Les Chevaliers du ciel

Pascal nous a fait parvenir un texte dont vous lirez ci-dessous une première partie

Les Chevaliers du ciel vus par Pascal Lebègue
La surprise est grande lorsque je reçois un appel de Gérard Pires, fin avril 2004, pour " faire son prochain film ".

Je suis à Vancouver, pour le tournage d’une publicité, en train de siroter un expresso au Starbuck du coin quand le portable sonne.

Je sais déjà que je serai partant : connaissant Pirès depuis... toujours (L’Entourloupe, Samsonite), j’admire son travail de réalisateur inclassable, je respecte l’homme à part. Sont-ils nombreux les réalisateurs qui nous appellent pour la photo après nous avoir connu aux magasins ? Son intérêt pour l’image est évident et je ne l’ai jamais connu qu’avec des directeurs photo de talent. Je sais aussi l’engouement de Gérard pour tout ce qui vole : ça promet d’être passionnant. En fait, je ne sais rien d’autre du projet, si ce n’est le titre du scénario : Les Chevaliers du ciel. Peut-être a-t-on parlé du casting et du rôle principal tenu par Benoît Magimel, que je connais depuis ses débuts sur La Vie est un long fleuve tranquille, il avait alors 13 ans.

Le projet se révèle vite complexe et d’envergure :

Tournage sur 4 mois, de septembre à décembre. Ce qui, avec la préparation, me fait débuter à Paris le 16 juillet. Des prises de vues aériennes assurées par une équipe quasi autonome, et dont les essais ont déjà commencé, à savoir la mise au point d’un caisson-caméra, suspendu sous l’aile d’un mirage, et qu’Eric Dumage poursuivra jusqu’à la veille du grand jour : 14 juillet 2004, le défilé sur les Champs-Élysées.

Je n’ai toujours rencontré personne, tout se fait par mail, fax et téléphone. Je retrouve Philippe Schwartz, directeur de production et son administrateur Philippe Levy, tous deux rencontrés sur des films antérieurs.

Il y a les urgences et le long terme : choisir la pellicule pour les 11 caméras qui couvrent le défilé, ainsi que pour les caméras embarquées et la totalité des prises de vues en vol. Je ne suis pas de la partie pour le 14 juillet, par contre, un tournage dans le tournage se prépare : la couverture du salon aérien de Farnborough, près de Londres, les 22 et 23 juillet : nouvelles listes, nouveaux choix. J’essaie au maximum, à cette occasion, de valider mes choix pour le reste du tournage, à savoir Arriflex, monture PL, Zeiss Ultra, zoom Angenieux Optimo 11:1, et pour la pellicule : PDVA en 5245, 5212 et 5218 pour l’ensemble de la comédie à Paris et en Provence, enfin, 5245 à nouveau pour les séquences du désert filmées à Djibouti.

Petite parenthèse à propos des optiques fixes : Gérard a bondi lorsque je lui ai proposé les Cooke, car pour lui, elles n’étaient pas assez piquées. Je me suis donc décidé pour les Zeiss Ultra que je connaissais déjà, par ailleurs. Sans abandonner la conviction que les Cooke n’auraient rien fait perdre en piqué, tout en gagnant en modelé et rendu des couleurs. Il reste que Pirès avait raison sur le fond et que, tournant en Super 35 mm et passant par l’intermédiaire numérique, la définition n’est jamais de trop.

Pour le tournage proprement dit, qui devait débuter le 6 septembre, notre plan de travail se répartissait ainsi :

Deux semaines d’intérieurs cockpits avec les acteurs, départ pour Orange et la Provence, tournage à Djibouti des scènes africaines (3 ou 4 semaines selon les postes de chacun) retour à Paris et sa région, en décors naturels.

Benoît Magimel - Photo Pascal Lebègue
Benoît Magimel
Photo Pascal Lebègue

Avions en vol, intérieurs cockpits :

Deux types de cockpits (Alpajet et Mirage), délivrés par l’armée sont reconstitués par la déco : Jean-Pierre Fouillet et son équipe, afin d’être installés sur la " machine infernale " de Christian Bonnichon. Le talentueux Kiki a mis au point, sur base d’un (très) gros Fenwick, un plateau qui permet les évolutions en montée et piqué jusqu’à 40 degrés, ainsi que des tonneaux droite ou gauche, à la vitesse de 2/3 secondes par révolution.

