Maurice Fellous, un anniversaire sans lui

Par Charles Dubois, réalisateur

La Lettre AFC n°256

3 août 2015… Maurice aurait eu 90 ans. Cela va me manquer de ne pas lui souhaiter son anniversaire. Nous avions un jour de différence. Lui le 3, moi le 4. Quelquefois il croyait que c’était le 2 ou le 5. Mais c’était le moment de prendre des nouvelles. Deux lions qui faisaient un petit point sur le la vie, le travail.
Charles Dubois et Maurice Fellous règlent un plan d'un film tourné à Vaulx-en-Velin - De gauche à droite : Christian Cutzach, assistant, Charles Dubois et Maurice Fellous - DR
Charles Dubois et Maurice Fellous règlent un plan d’un film tourné à Vaulx-en-Velin
De gauche à droite : Christian Cutzach, assistant, Charles Dubois et Maurice Fellous - DR

Flash back
J’ai rencontré Maurice il y a 31 ans. Il était mon chef opérateur sur un film sur la banlieue lyonnaise et le monde du théâtre.
Il m’a tout de suite étonné. Il aimait la fragilité. Pas béatement. Il aimait car on sentait que cela le régénérait. J’aimais bien sa façon de mettre en doute certaines choses.

Tenez, je vous propose de faire un petit abécédaire pour l’ami Maurice.

A comme Artisan
Lorsque j’ai fait mon premier film, c’était dans les cités Tase, à Vaulx-en-Velin.
Le premier repérage était sur un terrain de boules. Univers mi théâtral, mi réaliste et j’ai senti que Maurice était comme un poisson dans l’eau. C’était pour lui une aventure.
Comme la production n’était pas riche, il a même accepté de dormir dans le décor du film. Bien entendu, par cette situation, il était au cœur de l’univers du projet.

Sur cette première collaboration, je sentais que tout l’artisanat qu’il avait en lui servait le contexte, poussait les gens de théâtre à être en confiance. Il y avait les astuces de vie, d’exploration de l’espace comme si c’était pour lui une première fois.
Maurice, c’était ça aussi, l’artisan des première fois, lui qui avait déjà expérimenté de nombreuses figures. Maurice était un artisan enfantin.
Cette part d’enfance est précieuse pour un réalisateur.

B comme Banco
Lorsque j’appelais Maurice, il était toujours prêt à partir.
Une petite méfiance et puis deux minutes plus tard, le saut dans l’aventure.
Que ce soit pour le cinéma, pour de la formation, pour l’institutionnel.
Quand il y allait, il y allait.
Il était toujours partant et ça, c’était réjouissant.

B comme Bob
Il me semble avoir toujours vu Maurice avec une casquette ou surtout un bob pour les tournages d’été.
Ce qui fait qu’aujourd’hui le "bob" est lié presque toujours à son visage.

C comme Cinéma
Je pourrais dire aussi C comme caméra, tant elle formait avec lui le même corps.
Il avait une connaissance de l’outil et de son rendu. Quand il cadrait (il aimait ça, comme spectateur premier et privilégié), il était en osmose avec l’appareil.
Il était vraiment l’interface avec le reste de l’équipe.
Il aimait aussi quelquefois porter la caméra à l’épaule, lorsque je lui demandais de créer du chaos. Il se faufilait, avec sa petite taille entre les comédiens et je savais qu’un moment de vie venait d’être imprimé sur la pellicule.

Ce n’était pas un cinéphile, mais vous ne pouvez pas savoir le bien que ça faisait pour moi, encombré par des références du cinématographe, d’avoir quelqu’un qui respirait simplement l’espace qu’il avait devant lui. Il ramenait dans l’aveuglement des trois dimensions un espace en deux dimensions et le préparait à créer des rapports secrets avec d’autres plans.
Maurice était ce préparateur au service, au bon sens du terme, du réalisateur.
La caméra, il nous en avait fait, il y a deux ans, une démonstration extraordinaire chez lui à Pontchartrain. C’était un guide passionné.

D comme Dernière émission
Dans le cadre d’un apprentissage d’émissions de direct, je lui avais demandé de participer. Comme invité fil rouge. C’était en décembre 2014.
Durant quatre émissions, il a été extraordinaire de spontanéité, de passion.
Réticent au départ, une fois que c’était parti, Maurice était intarissable.
Sur le plateau, il a impressionné par sa connaissance, son plaisir de la narration, Thierry Beccaro, l’animateur de l’émission et les autres invités. Derrière un visage plutôt fatigué, il avait son œil bleu qui brillait.
Tout le monde était admiratif de cette traversée du cinéma, et lui, par pudeur, refusait les compliments. Entre les intermèdes, il souhaitait qu’on ne lui passe pas de la pommade.
Ce n’était pas de la pommade, Maurice, tous ces gens étaient réellement sincères.
Aujourd’hui, je suis heureux d’avoir ces fragments de lui, même s’il s’agissait "d’émissions exercices". Il passait bien à l’image.
Dans des temps comme les nôtres où le cinéma peut perdre de temps en temps son âme, par ses propos directs et simples, nous sortions de cette "époque karaoké".
Depuis ce dernier mois de 2014, tous les participants des émissions ont une empreinte indélébile de Maurice.

E comme Ecriture
Maurice adorait écrire. Et c’était toujours un plaisir de recevoir des lettres de lui.
Son écriture était graphique et il arrivait avec des mots très expressifs à créer des images. Ces lettres avaient aussi des traces d’humour, des "entre parenthèses complices".
Cela changeait des e-mails habituels. J’ai gardé précieusement nos échanges.
Oui, j’ai toujours senti qu’il avait un respect pour l’écriture.

