Les trois vies professionnelles de Philippe Tourret

Par Caroline Champetier, AFC
Nous sommes particulièrement honorés de compter dorénavant Philippe Tourret parmi les membres consultants de l’AFC. Honorés parce que la rigueur et la droiture l’ont guidé sur les trois vies professionnelles où nous l’avons croisé : à l’étalonnage photochimique chez Eclair, dans les années 1980 ; sur les plateaux de Rappeneau, Sissako, Loizillon…, dans les années 1990 ; à nouveau au service numérique et patrimoine d’Eclair, dans les années 2000 où son exigence et son intelligence protégeaient nos images.

Né de parents auvergnats (il aime à dire qu’il en reste quelque chose), Philippe est très tôt passionné de musique et de cinéma. Tout en suivant des études de géologie (déjà la curiosité du multicouches), il passe des salles du quartier Latin à la cinémathèque de Chaillot où il croise parfois des metteurs en scène dont il étalonnera les films quelques années plus tard.

En 1977, grâce à François Sniatecki, père d’un camarade de lycée (à 22 ans comme Yann Dedet qui monte Les Deux Anglaises, et Xavier Beauvois qui tourne Nord, au même âge…), il entre au service étalonnage 16 mm d’Eclair puis passe très vite au 35 dirigé par Olivier Chiavassa auquel il dit « tout devoir ».
Ce seront dix ans de pratique dans l’un des deux grands laboratoires cinématographiques français. Il y étalonnera des films de metteurs en scène tels que, Sautet (Un mauvais fils, Garçon !), Blier (Beau père, La Femme de mon pote, Notre histoire), Cavalier (Thérèse), Pialat (Police), Godard (Détective), dont il conserve précieusement le cahier d’étalonnage, Doillon (La Pirate), Miller (Garde à vue, L’Effrontée), Resnais (Mon oncle d’Amérique, La vie est un roman).

Pour traiter leurs images, deux des stars photographiques de l’époque s’en remettront à son regard, Bruno Nuytten et Pierre-William Glenn. « Tout se jouait aux rushes où il fallait tout de même pas mal de talent et de passion… La part de créativité de l’étalonneur, ou plutôt d’interprétation, le dialogue avec l’équipe le soir et souvent des comptes à rendre, la confiance du directeur de la photo et aussi du metteur en scène, c’était vraiment génial ! »
Le désir d’accompagnement des metteurs en scène l’entraînera sur les plateaux à partir de 1987 jusqu’en 2005 avec, entre autres, Agnès Varda, Peter Brook, Bruno Nuytten , Jean-Paul Rappeneau qui appréciera son œil de repéreur, Claude Berri également, Christophe Loizillon, Pascal Bonitzer.
Après les fortes aventures de tournage de Heremakono (En attendant le bonheur) et Bamako, d’Abderrahmane Sissako, il arrive au terme de cette expérience en constatant qu’être metteur en scène suppose « d’avoir quelque chose de vraiment important à dire ».

Sans regret, il accepte la proposition d’Olivier Chiavassa de revenir chez Eclair pour « participer à la mutation technologique et apprendre encore ». Ce sera le début des étalonnages numériques où il suivra quelques 80 films avant que ne s’ouvre l’énorme chantier de restauration initié par le CNC où se succéderont pas mal de chefs d’œuvre : Tess, Les Enfants du Paradis, Police, Nous ne vieillirons pas ensemble, Sans toit ni loi, Boys Meet Girls, Mauvais sang, Les Nuits de la pleine lune, La Sentinelle, La Reine Margot et Shoah.
Pour Shoah nous avons (Davide Pozzi à L’Immagine Ritrovata, Raymond Terrentin chez Eclair et moi) travaillé avec Philippe pendant deux ans ; ce souvenir m’émeut particulièrement car nous avions les uns et les autres le sentiment de travailler pour l’histoire du cinéma et sur ce film-là, l’Histoire. Nous le faisions humblement et fraternellement, chacun apportant à l’autre, et tous au film, comme il faudrait que cela soit toujours.