Map of The Sounds of Tokyo

d’Isabel Coixet, photographié par Jean-Claude Larrieu, AFC

par Jean-Claude Larrieu

Jean-Claude Larrieu filme Tokyo
Jean-Claude Larrieu a développé une longue et fidèle collaboration depuis quatre films avec la réalisatrice catalane Isabel Coixet. Il l’accompagne aujourd’hui en compétition officielle avec un nouveau film tourné entièrement à Tokyo, marquant également pour lui sa première expérience avec la caméra de cinéma numérique Red One

Quelle est la genèse du film ?

Jean-Claude Larrieu : Le projet du film Map of The Sounds of Tokyo s’est monté très vite. A peine avait-il reçu le scénario, dont Isabel est l’auteur, que le producteur, Jaume Roures, donnait dans les jours qui suivirent son accord pour le faire. Le tournage au Japon a même été avancé pour profiter de la disponibilité de son héroïne, Rinko Kikuchi.
Je dois insister sur le talent et l’efficacité de ce producteur catalan, sur la confiance et l’appui à la mise en scène qu’il a su générer. Mais aussi sur la façon qu’a Isabel de concevoir le projet de ses films, de choisir les comédiens qui interprèteront ses personnages, de les amener à être, sans mille éclats d’explications. Être juste lui semble facile lorsqu’elle est en présence des acteurs dont elle sait la valeur, la grandeur, et qu’elle a choisis.

Comment Isabel Coixet travaille-t-elle ?

JCL : Isabel Coixet tourne peu deprises, de une à trois maximum. Bien que son rythme de travail soit exceptionnellement rapide, qu’elle opère le cadre, elle reste concentrée sur le sens du propos, sur le regard des comédiens. Ce film a été réalisé en six semaines de tournage. Mais avec un temps rigoureux de préparation.
En ce qui me concerne, après avoir choisi les décors et précisé les enjeux, je reviens souvent les visiter avec le chef électricien, pour parfaire la construction de la lumière avec ce qui est nécessaire et pouvoir répondre, le moment venu, en un tour de main, aux avancées de la mise en scène.

Le choix de l’équipe dans un pays étranger, qui plus est au Japon, est chaque fois un moment très important. Il faut rassembler des collaborateurs de valeur. Alors que l’on ne se connaît pas, nous habituer en peu de temps à eux et eux à nous, afin de pouvoir déclencher ensemble, le moment venu, la meilleure stratégie de travail.
C’est à partir de ces premières approches que la barrière de la langue s’efface progressivement et que l’on s’aperçoit très vite, où que l’on soit, qu’avec peu de vocabulaire, l’on arrive très bien à se comprendre et à s’estimer.

Comment le film est-il cadré ?

JCL : C’est Isabel qui cadre ses films. Elle alterne les plans à l’épaule, les plans sur pied, ou sur la dolly. Le Steadicam est très rarement utilisé. Souvent elle choisit de suspendre la caméra à un système d’élastiques accrochés à une potence ou sur la dolly, de manière à garder un certain flottement dans le cadrage. Tout le film a été tourné quasiment avec une seule caméra Red, la deuxième n’étant qu’une caméra de secours qui n’a servi que très rarement.

Dès la première scène du film, on se rend compte de l’importance des lumières de la ville dans la composition des images...

Pour reconstituer ce décor de restaurant, qui est la première scène du film, nous avons trouvé un lieu idéal, un penthouse qui permettait d’offrir en arrière plan une découverte de 180° sur la ville de Tokyo la nuit. Cette scène de grand dîner se déploie dans un étrange moment de calme, juste avant qu’une tragédie, accentuée par un quiproquo général, la transforme en débandade.
J’ai axé toute la lumière à partir d’une solide construction au plafond qui serait invisible dans les plans d’ensemble mais aussi par réflexion sur les grandes baies vitrées et qui ne gênerait jamais au moment des changements d’axes. Ainsi disposée, cette lumière fluorescente pouvait recevoir la tonalité de couleur chaude que j’en espérais et permettait d’en moduler l’intensité générale afin de préserver l’équilibre entre l’extérieur et l’intérieur. Cette première séquence a pu ainsi être tournée sans la gêne d’aucun projecteur, avec un diaphragme de 1.8.

Le film semble très ancré dans la réalité et les décors naturels...

