Mais qui a re-tué Pamela Rose ?

Mais qui a RE tué Pamela Rose ? ou comment j’ai squeezé…
Dix ans après, me voilà rappelé pour tourner la suite d’un film qui avec le temps, les multi rediffusions Télé et les DVD, compte pas mal d’afficionados. Il s’agissait de ne pas les décevoir.
Je crois qu’ils ne le seront pas.
Cette fois, c’est Kad et Olivier qui l’ont réalisé, comme en plus ils ont le rôle principal, je me retrouvais doublement en sandwich. Mais ce fût un " double cheese " (référence américaine oblige) tant le tournage fût agréable et excitant pour un opérateur. En tout plus de 80 décors et ambiances à traiter. (Salle de catch type show WWF, Boeing 747 Air force One, cimetière, bureau FBI, poursuite en péniche, Maison Blanche, Capitole…, etc.) Le tournage s’est majoritairement déroulé en France et quelques jours à Washington DC pour des scènes spécifiques.
Comme pour le premier film réalisé par Eric Lartigau, l’image se devait de suivre scrupuleusement les routes balisées du thriller hollywoodien, pendant que l’histoire, elle, dérapait joyeusement de plusieurs degrés.

Au delà de la parodie, c’est ce décalage progressif entre un scénario loufoque et un filmage droit dans les bottes du polar ricain, qui nous semblait le plus à même de révéler l’absurde et le comique de situation. Une bipolarisation en somme. Jeu de mot fumeux j’en conviens, mais bon, c’était l’idée.
Je fus moins enthousiaste lorsque, pour des raisons budgétaires il a été décidé de tourner le film en numérique. A l’époque (été 2011), le Raw était encore une usine à gaz hors de prix et on a vite dû se rabattre sur de l’Alexa ProRes. Pour avoir déjà tourné avec ce format, j’en connaissais ses limites. Espace colorimétrique faible, effet visage de cire sur les peaux, manque de définition sur les plans larges, visée improbable et le fameux Log C, déprimant " négatif numérique " à la platitude laiteuse et tout à fait " irregardable ". Sans compter l’impossibilité avec le capteur 16/9 de faire du vrai Scope à l’époque, bref que du bonheur photographique…

Après avoir fait mon deuil du 35 mm, en jetant par pertes et profits une bobine de la magnifique 200T de chez Kodak tel le discobole voyant s’envoler ses illusions, j’ai tenté de m’adapter à la nouvelle donne technique.
Comment faire du Scope à présent ? Format qui s’imposait en terme de référence pour Kad et Olivier.
Après divers essais comparatifs d’optiques et avec leur total soutien et insistance, j’ai obtenu le fait de tourner ce film avec une série d’objectifs Hawk x1,3 Squeeze de chez Vantage pas très courante à l’époque (Vantage France n’avait pas encore ouvert ses portes) et surtout la seule série qui permettait de tourner en anamorphique avec l’Alexa 16/9. Cela représentait un surcoût certain car la série dut être sous louée. Merci à TSF d’avoir joué le jeu.
L’avantage, c’est que je pouvais profiter de la totalité du capteur de l’Alexa, ne pas " cropper " dans l’image et perdre près de 30 % de la surface du capteur comme avec une série sphérique.
Outre la définition, j’obtenais, ce qui m’intéressait encore plus, de beaux flous arrière et la possibilité de flares oblongs caractéristiques du format Scope. Certes pas comme avec du vrai anamorphique x2 mais ce n’était pas si mal. L’autre aspect plus inattendu fût le rendu sur les visages. La rondeur relative de ces optiques permettait un rendu plus velouté des carnations. Je l’ai constaté sur la comédienne Audrey Fleurot, sa peau diaphane de rousse ponctuée d’éphélides ressortait plus subtilement qu’avec un Master Prime qui s’avéra trop " sharp " finalement.
A l’instar du Super 16 gonflé en 35 des temps immémoriaux, le piqué des plans larges n’était pas optimum. Et je me suis dit qu’il faudrait un peu plus de contraste à l’image pour contrebalancer cette impression de mollesse.
L’autre combat consistait à déjouer tant faire se peut cet effet d’aplat que l’on ressent souvent en numérique et en ProRes particulièrement qui a un espace colorimétrique limité vu qu’il ne sépare pas ou mal les demi tons. Pour pallier ce défaut et gagner un peu en profondeur d’image, nous avons, avec Isabelle Delbecq la chef décoratrice, cherché à avoir au maximum des fonds denses, " matièrés ", ou dans des tons inverses sinon éloignés de ceux des peaux.