F comme Femmes
Femmes je vous aime. Comme dans la chanson de Clerc.
Oui, il était toujours en éveil devant l’univers féminin. Pas étonnant qu’il ait si bien éclairer la plupart des actrices de la période de ses tournages.
Et il avait une complicité avec Raymonde, sa femme. Il nous faisait toujours partager quelques anecdotes cocasses de leur couple.

G comme Gosse
Quand j’étais gosse, j’aimais bien les films éclairés par Maurice, mais je ne le savais pas. Je ne savais d’ailleurs pas ce que c’était un directeur de la photographie.
Mais j’aimais bien l’ambiance d’un film de Lamorisse, Mourir d’aimer et Les Seins de glace que j’ai découvert assis au cinquième rang en avant-première dans un cinéma de Nice.
Et quand je l’ai rencontré, je me sentais gosse devant tant d’expérience. Mais gosse il était tout autant.
Car, comme je l’ai déjà dit, il y avait chez lui un côté enfantin. C’était un enfant barbu qui balançait une sacrée énergie dans les collaborations.

J comme Jeu
Il était très admiratif du jeu des acteurs. Je crois que c’était sa récompense.
Après avoir éclairé dans l’esprit du film, fait un "couloir perche" pour le son, etc.
(Il jouait l’esprit du film avant de se pavaner devant une lumière qu’il aurait pu créer). Dans la fiction, ce rapport avec les acteurs le passionnait.

L comme Lumière
Maurice pouvait éclairer avec les moyens du bord. De nombreuses anecdotes racontées au fil des "Making off" ou pour des DVDs spécifiques le prouvent.
Il pouvait maitriser une "armada" de projecteurs, comme éclairer avec une simple torche. Il connaissait toutes les techniques pour maîtriser les ombres encombrantes et ne faire jaillir que le désir du plan.
Une cellule, un geste à un électro, un regard sur les journées "fausses teintes"…
Au même titre que la caméra, projecteurs et accessoires liés à la mise en image, faisaient partie de lui.

M comme Moteur
Il adorait entendre moteur. Et lorsqu’il cadrait, il développait aussi une écoute concentrée. Pour lui, un cadreur devait avoir une bonne oreille.
Et quand son œil quittait l’œilleton de la caméra, sa pupille était brillante comme le reflet privilégié de quelque chose de plus qu’il avait pu voir.
À l’époque de la pellicule et sans les retours vidéo, il était le Spectateur privilégié d’un monde entre le moteur (clap compris) et le « Coupez ! »

O comme Œil
Son œil bleu était toujours pétillant. Je me souviens d’une photo datant de dix ans où j’avais fait un montage avec ses yeux et ceux du comédien Bernard Farcy.
Il avait comme on dit « l’œil qui frisait ».

P comme Plaisanterie
Il aimait bien plaisanter. Toujours blagueur. Faisant croire des choses irréelles. Il avait de la malice.
Il cassait un côté bougon après une petite contrariété avec une anecdote, comme par exemple son désir de trouver une femme orpheline, quand il était jeune, pour ne pas s’embarrasser d’histoires de familles.

R comme Raymonde
À propos de famille, comme Colombo, il nous parlait toujours de sa femme…
« Ma femme va dire… Etc. » Après je l’ai connue, Raymonde. Elle le soutenait.
Ils s’amusaient à se taquiner. Il voulait toujours l’emmener sur ses territoires.
C’était devenu un jeu. Et cela, jusqu’à la fin. Des chamailleries théâtrales.
Elle le protégeait. Il y a eu chez elle, jusqu’au bout, de l’admiration. Ce qui est la force de l’amour.

S comme Sauce avec pâtes
Maurice aimait les pâtes. Il aurait pu en manger avec du chocolat.
J’avais pensé lui faire ça en guise de gâteau d’anniversaire.

T comme Transmission
Depuis la fin des années 1980, Maurice m’a accompagné d’une façon presque permanente pendant six ans dans des travaux de formation continue ou initiale.
Nous avons même fait ensemble des cassettes pédagogiques sur les différents métiers du cinéma. Et grâce à lui, nous avons mis beaucoup d’attractivité et de savoir dans ces sujets.
Il avait le goût de la transmission.
Quand nous allions dans chaque région de France faire un stage intitulé "Le comédien et son rapport à la caméra", Maurice apportait énormément d’astuces techniques à tous ces comédiens de théâtre.
Nous faisions à chaque fois une histoire avec des figures précises et son implication et investissement étaient tout aussi importants que pour un long métrage.
Ce compagnon de la transmission a été fondamental.
Et me reviennent souvent quelques-unes de ses propositions. Des astuces, qui même avec l’avancée des nouvelles technologies, restent éternelles et référentielles.

Z comme Zoom
Au mois de décembre, Maurice, un peu tremblant, nous montrait le premier zoom employé dans un film. Il nous pointait du doigt aussi la caisse du zoom qui avait servi d’accessoire pour les billets de banque dans Les Tontons flingueurs.
Zoom sur le visage au collier.
Zoom sur toi, Maurice.
Et le 3 août, je ferais un zoom vers le ciel, la mer ou dans l’air et ce sera une nouvelle manière de se souhaiter nos anniversaires.

Merci Maurice pour tout cet héritage qui est scellé au fond de moi.
Et à Raymonde, Pascal, Jean, toutes mes pensées fortes et qu’ils restent les gardiens du vif, lumineux, et sautillant Maurice.

Charles Dubois, juillet 2015