Maintenant ou jamais

Lors du dernier Micro Salon de l’AFC, Patrick Leplat m’a proposé pendant la projection de Panavision de présenter quelques images du film de Serge Frydman Maintenant ou jamais (qui s’appelait alors Juliette). Le film a été produit par Nord Ouest avec Leila Bekhti, Nicolas Duvauchelle et Arthur Dupont.

A chaque fois que j’ai l’occasion de parler de ce film, la simple mention de son titre résonne de manière très spéciale comme si chaque évocation prenait un ton solennel, c’est « Maintenant ou jamais » !

Le Micro Salon cette année a été pour moi un événement rare. C’est à cette occasion je crois que spontanément Laurent Dailland et Eric Guichard (avec qui nous venions de faire une conférence à l’Idiff) ont eu la gentillesse de me proposer leur parrainage. Je leur en suis très reconnaissant. J’ai très vite accepté. Dans un second temps je me suis demandé : Est-ce le bon moment ? Je suis un jeune chef opérateur n’est-ce pas présomptueux ?
L’exercice même auquel je me livre est délicat. Présenter dans la Lettre de l’AFC mon travail sur ce film. Comme beaucoup, j’y ai mis beaucoup d’énergie, je ne voudrais pas que trop de cet enthousiasme ne transparaisse dans ce billet et ne me fasse passer pour quelqu’un de trop imbu de son travail. Nous le savons, cette passion peut tous nous transporter et nous amener à nous dépasser ou à simplement découvrir des styles auxquels nous ne nous attendions pas.

Ma première rencontre avec Serge Frydman a tout de suite posé les bases d’une relation particulière que nous continuons à entretenir. Nous avons très vite abordé le goût que nous avions tous les deux pour les films américains des années 1960-70 tels que Klute, Les Hommes du président, The Parallax View, d’Alan Pakula, Serpico et Un après-midi de chien, de Sidney Lumet, ou encore The Long Goodbye, de Robert Altman… Nous avons beaucoup discuté du travail de Gordon Willis dans Klute. Un des chefs opérateurs de mon panthéon personnel. Sa disparition en mai dernier m’a beaucoup ému.

Nous avons très vite voulu que le film soit emprunt de l’énergie de cette période où des films de studio se sont affranchis des décors fabriqués et sont sortis tourner en décors naturels. Il s’est passé à cette époque un phénomène très particulier qui a amené une grande fraîcheur et un renouveau des genres cinématographiques.
Nous voulions, avec Serge Frydman, un film de braquage mais pas seulement, un film avec un fond de crise mais pas seulement, une sorte d’entre deux tons. En musique ce serait une sorte de note ronde et soutenue mais accompagnée d’un dièse qui résonne un peu en décalage. Pas juste un film de braquage, pas juste un film social, nous espérions un peu plus.

Ces premiers échanges ont eu lieu presque deux ans avant le début du tournage. Le financement du cinéma n’est pas une science exacte, le film a été décalé plusieurs fois. La situation dans laquelle nous nous sommes retrouvés n’était pas extrêmement confortable mais au final je crois qu’elle nous a beaucoup servi.
Un décalage de cette envergure est parfois une aubaine. On peut avec " philosophie " le considérer comme autant de temps de prépa mis à notre disposition. Je ne dirais pas que c’est un luxe mais nous avons utilisé ce temps pour savoir très précisément où nous allions. Il est rare d’avoir une idée aussi précise de ce que devra être notre travail avant le début d’un tournage. Certains projets s’y prêtent, d’autres moins. Il y a un grand pas du film de Serge Frydman à celui d’Yves Angelo que je viens de terminer, Notre fils. Après le tournage de Notre fils, où une bonne part de la prise de vues a été laissée libre et parfois improvisée, je mesure encore mieux cet écart.

Maintenant ou jamais, quoiqu’en dise le titre, m’a pour cette raison appris une forme de patience. La mise en perspective d’un scénario dans la durée (deux ans…) de la fabrication du film a été une chose très appréciable.

