Man to Man

Paru le La Lettre AFC n°142 Autres formats

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Je n’ai pas le talent d’un attaché de presse pour faire un résumé du film, voici juste quelques mots pour raconter l’histoire.
En pleine époque victorienne, des scientifiques écossais envoient l’un deux (Joseph Fiennes) pour capturer et ramener des Pygmées afin de les étudier et des les présenter comme étant le " chaînon manquant ". Une aventurière (Kristin Scott Thomas) les aide dans cette entreprise.
Kristin Scott Thomas prête à se jeter dans un plan
Kristin Scott Thomas prête à se jeter dans un plan


A une époque où toutes les capitales européennes " exhibaient " leurs " sauvages " afin de justifier leur politique colonialiste, l’histoire du film trouve sa sève dans les différences de réaction des personnages face à ces Pygmées, ces derniers étant aussi les " anthropologues " de la culture anglaise. Porté par la caméra de Régis, toujours aussi mouvante et émouvante, le film nous emmène dans une aventure à la fois romanesque et grave.

Le chef africain et le patron des patrons (égale le réalisateur, en langage pygmée)
Le chef africain et le patron des patrons (égale le réalisateur, en langage pygmée)
Premier jour en Angleterre... Pas très bon souvenir...
Premier jour en Angleterre... Pas très bon souvenir...

Man to Man est en fait le premier film à vocation internationale que j’éclaire, comédiens anglais (pas seulement), dialogues anglais et surtout faire de l’image avec des collaborateurs étrangers : confrontation des cultures et des méthodes d’Afrique du Sud ou d’Angleterre. Quand on accepte d’être un directeur photo voyageur, je crois qu’il ne faut pas emporter une trop grosse valise et rester réceptif à d’autres façons de travailler ; on y trouve forcément un intérêt très créatif pour le film. Mais si j’ai eu la continuité avec mon cadreur et mon assistant opérateur sur tout le film, j’ai dû changer de chef électricien et de chef machiniste au milieu du film quand nous sommes partis d’Afrique pour nous rendre en Angleterre et en Ecosse. Mais dans ce choix financier de production, notre producteur exécutif anglais ayant raté son " deal " avec le " gaffer " pressenti, j’ai pu récupérer mon chef électricien français, Pascal Pajaud, et heureusement car le premier décor anglais était un port de nuit avec 4 vieux gréements...

Les fameux fluostars de Pascal Pajaud autour de Flora Montgoméry
Les fameux fluostars de Pascal Pajaud autour de Flora Montgoméry
Lomama, maintenant c'est lui qui a mon verre de contraste !
Lomama, maintenant c’est lui qui a mon verre de contraste !

Au début du tournage, je regardais Régis (qui, lui, parle un anglais parfait !) se débattre au milieu des questions très précises des comédiens anglais et, juste après, essayer de diriger Lomama (comédien pygmée du Congo) avec des gestes, quelques mots appris de sa langue et beaucoup de patience ; je me disais que son envie était d’avoir la même qualité de communication et de respect avec tous les acteurs, anglais ou pygmées.
J’ai essayé d’être bon élève, et si, à la fin du film, mon anglais faisait toujours autant sourire, j’ai eu le sentiment d’être allé vers mon équipe autant qu’elle est venue vers moi. J’espère avoir réussi à leur donner l’envie de partager mon travail, on ne fait pas un tournage de 5 mois tout seul...

Régis Wargnier et le Steadicam ! Qui l'eût cru !
Régis Wargnier et le Steadicam ! Qui l’eût cru !
Ien Glenn fait semblant de ne pas nous voir
Ien Glenn fait semblant de ne pas nous voir

Régis souhaitait une image dans la même veine que celle d’Est-Ouest, notre première collaboration. Pour mémoire, nous avions un traitement ENR (sans blanchiment ou presque) sur les copies du film. Cette solution avait donné d’excellents résultats tant que les copies étaient bel et bien développées selon ce procédé spécial. Le spectateur français a pu voir le film dans de bonnes conditions, mais à l’exportation, sauf quelques pays livrés avec des copies " Eclair ", les autres spectateurs ont vu un film tout gris. Au moment où l’on essaie tous de redéfinir ce qu’est le travail et la responsabilité du directeur de la photographie sur un film, nous nous devons de rajouter le chapitre de la pérennité de l’image qui se perd dans les méandres trop mercantiles des distributions, aussi bien en France qu’à l’étranger. Pour faire front, j’ai proposé de finaliser le film en étalonnage numérique afin de livrer à tous les distributeurs éventuels un négatif " industriel " pouvant être exploité partout de façon habituelle.
Je n’ai que partiellement réussi... En effet pour sortir toute la subtilité des nuances de ce film, nous devons le tirer sur la pellicule positive haut contraste Vision Premier... plus chère ! L’exploitation de Man to Man à l’étranger sera à surveiller de très près.

