédiens, Philippe Noiret et Silvia ­Monfort. Tourné en décor naturel et en muet avec un Parvo Debrie, photographié par Louis Stein**, monté par Alain Resnais et postsynchronisé, le film affirme déjà un style formel original : « Certes, considérer le premier film d’un auteur comme étant programmateur de l’ensemble de son œuvre est une lapalissade, mais cela s’avère criant de vérité dans le cas d’Agnès Varda. La musique savante de Pierre Barbaud, les jeux structurels d’opposition et de contraste, l’emploi d’acteurs non-professionnels, le mélange de fiction et de documentaire, les tournages en extérieur, les influences littéraires et picturales sont les germes de l’esthétique vardienne. »***

Tournage de "Cléo de 5 à 7" avec, à gauche, Alain Levent, cadreur, et Agnès Varda
Tournage de "Cléo de 5 à 7" avec, à gauche, Alain Levent, cadreur, et Agnès Varda

On connaît la suite dans le domaine de la fiction : Cléo de 5 à 7, en 1961 (photographié par Jean Rabier), Le Bonheur, en 1964 (photographié par Claude ­Beausoleil, au nom prédestiné, et Jean Rabier), Les Créatures, en 1965 (photographié par Willy Kurant AFC, ASC), L’une chante l’autre pas, en 1977 (photographié par Charlie Van Damme AFC, et ­Nurith Aviv), Sans toit ni loi, en 1985 (photographié par Patrick Blossier AFC), Jacquot de Nantes, en 1990 (photographié par ­Patrick ­Blossier AFC, Agnès Godard AFC et Georges Strouvé AFC), Les Cent et une nuits de Simon Cinéma, en 1995 (photographié par Eric Gautier AFC)...