Milh Hadha Al-bahr (Le Sel de la mer)

d’Annemarie Jacir, photographié par Benoît Chamaillard, AFC

Benoît Chamaillard a longtemps été associé à Patrick Blossier au poste de pointeur. Il a débuté sa carrière de directeur de la photographie sur Little Senegal de Rachid Bouchareb.
Depuis, il a signé l’image de plusieurs longs métrages, en travaillant aux côtés de réalisateurs dont c’est souvent le premier film (comme Barrage de Raphaël Jacoulot ou One Dollar Curry de Vinjay Singh…). Le Sel de la mer, présent à Un certain regard, est un autre premier film, celui d’une ancienne monteuse, Annemarie Jacir.
Sur le tournage du "Sel de la mer" d'Annemarie Jacir - Photo © Eric Vaucher
Sur le tournage du "Sel de la mer" d’Annemarie Jacir
Photo © Eric Vaucher

Décrivez-nous votre collaboration avec la réalisatrice…

Annemarie Jacir m’a notamment montré ses courts métrages, qui témoignaient tous d’un univers visuel assez fort, et d’un vrai sens du cadre (dont elle s’était occupée elle-même). L’un d’entre eux, Like Twenty Impossible, était même une sorte de maquette pour le projet de son long métrage. Une petite histoire qui se passait entièrement sur un check point en Israël, et dont l’approche de mise en scène serait très proche de son film à venir.
Dans Le Sel de la mer, on a par exemple une séquence sur un décor similaire qui est l’une de mes préférées, et qui mélange des plans sur un décor reconstitué avec une partie reportage volé sur un vrai check point.
Sa principale décision en matière de mise en scène et d’image a été de filmer intégralement l’histoire en caméra épaule. Une caméra très libre, avec un esprit proche de celui de ses courts métrages tous filmés avec une caméra DV, proche de la caméra stylo que l’on balade partout et qui filme de manière assez instinctive. Sur Le Sel de la mer, il lui a fallu s’adapter au matériel de cinéma Super 16, quand même plus lourd et plus contraignants que la DV. On a tourné 45 jours entre mai et juin 2007.

Annemarie Jacir au check point de Kalandia - Photo © Eric Vaucher
Annemarie Jacir au check point de Kalandia
Photo © Eric Vaucher

Quelles difficultés avez-vous rencontré sur place ?

A vrai dire, en Israël et en Palestine, tout est très difficile. On ne peut pas vraiment tourner un film normalement. La logistique est un vrai cauchemar, que ce soit pour le transport des matériels ou des personnes. Les autorisations sont parfois assez restrictives, voire modifiée au coup par coup selon l’humeur… La circulation étant contrôlée en permanence par des check points, on se retrouve confronté à des problèmes d’autorisation pour les techniciens ou même pour les comédiens, à l’exemple de Saleh Bakri, l’acteur principal palestinien (habitant Jérusalem) qui n’avait pas le droit officiellement de se rendre à Ramallah…
Obtenir à la fois les accessoires, les comédiens, le décor et la technique relevait régulièrement du miracle, et nous imposait souvent de longues heures d’attente au détriment de la mise en scène et de la mise en image... C’est pour çà que je n’ai pu que rarement tourner aux heures les plus intéressantes en termes de lumière naturelle. Même si j’étais parfois prêt à 7 heures du matin, il nous arrivait de tourner finalement à treize heures, l’heure la pire pour un opérateur !

Installation de la caméra sur le capot de la voiture - sur le tournage du <i>Sel de la mer</i> d'Annemarie Jacir<br class='manualbr' />Photo © Eric Vaucher
Installation de la caméra sur le capot de la voiture
sur le tournage du Sel de la mer d’Annemarie Jacir
Photo © Eric Vaucher

Quel matériel avez-vous utilisé ?