Une belle actrice, un beau décor, une belle lumière...
Une belle actrice, un beau décor, une belle lumière...
Flora Montgoméry - Super content de ce plan... Pas dans le film !
Flora Montgoméry - Super content de ce plan... Pas dans le film !

Faire un film dans deux pays aussi différents que l’Afrique du Sud et l’Ecosse est un challenge intéressant, même s’ils se rejoignent sur le plan météo : c’est-à-dire imprévisible. J’ai été confronté au plan de travail et aux décisions budgétaires et j’ai dû tourner des scènes écossaises en Afrique, ce qui n’est pas si grave en intérieur mais devient problématique en extérieur quand les acteurs sortent du champ en Afrique et rentrent dans le champ en Angleterre... Pour tourner l’Ecosse sous la lumière crue du sud, j’ai souvent utilisé la Kodak 5246 avec un développement grain fin. Pour toutes ces raisons prévisibles, j’ai pris la décision de finaliser l’image en numérique. Nous avons tourné en 3 perforations pour essayer de gagner un peu d’argent à mettre dans ce poste qui n’était pas prévu au devis... Si parfois ce choix m’a pesé sur certaines séquences du film (les intérieurs avec fumée par exemple), ce fut un bonheur pour tous les raccords extérieurs de temps et pour toute une séquence de nuit américaine...

A l'aube, il ne fait pas chaud pour nos petits acteurs
A l’aube, il ne fait pas chaud pour nos petits acteurs

C’était la séquence la plus difficile à aborder. Déjà, à la lecture, la séquence commence de nuit et se termine à l’aube sur un paysage de falaises et de mer avec un mélange des intérieurs et des extérieurs. J’avais déjà fait, sur Est-Ouest, une séquence en nuit américaine " moderne " finalisée en numérique, mais c’était un tournage hors plan de travail avec des plans tournés juste avant le lever du soleil ou juste après le coucher... Mais là, avec toutes ces " caravanes " et cette grosse équipe, impossible d’imposer ce rythme... Et je déteste aussi mettre les metteurs en scène dans un diktat d’image... J’ai prié pour que la météo m’offre un ciel gris plombé pendant 7 jours... Et bien disons que cela aurait pu être pire... Je crois que lorsqu’on prend de tels risques, il faut avoir de la chance ! J’avais brûlé mes jokers en Afrique du Sud avec 2 jours sans tourner au plus profond de la forêt et un temps trop bas, il fallait que cela marche en Écosse !!! J’ai eu très peur le premier matin à la falaise, sous un soleil radieux, en installant la grue qui faisait une magnifique ombre portée sur tout le décor !...Puis les nuages sont arrivés ! Une grosse équipe, une grosse figuration, des chevaux, une grue, etc. Cela veut dire aucune souplesse du plan de travail et pas de décor de secours, surtout quand le directeur photo demande du très mauvais temps ! Au final, avec Isabelle Julien et le " Luster ", nous avons réussi à avoir une nuit américaine qui évolue vers l’aube.

Guillaume Siama n'y voit rien avec les lumières du chef op' !
Guillaume Siama n’y voit rien avec les lumières du chef op’ !

Une autre difficulté du tournage a été les décors de nuit dans les châteaux écossais, tous classés bien sûr, donc pas de flamme, et aucune accroche possible. J’ai travaillé avec des grands filets de " Christmas light " et des tubes incandescents et je m’angoissais sur le résultat même si cela faisait de jolies photos de plateau !

La forêt écossaise... Magnifique !
La forêt écossaise... Magnifique !

En écrivant ce petit mot, je me rends compte que c’est le premier film d’époque que je fais (RRRrrrr ! d’Alain Chabat ne pouvant être répertorié dans cette catégorie) et j’espère avoir donné envie de le voir. J’attends vos critiques avec impatience ! Et merci à tous ceux qui m’ont aidé de près ou de loin dans cette aventure.

Tournage en Afrique du Sud (région de Durban) et en Ecosse.

Équipe

Production : Vertigo
Chef décorateur : Maria Djurkovic
1er assistant réalisateur : Nick Heckstall-Smith
Cadre et Steadicam : Stuart Howell

Technique

Pellicules négatives : Kodak 5245, 5246, 5229
Caméras : Arricam Studio et Arricam Light (Arrimedia Londres)
Objectifs : Cooke S4 et zoom Optimo Angénieux
Laboratoires : Vidéo Lab (Afrique du Sud), Technicolor (Grande-Bretagne), Eclair (France)
Etalonnage numérique : Eclair (Isabelle Julien)