Les films "du milieu" suspendus à leur décret

par Clarisse Fabre

La Lettre AFC n°206

Le Monde, 29 janvier 2011

Signé mais non publié, le texte favorise les budgets de 3 à 7 millions d’euros.
Le décret est « sur la table » du ministre de la culture. Il est même « signé », indique-t-on dans l’entourage de Frédéric Mitterrand. A présent, les cinéastes guettent sa parution au Journal officiel. Cela fait près de trois ans qu’ils attendent cette mesure réglementaire qui touche au coeur de la fabrication d’un film.

Elle vise à renforcer le trio producteur-réalisateur-scénariste et à redonner de l’air aux films qui ne sont ni très riches (moins de 7 millions d’euros de budget) ni très pauvres (plus de 3 millions d’euros).
Ces films " du milieu ", sorte de marque de fabrique du cinéma français, ont de plus en plus de mal à exister. Ce sont « ces films-là que le système de financement actuel, et en premier lieu les chaînes de télévision, s’emploient très méthodiquement à faire disparaître », avait dénoncé, lors de la cérémonie des Césars, en 2007, la réalisatrice Pascale Ferran, dont le film Lady Chatterley avait remporté cinq prix, dont celui du meilleur film. A l’initiative de la réalisatrice, un groupe baptisé " Club des 13 " avait publié un rapport aussi limpide qu’inquiétant sur l’état du cinéma d’auteur en France – Le milieu n’est plus un pont mais une faille (Stock, 2008). Ces cinéastes, producteurs, exploitants, etc., faisaient le constat suivant : les passerelles qui permettaient, historiquement, à un jeune cinéaste d’obtenir, film après film, des budgets grandissants, sont en péril. Le fossé devient de plus en plus grand entre les grosses productions « solubles avec le marché télévisuel » et les films peu dotés.
« Le décret tant attendu reprend l’esprit des propositions du Club des 13 », observe l’un de ses membres, le producteur Patrick Sobelman (Agat Films & Cie – Ex-Nihilo). Donner du temps à l’écriture d’un scénario, pour en améliorer la qualité, renforcer le rôle du producteur délégué, qui porte le projet du début à la fin et prend le plus de risques – contrairement aux autres coproducteurs, comme les chaînes de télévision : telles sont les ambitions du décret.
Ainsi, une aide de 10 000 euros permettra aux auteurs de démarrer un projet en toute liberté, sous réserve que leur film ne soit pas financé par une chaîne de télévision en clair et que son budget soit inférieur à 4 millions d’euros. Autre mesure phare, le producteur délégué conservera 100 % de son fonds de soutien – géré par le Centre national du cinéma – à hauteur de 150 000 euros. Sachant qu’une entrée en salles déclenche 70 centimes de fonds de soutien, cela signifie que le producteur pourra " garder " les 150 000 euros, jusqu’à ce que son film génère 220 000 entrées. Cet argent mis de côté servira à financer le prochain film. Par ailleurs, le fonds de soutien du producteur sera bonifié de 50 % lorsqu’il l’utilisera pour payer l’écriture d’un scénario.
Pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps pour que le " décret Club des 13 " voie le jour ? La réponse est politique. Frédéric Mitterrand souhaitait au préalable que les professionnels signent un accord sur la transparence du coût d’un film. L’enjeu est de clarifier le partage des recettes entre producteurs et auteurs, ces derniers ayant parfois le sentiment d’être lésés. « Si on compare tout ce qui est consommé par un spectateur (film en salles, DVD, VOD) et ce qui arrive entre les mains du réalisateur, il y a un décalage », résume la réalisateur Radu Mihaileanu, président de l’ARP – société civile qui a pour mission de défendre l’indépendance des auteurs, réalisateurs et producteurs, ainsi que la transparence de la production cinématographique.
Le texte a fini par être signé en décembre 2010, non sans mal. Chacun salue le rôle du médiateur du cinéma, Roch-Olivier Maistre – « incroyablement patient, très à l’écoute, bienveillant », dixit un participant. Et, bientôt, de nouvelles discussions vont s’ouvrir, qui s’annoncent plus vives encore. Cette fois, ce sera au tour des distributeurs, des exploitants et des chaînes de télévision de faire la transparence sur leurs comptes. La productrice Anne-Dominique Toussaint le dit : « Sans agressivité, mais avec détermination, on veut savoir ce qui se cache derrière les colonnes de chiffres. »

Clarisse Fabre, Le Monde du 29 janvier 2011