A part quelques installations de caméra sur voiture, la machinerie était réduite au strict minimum. En lumière, j’avais quand même une liste qui comprenait une série de Joker 400 et 800 de K5600 pour les grosses sources, que je plaçais par exemple à l’extérieur des décors pour faire des entrées de lumière par la fenêtre (comme dans la séquence de restaurant). En plus j’ai utilisé une gamme de projecteurs à tubes fluos Soft Lights ainsi que des Lucioles Nano de Maluna.
Sur la caméra, j’ai utilisé trois pellicules différentes, en fonction des conditions lumineuses (Kodak 50D, 250D et 500T - 5218) sans jamais filtrer, pour conserver l’image un peu brute qui va avec le style documentaire qu’on s’était donné. Tout s’est presque tourné avec une série Zeiss GO et un zoom pour quelques plans.

Benoît Chamaillard et son assistant - sur le tournage du <i>Sel de la mer</i> d'Annemarie Jacir<br class='manualbr' />Photo © Eric Vaucher
Benoît Chamaillard et son assistant
sur le tournage du Sel de la mer d’Annemarie Jacir
Photo © Eric Vaucher

Et la postproduction ?

De par son petit budget et un montage financier faisant appel à une quinzaine de coproducteurs, c’est un film qui s’est un peu terminé dans la douleur. Cette situation a surtout eu des répercussions sur la postproduction, puisque chaque étape faisait appel à un prestataire situé dans un pays différent… Le développement s’est effectué en Suisse chez Schwarzfilm, l’étalonnage à Berlin, le mixage à Amsterdam, le montage son en Belgique et le " shoot " final à Munich… Il n’est pas toujours évident de faire travailler tous ces gens ensemble avec des méthodes cohérentes !
Du point de vue des rushes, par exemple, tout s’est extraordinairement bien passé. Même si l’on appréhendait énormément l’envoi des bobines depuis Tel-Aviv vers Berne (via l’Italie), avec tous les problèmes de sécurité et de rayons X que ça peut comporter, aucun problème n’a été à déplorer. Les rushes nous sont même parvenus régulièrement après les deux premières semaines sous la forme de DVD avec une régularité de montre suisse !

Les ennuis sont plutôt apparus après, notamment sur la chaîne de gonflage numérique. Je n’ai pas vraiment retrouvé l’image de mes rushes passés au télécinéma et transféré en DVD avec un étalonnage parfait. Après la conformation des négatifs, le scan en 2K, l’étalonnage numérique, on s’est mis alors à voir apparaître des saturations de couleurs bizarres, des dominantes magenta ou vertes dans les parties extrêmes de l’image…
Bref, tout un tas de défauts que je n’ai jamais pu constater dans une chaîne étalonnage numérique issue d’un négatif 35 mm. J’aurais de ce point de vue largement préféré que le gonflage du film se fasse par la chaîne optique " classique ", mais malheureusement les labos abandonnent tous cette filière les uns après les autres. Comme notamment Schwarzfilm, qui a jeté l’éponge entre le début et la fin du tournage.

N’y a-t-il pas des avantages, tout de même, à gonfler en numérique ?

Si, le piqué d’image est souvent meilleur que par la chaîne optique car on évite une génération d’inters. Il y a aussi la possibilité de faire de l’étalonnage par zone en numérique, chose impossible en optique. Mais quand je fais le bilan sur ce film, je pense que j’aurais largement préféré avoir une image un peu moins piquée, avec des couleurs plus riches et naturelles en projection sans passer par les compensations artificielles très compliquées sur la console numérique…

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)

Benoît Chamaillard et son assistant - sur le tournage du <i>Sel de la mer</i> d'Annemarie Jacir<br class='manualbr' />Photo © Eric Vaucher
Benoît Chamaillard et son assistant
sur le tournage du Sel de la mer d’Annemarie Jacir
Photo © Eric Vaucher
Benoît Chamaillard - sur le tournage du <i>Sel de la mer</i> d'Annemarie Jacir<br class='manualbr' />Photo © Eric Vaucher
Benoît Chamaillard
sur le tournage du Sel de la mer d’Annemarie Jacir
Photo © Eric Vaucher
Tournage du "Sel de la mer" d'Annemarie Jacir sur la plage de Jaffa - Photo © Eric Vaucher
Tournage du "Sel de la mer" d’Annemarie Jacir sur la plage de Jaffa
Photo © Eric Vaucher