La question de l’éclairage est évidente : intérieur ou extérieur, sécurité pour la production ou soleil obligatoire pendant les deux premières semaines du tournage. Gérard Pirès tient à tourner en lumière naturelle, la seule crédible pour des scènes en vol, à ses yeux. La production n’a pas les moyens de nous emmener " au soleil ". Il faut donc tourner à la base de Villacoublais en banlieue sud de Paris. Je suis convaincu par le choix de Gérard Pirès, le risque n’en reste pas moins considérable car il n’est pas envisageable de prendre du retard au début d’un tournage aussi lourd en logistique, où les autorisations se prennent souvent au niveau du Ministère et de l’Etat Major. Il y a, entre autres, quelque 220 plans à tourner sur ces deux semaines.

L’autre parti pris du réalisateur est que la caméra doit rester dans les limites intérieures du cockpit donc subir les évolutions au même titre que les comédiens et la machinerie. Un montage sérieux est donc nécessaire afin d’assurer des recadrages rapides et sécurisés. Robert Gonzales, chef machiniste attitré de Pirès, s’en chargera. Les optiques choisies vont du 10 au 40 mm. Alga-Panavision nous avait réservé une Moviecam, que l’on remplace par une BL4 parce que plus fiable dans ces conditions. Bien sûr, tout ceci doit se tourner sur fond vert afin que les fonds s’incrustent ultérieurement. Mon choix se porte sur un fond vert solidaire de la machinerie, lui aussi. Aucun fond fixe, me semble-t-il, ne peut être assez grand pour couvrir les champs décrits par nos évolutions, ni s’orienter au soleil selon les angles et les besoins de chaque plan.

Jean-Pierre Fouillet se laisse convaincre et me construit un grand parapluie tapissé intérieurement de vert incrustation, opaque à l’extérieur, et assez léger pour le pas se désintégrer au premier looping. Il est en effet fixé tout au bout du dispositif et doit encaisser. Grâce à sa forme, on parvient à en réduire les dimensions : 3 mètres de diamètre. Sa concavité réduit d’autant les attaques du soleil en direct, lors des mouvements de la plateforme et assure une couverture maximum : l’art du compromis ! Un apport de lumière est nécessaire, afin de réduire les écarts de contraste : je choisis de croiser 4 Bug Joker de 400 W (K5600), c’est la source qui me semble la plus adaptée grâce à son poids réduit et son rendement. Les acteurs, quant à eux, n’ont eu d’autre apport de lumière que les grandes surfaces de moquette gris clair que l’on roulait et déroulait au sol, selon les besoins.

Pirès tiendra bon sur le tournage en extérieur et sera récompensé par un soleil quasi constant. Un hangar de la base sera cependant équipé et utilisé deux fois, en solution de repli, et pour les scènes de vol de nuit ou d’aube. Malgré mes efforts pour éloigner la source (Xénon de 7 kW) au maximum, à l’aide du miroir mirolège monté sur nacelle, le résultat n’est jamais à la hauteur, et nous devons limiter l’ampleur des évolutions. Un pilote en vol, aux commandes de ce type d’avion est pratiquement " à l’extérieur " et les conditions de lumière en altitude sont trop référencées pour être reproduites à l’échelle de nos besoins. Eve Ramboz, responsable des effets spéciaux pour " La Maison ", nous a été d’une aide précieuse et ne nous a jamais quitté lors de cette première partie de tournage. Elle a répertorié, pour chaque plan, les attitudes du cockpit, et les angles au soleil, chaque fois qu’une pelure était disponible, ou, à l’inverse, transmis mes choix à l’équipe prises de vues aériennes (PDVA), lorsque la pelure du plan restait à tourner. De plus, pour chaque plan, elle nous donnait ses limites, nous accordant de la marge quand nécessaire, nous rappelant à l’ordre quand nous la mettions en difficulté. C’est elle aussi qui confrontait nos rushes avec ses pelures, nous revenant au tournage avec le réconfort dont nous avions besoin. J’ai l’impression de m’être beaucoup attardé sur cette phase du tournage. Il y a encore beaucoup à dire sur cette belle aventure, trop pour rentrer dans les dates de la Lettre...

J’espère donc envoyer la suite et fin le mois prochain. Suite de l’article