"Light Fantastic - The Making of ’The Revenant’"

Où Emmanuel "Chivo" Lubezki, ASC, AMC, parle de l’utilisation de l’Alexa 65, de l’enregistrement et du worflow Codex

par Codex La Lettre AFC n°262

The Revenant n’est pas seulement l’un des films les plus attendus de 2016, il est aussi hautement susceptible d’emporter un nombre important de prix en cette saison de récompenses : il a obtenu, entre autres nominations, celle de la meilleure photographie. Le travail du directeur photo mexicain Emmanuel "Chivo" Lubezki, AMC, ASC – qui a travaillé avec les toutes dernières caméras grand format, dans un froid horrible et en utilisant uniquement la lumière naturelle – a été salué par la critique comme "expérience cinématographique ultime".


Lubezki est l’un des directeurs de la photographie en exercice les plus respectés aujourd’hui et il aime les défis. Il décroche son premier Oscar en 2014 pour avoir contribué à créer l’illusion avant-gardiste de l’odyssée spatiale de Sandra Bullock dans Gravity, d’Alfonso Cuaron. Il a récolté sa deuxième statuette en 2015 pour son travail créatif et technique exceptionnel sur Birdman, de Alejandro González Iñárritu, un film qui semblait être fait en une seule prise. Les deux films ont été produits dans des workflows Arriraw Codex.

The Revenant, également réalisé par Iñárritu, est basé sur l’histoire vraie du pionnier légendaire Hugh Glass (Leonardo Di Caprio) qui a été laissé pour mort à plus de 300 km de toute population américaine, après l’attaque d’un grizzli. Malgré de terribles blessures, le trappeur accablé de douleur progresse à travers le désert hivernal pour retrouver John Fitzgerald (Tom Hardy), l’ancien confident qui l’a trahi et abandonné.

« Pour The Revenant », dit Lubezki, « nous voulions que le spectateur vive une expérience forte, viscérale, immersive et naturaliste – il ne s’agissait pas de simplement lui faire suivre le voyage du personnage central, mais de le lui faire vivre comme s’il se déroulait réellement sous ses yeux. Nous voulions qu’il sente le froid pur, qu’il voit les lèvres violettes et le souffle des acteurs sur l’objectif, qu’il ressente les émotions puissantes de l’histoire ».

À l’origine, Lubezki avait prévu de tourner les séquences de jour en pellicule et en numérique au crépuscule et la nuit. Mais au cours des premières étapes du tournage au Canada, en octobre 2014, à des températures de -30° C, il a découvert que les appareils numériques – Arri Alexa M et XT – étaient plus performants que les caméras film dans une large mesure. « Avec les appareils numériques, nous avons découvert qu’il y avait un mystère et une intrigue, dans le ton et l’humeur, dans les images prises à différents moments de la journée, qui n’apparaissaient pas en film », explique t-il. « C’est avec un certain regret que nous avons donc renvoyé tout le matériel film à Los Angeles et avons travaillé entièrement en numérique. »

Comme par hasard, la décision de Lubezki de ne pas tourner en film a été prise quand Arri a sorti la première de ses caméras Alexa 65 de grand format. « Dès lors que j’avais l’Alexa 65, j’étais sûr de ne vouloir utiliser que des caméras numériques, et d’utiliser l’Alexa 65 autant que possible sur le film. » s’exclame-t-il. « Les images avaient les qualités immersives et "expérientielles" que nous avions imaginées au départ. Pas une représentation de l’histoire, mais la réalité – comme si vous étiez là, à regarder à travers une fenêtre. »

En collaboration avec le réalisateur, Lubezki choisit de tourner en 2,40:1 avec des optiques sphériques de courtes focales, ce qui était le format le plus immersif. Le tournage a été fait avec des Master Primes, principalement de 12, 14 et 18 mm, et aussi avec des Leica Summilux 14, 16 et 18 mm, car ils sont beaucoup plus légers à la main. Lubezki dit qu’il n’a pas utilisé de diffuseurs, car il préfère capturer une image aussi propre et nette que possible, puis faire les modifications en postproduction.

« Nous avons essayé des anamorphiques, mais elles ont moins de profondeur de champ et vous ne pouvez vous approcher autant des personnages », dit-il. « Je ne voulais pas d’arrière-plans flous. Tourner en sphérique m’a permis de cadrer les personnages dans leur contexte, mais vous pouvez toujours distinguer l’environnement. Nous avons tourné à un minimum de T 5.6 de sorte que les images aient beaucoup de profondeur de champ et soient composées avec des lignes de perspective donnant une esthétique dynamique. La combinaison de ces optiques sur les caméras Arri Alexa et la proximité des comédiens nous ont aidés à faire ressentir ce froid perçant - vous pouvez voir les mains gelées et la condensation de la respiration. »

Lubezki estime qu’il a utilisé l’Alexa 65 environ 40 % du temps sur le film. « Au début, je pensais que je ne voudrais l’utiliser que pour les paysages. Elle est beaucoup plus lourde que l’Alexa M donc elle ne convenait pas à la main. En faible lumière, je devais passer à l’Alexa XT. Mais petit à petit, chaque fois que je pouvais l’utiliser sur une grue, un chariot ou sur pied, je le faisais. Nous avons fait quelques plans au Steadicam® avec elle aussi. »

« La raison pour laquelle je voulais tant utiliser l’Alexa 65 est que c’est la première fois que j’ai senti qu’une caméra et un objectif pouvaient capturer ce que je voyais, ce que je ressentais. Avant l’Alexa 65, il y avait toujours un compromis – vous ne photographiez qu’une partie de ce que vous vouliez – mais elle, elle vous donne tout. »

Et il ajoute une note sur le rôle de Codex dans le développement du workflow de l’Alexa 65 : « Je dois tout mon respect à Marc Dando et Codex pour leur soutien sur Gravity et Birdman. Je les aime. Marc et son équipe ont créé un système d’enregistrement qui permet aux directeurs de la photo de profiter pleinement des caméras modernes – comme l’image Arriraw avec l’Alexa et maintenant l’Alexa 65. Sans Codex nous n’aurions pas pu enregistrer cette quantité d’information, avec cette qualité pure. Ils ont ouvert des possibilités créatives très importants pour les opérateurs et les réalisateurs avec leur excellent travail. Chapeau bas ! »

Si Lubezki a pu capturer un environnement empreint d’une sensation de terreur et de peur en utilisant les caméras Alexa, il a aussi apprécié de pouvoir photographier la beauté naturelle. Il note : « Comme nous étions dans un endroit sans pollution de lumière urbaine, nous avons parfois utilisé la lumière argentée de la lune, et vous allez voir des étoiles dans le film. Une nuit, nous avons aussi capturé le voile de lumière verte d’une aurore boréale. C’est l’une des choses mobiles les plus mystérieuses et belles que j’ai jamais filmée. »

Lubezki a étalonné The Revenant avec Steve Scott chez Technicolor. « Parce que nous avons tourné avec la lumière naturelle et avions peu de contrôle sur le plateau, je savais exactement ce que je voulais faire en postproduction – assombrir des arrière-plans, éclaircir un visage, changer un ciel. Ce fut un étalonnage compliqué à cet égard, mais j’aime cette partie collaborative du processus cinématographique. »

(Images : Fox Twentieth Century. Photos de plateau Kimberley French.
Traduit de l’anglais pour l’AFC par Laurent Andrieux)