Lettre à Christophe Ruggia, réalisateur, SRF

Eric Guichard, directeur de la photographie, AFC

par Eric Guichard La Lettre AFC n°233

Cher Christophe,
J’ai longtemps hésité à t’écrire cette lettre. Et puis des amis proches, certains techniciens de tes films, m’ont posé cette question : « Comment se passe ta relation avec Christophe depuis son engagement contre la Convention collective ? »

Christophe, tu es respecté pour tes engagements forts, celui des travailleurs immigrés, des sans-papiers, de la révolution tunisienne, de toutes les révolutions, du statut des intermittents, de ton travail avec Pascal Thomas autour de la défense du cinéma.
Et voilà que tu t’engages, comme toi seul sais le faire, à fond contre ce projet d’extension.
Nous nous parlons, nous échangeons mais je sens bien ton côté arc-bouté, celui qui fait la force de tes engagements et de tes films.
Nous divergeons quant à l’analyse des enjeux de cette Convention collective.
Je t’ai dit mon indignation de voir tant de noms signer ce texte " Sauvons le cinéma " où nous apparaissons comme des fossoyeurs et je doute du bien-fondé des propositions du Collectif.
Je ne peux pas être d’accord pour que les réalisateurs fixent quels doivent être nos salaires sur un film. C’est le rôle des partenaires sociaux représentatifs, puis de la production mais surtout le tarif syndical n’est qu’un minimum et peut-être qu’au bout de vingt ans de travail et d’expérience, j’ai droit à un peu mieux.
Je ne peux pas non plus être d’accord avec l’interprétation que vous faites quant à la constitution des équipes avec cette Convention collective. Oui, nous pourrons faire des films à 1, 2, ou 3, à 5, à 10.
Je ne peux pas davantage être d’accord quand on dit que les producteurs de l’API ne sont pas des producteurs.
Qu’un jeune producteur produise un seul film par an est à mes yeux aussi indispensable et important que le sont Gaumont ou Pathé.
Je ne suis pas d’accord avec M. Hadas Lebel qui annonce que son étude montre une augmentation des coûts avec la Convention collective en oubliant dans ses calculs que, finalement, la somme nécessaire pour que tous les films français soient faits en appliquant le tarif minimum syndical est de 25 M€, entérinant ainsi une énième fois le fait que les salariés resteront une variable d’ajustement.

C’est ta force de conviction, qui s’applique par ailleurs à ton travail, que j’apprécie le plus, mais cette Convention collective nous divisera-t-elle ?
Je sens tant de forces souterraines qui se réjouissent des dissensions entre techniciens et metteurs en scène. Ces forces qui ont toujours cherché à diviser les équipes pour mieux asseoir leur pouvoir sur les réalisateurs, ces forces qui aujourd’hui se taisent et attendent patiemment la dégradation de nos relations.
Je souhaite que nos divergences ne nous fassent pas perdre notre complicité rencontrée derrière une caméra.
Sache que je me battrai toujours à tes côtés pour que le financement des films soit approprié, que l’on oblige les diffuseurs à faire la part belle aux films d’auteurs, que le compte de soutien soit rééquilibré et protège les films de la diversité et que nous nous engageons, à l’AFC, pour que les films soient vus dans les salles et pas en catimini.
Christophe, j’espère que rien ne viendra barrer la route de notre collaboration car j’ai lutté avec entrain pour cela, pour tes films, tes projets, tes questionnements, tes recherches et aucune Convention collective ne pourra nous empêcher de faire tes films, vos films.
Et, quoi qu’il arrive, sache que mon amitié pour toi est et restera indéfectible pour l’avenir.

Ton directeur de la photo, ton ami.