Les formats et leur restitution

par Matthieu Poirot-Delpech
La lutte pour le respect du format original du film lors de sa diffusion à la télévision semble malheureusement un combat perdu depuis longtemps. Les diffuseurs ont leurs "spécifications techniques" qu’il paraît aujourd’hui difficile de remettre en question. Il nous arrive même de finir par rire de dépit lorsque pour telle ou telle chaîne de télévision d’Amérique du Sud ou d’Asie on nous demande de faire "rentrer" un film en 2.35 dans le format carré du téléviseur.

Je me souviens d’une publicité dans la presse écrite, il y a quelques années, qui vantait les mérites du cinéma à la télévision. Elle était illustrée par la photo d’un téléviseur 16/9 sur lequel on apercevait une image de Citizen Kane (tourné en 1.37)...

Nous pouvions encore nous révolter lorsque, il y a vingt-cinq ans, la Cinq désirait diffuser une version colorisée (autre dénaturation du film) d’"Asphalt Jungle". L’affaire avait fait grand bruit et les héritiers de John Huston avaient eu gain de cause.

Pour la production contemporaine, le problème est différent. Les contrats habituellement établis par les producteurs avec les chaînes de télévision et les vendeurs à l’étranger sont des blancs-seings donnés pour toute opération de recadrage futur. Il est tout de même étrange que la notion française de droit moral de l’auteur puisse protéger l’intégrité de l’œuvre sur beaucoup d’aspect (le montage par exemple) mais pas en ce qui concerne le cadrage et le format.

L’époque est à la polyvalence, au multiformat.

Cependant, il demeure encore possible de faire preuve de vigilance lorsqu’il s’agit de la projection des films en salle et lors de la fabrication de la bande qui servira à graver les DVD. Lorsque les films sont tournés dans des formats où la fenêtre d’impression correspond au dépoli de la caméra, il n’y a pas trop de problèmes : il suffira que le projectionniste ou le technicien du télécinéma s’y conforme. Pour les films tournés en "full frame" - ce qui est notamment le cas pour les films tournés en Super 35 - le problème se pose. L’absence du "juge de ligne" que représente la fenêtre d’impression donne toute latitude à des recadrages aléatoires ou au télécinéma ou lors de la fabrication de l’internégatif à la truca.

C’est lors de ces phases de fabrication du master vidéo et de l’interpositif que la conformité de cadre - tournée souvent un an auparavant par l’assistant caméra - devient essentielle. Il est malheureusement rare de pouvoir les comparer lors de ces étapes de fabrication. Par ailleurs, ces petits bobinos isolés auront certainement disparus s’il advient que l’on ait besoin de fabriquer de nouveaux éléments dans le futur.

Pour remédier à ce problème, nous pourrions imaginer de systématiser l’insertion de quelques images de cette conformité de cadre dans le corps de chaque bobine du négatif monté. Ces images viendraient alors tout naturellement se placer à côté de la tête de femme avec laquelle elles formeraient un indiscutable "diapason" du film.

Lorsque j’étais enfant, je me souviens d’avoir vu "Les Dix commandements" de Cecil B. De Mille dans un cinéma paroissial de Normandie. Lorsque Moïse (Charlton Heston) brandit la Table des Lois vers un ciel déchaîné, je fus très surpris de découvrir au milieu des éclairs une rangée de projecteurs de toutes les couleurs. Voilà bien démontré les ravages que peuvent produire les erreurs de format : un intermittent de plus et un paroissien de moins.