Myriam Vinocour, le jour 1

Par Ariane Damain-Vergallo pour Leitz Cine Weltzar

par Ernst Leitz Wetzlar La Lettre AFC n°298

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En ce jour de septembre 1984 – une année que George Orwell a rendu définitivement célèbre – dans la petite cour de la rue Rollin à Paris, sont enfin affichés les résultats définitifs du concours de l’Ecole Louis-Lumière, section image. Myriam Vinocour a attendu ce moment tout l’été car elle a eu la désillusion d’arriver vingt-cinquième à ce concours où seulement vingt-quatre sont retenus. Première sur la liste d’attente, peut-être ce matin-là la chance va-t-elle lui sourire et quelqu’un se désister ?

Quatre-vingts ans auparavant, la révolution russe et les pogroms avaient jeté sur les routes – en une symétrie parfaite – ses deux arrières grands-pères qui venaient, l’un de Pologne et l’autre de Roumanie. Ils avaient atterri tous deux à Paris exerçant le même métier de tailleur sans pour autant se rencontrer.
En 1940, les deux familles quittent Paris afin d’échapper aux lois antijuives et se réfugient, l’une à Montluçon et l’autre à Clermont-Ferrand, deux villes en zone libre. Malgré la sourde angoisse suscitée par ce jeu de cache-cache mortel, l’on continue pourtant de se marier et de faire des enfants. Les parents de Myriam Vinocour naissent ainsi tous deux pendant la guerre et, enfant, sa mère est même cachée à la campagne jusqu’à la Libération.
Bien après-guerre, le bonheur d’être simplement vivant, la liberté retrouvée et un avenir possible masqueront toujours une mélancolie et une tristesse profondes chez ses parents tout aimants qu’ils soient.

Enfant unique, Myriam Vinocour est solitaire mais turbulente et un peu garçon manqué, à l’affût de sensations fortes, de bonheur et de vie.
Elle est fascinée, à l’âge de onze ans, par le film de François Truffaut L’Argent de poche et elle s’identifie bizarrement au petit Julien, l’enfant battu et maltraité du film. À la fin du film, le comédien Jean-François Stévenin, qui joue un instituteur, conclut : « Enfant, je sentais que les adultes avaient tous les droits et qu’ils peuvent diriger leur vie comme ils l’entendent ».
Ces mots résonnent juste pour Myriam Vinocour qui se prend de passion pour François Truffaut. Elle veut absolument le rencontrer et vivre, elle aussi, une vie où l’on décide pour soi-même.

Au même moment, sa meilleure amie la traîne aux studios Pathé assister au tournage d’une émission pour les enfants, "Casimir". Casimir est un dinosaure géant orange vif à pois jaune et rouge qui rencontre un énorme succès auprès d’un public familial. La sœur de son amie pilote une grosse caméra de studio, le casque vissé aux oreilles. Myriam Vinocour est fascinée.
C’est exactement cela, elle veut être "camerawoman" !
La suite consiste en une assez longue stratégie qui court sur plusieurs années.
Elle déteste les maths mais s’engage dans une filière scientifique afin de réussir le difficile concours de l’Ecole Louis-Lumière. Et à 16 ans, elle refuse catégoriquement de suivre ses parents à Lille, préférant rester à Paris auprès de sa grand-mère paralysée dont elle s’occupera. Ce sont des années solitaires et sombres tendues vers un but ultime : réussir le concours et faire du cinéma.

Myriam Vinocour - Photo Ariane Damain-Vergallo - Leica M, Summicron-C 100 mm
Myriam Vinocour
Photo Ariane Damain-Vergallo - Leica M, Summicron-C 100 mm

Nous revoilà en septembre 1984 devant le panneau d’affichage des résultats du concours. Fort heureusement pour Myriam Vinocour, le service militaire est encore obligatoire pour les garçons avant un certain âge et c’est une explosion de joie quand elle voit son nom écrit en lieu et place de celui d’un futur conscrit.
« Ma vie a commencé ce jour-là, à ce moment-là. »

François Truffaut meurt brusquement un mois plus tard. Elle pleure alors toutes les larmes de son corps car elle ne pourra plus jamais le rencontrer.
François Truffaut, l’homme qui avait gardé son âme d’enfant !

