Les Grandes personnes

d’Anna Novion, photographié par Pierre Novion, AFC

par Pierre Novion

La carrière de Pierre Novion, AFC, a souvent été associée à celle du réalisateur Eric Rochant. Depuis l’immense succès d’Un monde sans pitié en 1989, il a depuis signé l’image d’Aux yeux du monde, des Patriotes, et de L’Ecole pour tous. Parmi ses autres films de fiction, on trouve aussi L’Année Juliette de Philippe le Guay ou deux films avec le réalisateur turc Yavuz Ozkan.
Cette année, à la semaine de la critique, il accompagne sa fille Anna dans la mise en image des Grandes personnes. Pour ce premier film en tant que réalisatrice, cette dernière a écrit et tourné entièrement cette histoire dans la patrie de sa maman, la Suède. Un pays que connaît naturellement bien Pierre, puisqu’il en parle aussi couramment la langue.

Quel est le trajet de votre fille et comment avez-vous été amenés à travailler ensemble ?

Anna a fait la fac à Saint-Denis et c’est là qu’elle a eu la chance de pouvoir tourner un premier court métrage de fin d’études. Elle a ensuite quelques stages sur des tournages et surtout pas mal de petits boulots alimentaires qui lui ont permis en parallèle d’écrire des scénarios. Et c’est à l’occasion d’un film court qu’on a décidé de tenter l’aventure ensemble, moi à la photo et elle à la réalisation.
Tout de suite, j’ai constaté qu’elle était très à l’aise dans la gestion d’une équipe, sachant parallèlement exactement ce qu’elle voulait. Cette première expérience s’étant très bien passée, elle m’a logiquement demandé de participer à l’aventure de son long métrage.

Ce premier film a-t-il été dur à monter ?

Il lui a pris quand même plus de trois ans à aboutir. Le premier élément déclencheur a été le soutien de la fondation Hachette pour son écriture en 2005.
Quand Jean-Pierre Daroussin a accepté de faire le film en février 2007, tout s’est accéléré en terme de production. Mi-mai, le film était concrètement lancé par la jeune productrice Christie Mollia et nous avons pu tourner cinq semaines de 6 jours entre juin et juillet entièrement en Suède, près de Göteborg.

Quel genre de réalisatrice est-elle ?

Anna est une réalisatrice très précise, qui aime bien tout préparer dans ses moindres détails.
Pour la bonne conduite du film, il était pour elle hors de question d’improviser, ne serait-ce que vu le budget et le peu de temps de tournage qu’on avait.
On a donc pas mal travaillé en amont sur le découpage et la mise en image. Parmi les références qu’elle m’a proposées se trouvait notamment le travail de Wilhelm Hammershøi, un peintre danois des années 1880 (dont une toile " Hvile " peut se voir au musée d’Orsay).
Ces tableaux nous ont permis de déterminer une palette de couleurs pour la décoration. Comme Bergman a été l’un des auteurs sur lequel a le plus travaillé lors de ses études en fac (avec à la clé un DEA sur le cinéaste suédois), Anna a forcément évoqué certains de ses films, par exemple Monika qui s’était tourné comme nous sur une île.

En dehors de cette analogie suédoise directe, on a aussi regardé des séquences tirées de films de Gus Van Sant ou de Hou Hsiao Sien, des cinéastes dont j’adore également le travail.
Les repérages et le choix de la maison du film ont été ensuite déterminants. Que ce soit par rapport à sa situation extérieure (au bord d’un fjord, entourée d’un paysage exceptionnel) et par rapport à l’intrigue (il fallait une maison qui ne fasse pas trop grande vue de l’extérieur).
En outre, beaucoup de scènes se situant dans la cuisine, j’avais la chance dans cette maison de bénéficier d’une petite salle à manger en prolongement. Un petit espace que nous n’avons jamais filmé, mais qui était fort utile pour donner un peu plus de variété aux mises en place caméra et lumière. En définitive, sa démarche et son style en tant que réalisatrice ne sont ni académique ni transgressif… Une mise en scène qui s’articule sur une certaine longueur des plans, des travellings là où l’on ne les attend pas, mais sans qu’ils ne soient jamais démonstratifs.
Avec aussi un travail sur trois niveaux de profondeur de champ à l’intérieur du cadre.

En quel format le film a-t-il été tourné ?

En Super 16 . C’était d’abord un choix économique, vu le budget très restreint et le tournage à l’étranger. Mais c’est aussi un format qui me semble adapté à une certaine fraîcheur, cohérente selon moi avec un premier film comme celui-là.
Comme j’avais déjà été très satisfait du travail d’Eclair en Super 16 sur un film précédent, j’ai réitéré l’opération, en leur confiant le traitement du film. C’est Aude Humblet qui s’est chargée de la supervision des rushes en vidéo, avec un rendu très proche de la tonalité désirée. Après la conformation du négatif, le film a été gonflé en optique, sans doute un des derniers films à passer par cette chaîne avant le basculement à 100 % numérique des gonflages Super 16 en 35. Sur cette dernière étape, Bruno Patin a fait un très beau travail d’étalonnage, et je suis ravi de retrouver l’image " pure " telle qu’on a pu la tourner en Suède, sans avoir été tenté par telle retouche de couleur ou tel masque en numérique.

Avez-vous tourné avec des optiques 16 ou 35 ?

J’ai choisi une série 35 mm Cooke S3 (celle qui avait été utilisée sur Marie Antoinette de Sofia Coppola). Avec une prédilection pour le 25 et le 32mm en intérieur. La douceur naturelle de ces optiques a été employée telle que, sans jamais aucun filtrage. Le seul vrai inconvénient de cette série S3 (par rapport à la série S4, plus récente) est son carrossage et notamment le développement très limité de la course de point. Avec à peine quelques millimètres entre 6 et 8 pieds, c’est très délicat pour le pointeur.

Quelles étaient les principales difficultés photographiques ?

Il a fallu faire un travail très précis avec l’assistant réalisateur pour pouvoir caler chaque plan dans les créneaux horaires idéaux. La question était particulièrement importante pour la dernière séquence du film qui débute dans l’après-midi et se termine le lendemain matin. En fait, quand on arrive en Suède, on est frappé par la beauté des ciels, surtout au crépuscule. Cela force d’une certaine manière l’opérateur à une certaine humilité, c’est-à-dire à un peu mettre de côté les artifices habituels de la prise de vues ciné.
C’est pour cette raison que j’ai essayé dans les plans les plus larges de tourner toujours sans lumière. En exploitant le plus possible la lumière naturelle, quitte, comme dans le dernier plan séquence, en attendant vraiment l’extrême limite. Celle où la luminosité rémanente du ciel tombe tellement qu’elle se confond avec la mer, les dernières lueurs et les dernières brillances faisant se découper un personnage sur le fond. On patiente alors jusqu’au dernier instant en espérant qu’il y ait encore quelque chose sur la pellicule ! C’est sans doute pour moi parmi les plus beaux plans du film.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)