Avec les références que nous avions en tête le film devait se tourner en anamorphique. La production s’est laissée convaincre. Patrick Leplat et Olivier Affre de Panavision m’ont très astucieusement proposé un savant cocktail d’optiques pour répondre à mes besoins et surtout au budget de la production… J’avais une base de série Primo AL (mélange d’un velouté et d’une force incomparable), complétée de longues focales de la série E, d’Ultra Speed pour les très grandes ouvertures (50 mm T1.0), de la série G pour la compacité et même du sphérique pour les très longues focales.

La caméra idéale pour cela était la Red Epic à la fois légère et compacte. Le film est animé de nombreux mouvements d’appareils. Elle est aussi capable de traiter le Scope avec une élégance que j’apprécie beaucoup. Alliée à la douceur des Primos à pleine ouverture cette combinaison semblait parfaite pour le film. Le rendu des peaux même en basse lumière est remarquable. La profondeur des couleurs et la richesse des nuances très particulières amènent à l image une finesse qui m’a été très utile à l’étalonnage. La séparation des couleurs de la caméra nous a permis avec Natacha Louis, étalonneuse du film, un travail extrêmement fin sur le rendu des tons chair dans les séquences de nuit parfois très denses mais, j’y tenais, toujours très douces. Ces capacités de la caméra sont aussi très utiles pour le traitement de certains extérieurs parfois délicat la nuit avec la lumière urbaine.

J’avais sur le tournage le PRM (Panavision Rushes Manager que nous avions commencé à développer sur le film d’Etienne Chatiliez L’Oncle Charles). Sur le plateau Karine Feuillard (DIT) affichait mes intentions d’étalonnage. Cela me permettait dans des conditions de tournage parfois difficiles (métro, grand boulevard la nuit) où nous devions être efficaces et rapides de très simplement faire la part des choses entre ce qu’il était indispensable que je travaille à la prise de vue et ce pour lequel j’aurai assez de latitude chez Technicolor avec Natacha. (Je rends grâce aux Briese Light, Broncolor para 88, aux Jokers Tungsten et HMI de K5600).

L’avantage du système étant aussi de superviser dès le tournage le traitement des rushes, de livrer à la production et au montage des images dans lesquelles nos choix esthétiques étaient déjà impressionnés. De cette manière tout en douceur nous avons pu emmener l’esthétique du film là où nous le voulions. Nous avons montré à la production que le traitement du Scope en numérique n’était pas trop lourd. Et je crois même que l’audace de certains choix de lumière et d’expositions en a surpris quelques uns. Je reconnais de ce point de vue une certaine forme de bienveillance de la production. Le fait de prendre en charge de cette manière le traitement des images peut nous assurer une forme de cohérence lors du visionnage des rushes. Nous avions à chaque fin de journée l’assurance que nos choix seraient correctement présentés et que nos fichiers étaient intègres.

Parfois, dans nos métiers, nous avons du mal à imposer certains partis pris. La tâche est je crois plus facile quand on peut se servir de ces outils pour intégrer nos intentions au plus tôt dans la chaine de fabrication du film. La cohérence esthétique du projet est plus forte et met souvent tout le monde d’accord.

Grâce à cette finesse de rendu, j’ai pu également me risquer à mélanger à l’anamorphique quelques plans très longues focales autour du 500 mm avec des Optimos sphériques avec doubleur (merci les caméras RAW). Il me paraissait important de me rendre compte très vite jusqu’où je pouvais aller dans les conditions spécifiques de ce tournage.
Nous voulions filmer Leila et Nicolas immergés dans la foule des quartiers parisiens. Nous les filmions très loin à plusieurs caméras. Nous ne sommes plus je crois dans des économies où on recompose en figuration une foule de 500 personnes qui sortent du métro. Ces contraintes nous ont paradoxalement beaucoup servi en terme d’esthétique et de réalisme de la mise en scène.

