Mutation d’une industrie

Didier Dekeyser, directeur du Pôle Cinéma, Laboratoire Digimage

La Lettre AFC n°233

On n’ose plus parler de laboratoires depuis la fermeture brutale de L.T.C. Quelle dénomination générique peut-on utiliser ? Peut-être industries de postproduction ? Pas très poétique ! Nous sommes à la croisée de différents facteurs qui, en un laps de temps très court, modifient considérablement nos activités.

Le premier facteur, on ne va pas s’étendre dessus, c’est l’avènement de la captation et de la distribution numérique. Merci le CNC, pour son aide précieuse…
Bref, sans perdre de part de marché, 40 % de chiffre d’affaires en moins.

Le second facteur, objet de toutes les discussions, c’est la baisse du montant des budgets qui implique :
- l’arrivée de coproductions étrangères. Souvent plus proches du placement financier que de David O.Selznick, impliquant une consommation locale, plus ou moins importante suivant les schémas. Nous imposant soit de monter des structures sur place, soit d’organiser et suivre les travaux hors nos murs, pour récupérer une partie des prestations.
- l’achat, par de gros groupes nationaux, ou filiales françaises de majors, de tous les mandats, distribution, vidéo, vente à l’international…, imposant des conditions extrêmement basses, ou imposant leur propre structure intégrée.
- un nombre d’interlocuteurs financiers – directeurs de production, producteurs, directeurs de postproduction – sur un film, multiplié. Les prix les moins chers étant, de fait, généralisés. Et nous ne savons pas toujours précisément la nature des travaux à effectuer.

Le troisième facteur, c’est l’arrivée de nouveaux concurrents, souvent hors FICAM, employant un ou deux salariés en CDI dans le meilleur des cas. Ne couvrant pas l’intégralité des travaux nécessaires à la fabrication d’un film, mais pratiquant des prix extrêmement bas sur quelques prestations. Certains matériels étant fortement bradés (le nombre de DCPs s’appelant " Easy DCP " au marché du Festival de Cannes !). Sans parler des initiatives individuelles sur les rushes (assistants monteurs intégrant la conversion en DNx36…).

Le dernier facteur, c’est la récession violente du marché de la série TV et de la publicité qui a poussé les acteurs de ces secteurs à se rabattre sur le long métrage.
Une baisse des prix importante, moins de prestations par film et moins de films normalement financés intégralement postproduits sur le territoire national.
Ce qui pose un problème. Pour bien faire, nous devons recevoir des rushes 24h/24, salarier un directeur technique et sa R&D pour mettre en place le " workflow " des nouvelles caméras, avoir des salles de projection pour vérifier les DCPs, salarier des étalonneurs d’expérience, la formation, de la photochimie pour quelques films en 35, les shoots et les reports optiques… Ce qui a forcément un coût impactant les prestations.
Nous muons lentement vers des sociétés de service, ce qui est positif, la fabrication pure disparaissant avec la photochimie. Il faut simplement que chacun, à son échelle, en fonction de l’ambition de son film, évalue l’enjeu artistique et sécuritaire, au moment de choisir son, ou ses laboratoires. L’enjeu financier étant suffisamment dominant.

Montrouge, le 1er juillet 2013