JCL : En majorité, le film a été tourné en décors naturels, intérieurs et extérieurs, le plus souvent de nuit, à l’exception de la chambre du " Love Hotel ", baptisée " Place des Vosges ", ainsi que le couloir et la réception attenants, qui ont été construits en studio.
Pour ce lieu inventé, j’ai opté pour un éclairage proche d’un réel magnifié. La pratique du studio permet de placer, lorsque c’est nécessaire, des sources puissantes très loin ou très haut de manière à ce que la lumière puisse venir mourir sur les personnages, après l’avoir retravaillée sur le parcours à différentes distances, afin de donner l’impression, à l’écran, que tout est naturel, alors que le dispositif est en réalité plus sophistiqué qu’il n’y paraît.

Comment qualifieriez-vous la lumière nocturne dans la ville de Tokyo ?

JCL : J’ai découvert, au fur et à mesure de nos repérages, une ville beaucoup plus sombre que l’on a coutume de l’imaginer. Cette immense métropole s’organise autour de petits quartiers sans centre réel. La lumière qui les éclaire est le plus souvent composée d’une multitude de sources à la portée de chacun, sans haute intensité, de couleurs mélangées, des bleus, du blanc, des verts, jaunes orangés, que sais je, plus qu’une uniformité comme celle générée par la lumière sodium dans nos villes.
Les séquences nocturnes ont été rééclairées par touches, en tenant compte du réel, et avec l’intention de construire, autour du déplacement des comédiens, des croisements de lumières qui puissent révéler l’harmonie dans chaque scène.
Dans ce dessein, la préparation fut essentielle à Tokyo. Situer un par un les projecteurs, et les alimenter, nécessite des autorisations. Par respect pour les passants et leur sécurité, l’improvisation n’est pas possible.

Aviez-vous un moniteur de référence ?

JCL : Sur le plateau, mon seul point de référence a été l’ordinateur sur lequel nous déchargions les cartes mémoire. Une fois la prise importée, dès l’apparition de l’image RAW, je pouvais, après quelques minuscules réglages sur la courbe, grâce au logiciel Red, visualiser l’image très correctement. C’est ce qui m’a permis de ne jamais douter de la qualité de ce que nous enregistrions. Au moment de la prise de vues, j’utilisais, bien entendu, la fonction histogramme du moniteur LCD pour régler le diaph.

Parmi les reproches faits à la caméra Red, il y a la sensibilité indésirable aux infrarouges et la colorimétrie équilibrée à 3 200 K…

JCL : Nous avons tourné avec le filtre qui coupe l’infrarouge. J’avais été mis en garde contre ce risque lors des essais.
Map of The Souds of Tokyo est un film très souvent éclairé en lumière tungstène, avec des Kino Flo Image 80, des Wall O Ligth, ainsi que des Fresnel de 5, 10 et 20 kW. Je n’ai rencontré aucune difficulté à étalonner ces images photographiées tantôt en tungstène, tantôt en Dayligth, même si, semble-t-il, le capteur de la Red est plutôt équilibré pour la lumière du jour. La seule précaution à laquelle j’ai veillé en permanence, c’est le contrôle des hautes lumières. J’ai utilisé des densités neutres, jusqu’à N12, pour les découvertes ou les arrière-plans, entre autres, les panneaux lumineux en arrière-plan proche, dans les rues.

Finalement, quel bilan faites-vous de cette première expérience en Red ?

JCL : C’est pour moi une bonne expérience. Jaume Roures, le producteur a été volontaire dans ce choix, il a su nous accompagner avec Isabel dans cette décision, tout en nous laissant la liberté du choix. Le bilan est que le film est à mes yeux réussi, et que le système Red One, nous a conduit a donner un autre style à l’image du film.
Cette expérience très intense aura permis à Médiapro, avec l’équipe de Molinare et le laboratoire Deluxe, de mettre au point, en Espagne, la chaîne complète de prise de vues, jusqu’à la postproduction.

(Entretien réalisé par François Reumont)

  • Retrouvez d’autres propos de Jean-Claude Larrieu dans le numéro Spécial Cannes de Sonovision.
Isabel Coixet, à gauche, et Jean-Claude Larrieu, à droite - sur le tournage de <i>Map of The Sounds of Tokyo</i>
Isabel Coixet, à gauche, et Jean-Claude Larrieu, à droite
sur le tournage de Map of The Sounds of Tokyo





Sur le tournage de "Map of The Sounds of Tokyo"
Sur le tournage de "Map of The Sounds of Tokyo"