Nous nous sommes longtemps posé la question des décors en studio. Dans Klute, par exemple, les intérieurs sont souvent construits alors que pour les extérieurs et certains plans de déambulation, les personnages évoluent dans New York au cœur de quartiers populaires.

Nous avions quelques séquences à tourner dans une chambre d’hôtel où les personnages s’isolent. De cette chambre nous devions voir la banque que nous allions braquer. Nous avons trouvé un décor de banque exceptionnel situé en face d’un hôtel à Grenelle au pied duquel passe le métro aérien. Qu’un comédien regarde une croix sur un fond vert ou la véritable banque qu’il doit braquer, il me semble que le jeu pourrait être différent.

Seulement maintenant que nous avons une si belle vue, les comédiens sont posés pendant deux longues séquences du film devant une fenêtre, dans une chambre de 10 m2. Malgré cela Pierre François Limbosch nous a aménagé un décor incroyablement fonctionnel où parfois comme en studio nous pouvions si c était nécessaire placer la caméra à travers un mur…

Et pour la lumière… deux comédiens collés la nuit à une fenêtre à travers laquelle on doit voir la rue du 4e étage. J’ai découvert les True Color HS, une merveille de puissance et de douceur sur les peaux. Ce sont des projecteurs très légers pour le rendement qu’ils offrent. Je les plaçais avec de longs déports par la fenêtre de la chambre du dessus.

Ces petits espaces et cette proximité avec les comédiens a, j’en suis convaincu, beaucoup apporté au film. Chaque mouvement de la caméra ou des comédiens étaient perçus de manière toute particulière car ils répondaient à une forme de nécessité. Cela donnait aux personnages la présence que nous attendions.

Je me souviens aussi avoir utilisé ce type de lumière extrêmement légère et douce (mélange de diodes, de flood et de Kino) pour les séquences d’appartement Juliette. Notre couple est à l’étroit dans l’appartement où ils vivent avec leurs deux enfants. Comment rendre cette promiscuité oppressante mais en même temps faire vivre cet appartement où habitent deux enfants très énergiques. Nous avons paradoxalement pour ce petit appartement utilisé beaucoup de Steadicam pour déambuler à travers toutes ces petites chambres, salle de bain, cuisine.

Il y a un plan assez emblématique du film qui reprend bien l’esprit du tournage. Nous étions très proches de Leila qui traverse toutes les pièces de l’appartement. Elle part de la salle de bain et finit à la fenêtre du séjour où elle découvre Nicolas Duvauchelle qui l’épie du dehors. La caméra est très mobile et doit être légère (mais toujours en Scope grâce à notre cocktail d’optiques Panavision avec cette fois la série G) mais très proche des comédiens. Le décor est petit, on se frotte les uns aux autres, chaque mouvement a une importance particulière. La lumière est au service du jeu des comédiens et de la scène. Impossible d’éclairer la minuscule salle de bain à 11 de diaph comme à la fenêtre du salon. Grâce au préétalonnage nous avons pu effectué un changement de diaph radical de 2,8 à 11 sans lequel la séquence n’aurait pas été possible dans notre économie.

De ce film, je crois, peut transparaitre une alchimie particulière entre la mise en scène, les comédiens et la prise de vues. J’espère le tout au service du projet de Serge Frydman. Je vous encourage à aller le voir.

Pour finir je tiens à remercier mon équipe pour son aide et son soutien, Hervé Rousset chef machino, Stéphane Agostini et Richard Vidal, chefs électros et surtout Maud Lemaistre qui, grâce à sa dextérité au point, a su rendre la caméra aussi mobile que je le souhaitais.

Équipe

Assistantes caméra : Maud Lemaistre, Karine Feuillard
Chef machiniste : Hervé Rousset
Chef électriciens : Richard Vidal, Stéphane Agostini

Technique

Matériel caméra et machinerie : Panavision Alga (Red Epic, optiques Panavision séries Primo AL, E, Ultra Speed et G, zoom Angénieux Optimo)
Matériel électrique : RVZ Lumière, Transpalux
Laboratoire : Technicolor
Etalonnage : Natacha Louis