Les débuts dans le métier sont difficiles. Alga Samuelson est à l’époque une importante maison de location de matériel caméra située à Vincennes et il est incontournable pour les futurs assistants caméra de s’y montrer.
Myriam Vinocour s’y rend tous les jours. Elle prend le métro, entre dans le grand hall puis commence à monter l’escalier grinçant qui mène aux bancs où les assistants caméra font les essais pour redescendre aussitôt et reprendre le métro sans avoir parlé à personne.
Le responsable des optiques, qui est pourtant un personnage lunatique que tout le monde craint, a remarqué son manège et la prend sous son aile.

Petit à petit elle commence à travailler sur des longs métrages et devient même assez rapidement la première assistante caméra du jeune chef opérateur Alain Choquart sur tous les films de Bertrand Tavernier. Son côté "cow-boy" n’est pas pour lui déplaire. Elle l’observe faire les choses instinctivement, y aller "à l’arrache" et découvre que faire du cinéma, c’est aussi s’engager physiquement.

Sur le film de Bertrand Tavernier, L627, qui dépeint le quotidien de la brigade des stupéfiants, ils vont même planquer de longues heures à Barbès-Rochechouart dans une camionnette avec une caméra et un téléobjectif 300 mm derrière une glace sans tain afin de voler des plans de vrais dealers et de vrais clients.
« J’ai adoré être assistante caméra, une place que j’ai trouvée confortable. »

La trentaine arrive avec son cortège de questions. Devenir mère et/ou être chef opératrice. Un cruel dilemme que n’envisage évidemment aucun de ses collègues masculins. Ce sera chef opératrice et pas mère, un pari trop compliqué et qu’elle aurait sûrement vécu avec des déchirements. La vie se chargera de mettre sur son chemin des enfants aimés et adoptés comme les siens.

Myriam Vinocour fait ses premiers pas de chef opératrice sur des téléfilms et des secondes équipes de long métrage.
En 2002, le chef opérateur Jean-Marie Dreujou est au Cambodge et en Thaïlande pour préparer le film de Jean-Jacques Annaud Deux frères, la plus grosse production franco-britannique de l’année. Il l’appelle pour tenir une deuxième caméra durant quelques semaines. Cela se passe si bien avec Jean-Jacques Annaud, un réalisateur pourtant réputé difficile et exigeant, qu’elle reste les dix mois que dure le tournage et finira même par tenir la caméra principale.

Dès lors, elle se sent légitime pour être chef opératrice sur un long métrage.
Son premier film est Bienvenue en Suisse, de Léa Fazer, avec qui elle collaborera sur deux autres longs métrages.
Au fil du temps elle constate qu’être une femme est souvent la première raison pour laquelle elle est choisie, bien avant son talent et une expérience sans failles acquise sur des dizaines de films. Car les réalisatrices choisissent souvent des alter ego.
Et si elles confient volontiers à Myriam Vinocour le soin de filmer les comédiennes de leurs films, celles-ci sont parfois déstabilisées par ce regard féminin tant elles ont l’habitude des rapports de séduction avec les chefs opérateurs masculins.
Mais cela évolue... lentement.

Myriam Vinocour a pourtant eu le privilège et la fierté de filmer Sophie Marceau, une des comédiennes françaises les plus populaires, et de collaborer avec elle comme réalisatrice sur le film Madame Mills, une voisine si parfaite, un film qui est justement une fable sur la dualité féminin-masculin.

Son attention auprès des stars féminines ne se relâche jamais tant elle comprend la fragilité que leur statut amène au fil du temps. « Être à l’écoute est très important. »
Elle consacre toujours une attention particulière à la beauté des comédiennes qu’elle éclaire et qu’elle cadre.
C’est pour cela qu’elle travaille toujours avec des objectifs Summilux-C de Leitz même sur des films dont le budget est moins important.
« Ce sont des objectifs qui subliment de manière naturelle les visages. J’aime faire une lumière contraste et les Summilux-C m’amènent de la douceur. »

Plus qu’un simple métier, le cinéma est une passion et un art de vivre pour Myriam Vinocour qui met beaucoup d’elle-même sur les tournages. Un engagement qui aurait touché François Truffaut dont l’amour pour le cinéma lui faisait affirmer dans La Nuit américaine : « Les films sont plus harmonieux que la vie ».