Côté lumière, j’ai appliqué le même principe. Outre la recherche constante de contraste pour accentué le coté thriller, ce fût la valse des températures de couleurs en jour et en nuit. J’ai parfois intentionnellement forcé sur les gélatines et coloré un peu plus les effets. Je cherchais, là aussi, à récupérer de la profondeur et faciliter la séparation chromatique à l’étalonnage.
Car à ce stade, avec Marjolaine, vieille compagne de jeu, (enfin le vieux c’est plutôt moi), on voulait éviter de pousser le potard de saturation à tout va et exagérer artificiellement des couleurs qui n’existaient pas ou avoir recours à une dominante jaunasse‐orangeasse, ce jus qui lisse l’image et qu’on nomme sans conviction " ambiance chaude ". Mais même par temps ensoleillé et en plein été, le rendu des extérieurs arborés renvoie fréquemment une impression un poil automnale, conséquence d’une sensibilité dans le vert pour le moins aléatoire.

Autre chose, en Alexa, je suis adepte, comme d’autres, du système " T Cube " pour appliquer mes propres LUT sur le retour plutôt que de me référer à celles intégrées de base à la caméra, la REC 709 est trop magenta à mon goût. (J’en avais une petite dizaine à dispo faites à Eclair, en jour et nuit, extérieur, et intérieur). Le système des LUT " sur mesure " n’est certes pas parfait, il n’est pas appliqué dans la visée, parfois rien ne correspond vraiment à la scène et évidemment que ces LUT sont transparentes à l’enregistrement. Mais il me semble que pour des réalisateurs, à fortiori acteurs, il est plus agréable et rassurant de voir chaque scène avec une première ébauche du rendu final. La fonction du " combo " a évolué qu’on le veuille ou non. La qualité HD des moniteurs liée à la nouvelle logique du filmage en numérique, amène insidieusement le retour vidéo vers un autre emploi, devenant d’une certaine façon l’équivalent des anciennes projections de rushes qui eux étaient étalonnés. Même si ce n’était pas un travail définitif.
Dans le même ordre d’idée, je fais appliquer ces LUT pour les rushes que je visionne sur Blu Ray, ou rien, afin d’avoir un semblant d’équivalence en définition avec la qualité de l’image du retour plateau, sinon ça ne me sert pas à grand chose. Et ça prend la tête. C’est pourquoi le système de LUT personnalisées, même s’il n’est pas techniquement indispensable, me semble utile. Ne serait-ce que pour le dialogue en plateau avec réalisateurs et collaborateurs artistiques directs.

Au final malgré les contraintes du ProRes, je pense que Paméla 2 reste dans la même veine d’image que le premier tourné en 35, et je suis plutôt content du résultat avec un bémol peut‐être sur les prises de vues hélico faites hors tournage par une équipe américaine spécialisée en aérien. L’hélico embarquait une autre config’ caméra en optiques sphériques sur une Sony (F35 je crois, mais pas sûr).
Le rendu matchait assez mal avec nos images tournées en Alexa + Hawk x 1,3. Marjo a rattrapé au mieux.
Voilà pour mon expérience numérique sur ce long métrage. Je voulais vous faire partager mes observations, même si en relisant je me rends compte du risque que bon nombre soient, un an après, tout à fait obsolètes.
Sans doute ne procèderai-je plus pareil demain.
C’est la vie… par haute définition.

Portfolio

Équipe

1er assistant caméra et cadreur 2e caméra : Chris Abomnes (The spécial one) suppléé à l’occasion par Luc Pallet (The legend) et JF Alain (SuperSub).
Chef électricien : Patrick Contesse (The policeman)
Chef machiniste : Xavier Embry (Steve Mac Queen)

Technique

Matériel caméra : TSF Caméra, Arri Alexa ProRes 4:4:4
Objectifs : Série Hawk V-Lite - 1.3x Squeeze, zoom Angénieux Optimo 32-380 mm - bloc anamorphique Hawk 1.3x Squeeze
Matériel technique : TSF Grip - TSF Lumière
Laboratoire : Eclair
Etalonnage : Marjolaine Mispelaere (Miss Polaire)
Effets Spéciaux : Mikros image