Lettre ouverte à Monsieur Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture

par Jean-Jacques Bouhon

Monsieur le ministre,

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la vie des intermittents du spectacle est singulièrement compliquée par les nouvelles mesures concernant leur indemnisation Assedic. Je veux seulement revenir sur l’une d’entre elles qui me semble particulièrement injuste et néfaste pour l’avenir de nos professions. Je veux parler du fait que les heures d’enseignement prodiguées par les professionnels du spectacle ne sont plus prises en compte pour le calcul des heures travaillées. Dans l’ancien régime elles étaient soumises au fait que les écoles " employeurs " possédaient ou non le bon code APE. Dans le cas d’un mauvais code, ces heures d’enseignement n’étaient prises en compte que si la personne concernée avait travaillé au moins 169 heures pour des entreprises possédant le bon code dans les trois mois précédant la date anniversaire de l’ouverture de ses droits, ce qui compliquait déjà les choses.
Je suis directeur de la photographie et connais donc mieux ce qui concerne les professions du cinéma. Il faut souligner que les écoles nationales comme La femis et l’Ecole nationale supérieure Louis Lumière n’ont pas ce fameux code. Ces écoles désirent employer, de manière intermittente mais intensive, des professionnels du cinéma en activité afin de donner le plus de chances possibles à leurs élèves de bénéficier de l’expérience de leurs aînés. Cela fait même partie de leurs programmes d’études.
Alors la question que je pose est la suivante : doit-on déduire des nouvelles mesures que le Medef, la CFDT, la CGC et le gouvernement pensent que l’enseignement des disciplines du cinéma (ou du théâtre ou de la musique) doit dorénavant être uniquement pratiqué par des professeurs à plein temps n’ayant qu’une connaissance livresque ou universitaire des particularités de ces métiers qu’ils n’auront jamais pratiqués ? La transmission du savoir-faire est-elle condamnée alors qu’elle a fait ses preuves depuis des millénaires pour les métiers techniques, artisanaux ou artistiques ?
La rencontre d’un grand nombre de professionnels par les élèves des écoles artistiques et techniques n’est-elle plus souhaitable ? Imagine-t-on l’Ecole Nationale d’Administration, HEC, l’Ecole polytechnique n’offrant à leurs élèves que les prestations, nécessaires sans doute mais insuffisantes, de professeurs à plein temps, compétents certes, mais hors des circuits politiques, économiques ou industriels, et se privant du concours de professionnels ayant fait leurs preuves dans leurs domaines respectifs ? Est-il pensable que l’enseignement de la médecine soit fait par des professeurs n’ayant jamais ausculté le moindre patient ?
Pour ma part, j’ai toujours considéré que la transmission de mon modeste savoir faisait partie de mon métier et même de mon devoir. Dorénavant les professionnels des métiers artistiques y regarderont à deux fois avant d’accepter de donner une partie de leur temps à cet exercice enrichissant que représente cette transmission. Est-ce bien juste ?
J’ose espérer que cette mesure a été prise maladroitement et non intentionnellement et que les nouvelles négociations espérées par la grande majorité des intermittents du spectacle prendront en compte ce point que je n’ai vu soulever nulle part.
Veuillez agréer, Monsieur le ministre, l’expression de mes sentiments professionnels attristés.
(Jean-Jacques Bouhon, directeur de la photographie, secrétaire général de l’AFC (Association regroupant les directeurs de la photographie de long métrage)