" Mysterious Skin ", mutant chez MK2

par Didier Peron

La Lettre AFC n°143

Marin Karmitz défend ce choix au nom d’une volonté de continuer à sortir des " petits films " qui ne sont plus viables économiquement dans une conjoncture où les frais de sortie « ont augmenté de 52 % entre 2002 et 2003 ». Le coût de la sortie de Mysterious Skin s’élève à 120 000 euros. Il faudrait 60 000 entrées pour une opération blanche (ni bénéfice ni perte). Or, le film en est à 25 000. Pour dupliquer les copies, une cassette Beta ou DVcam numérique coûte 120 euros, et s’amortit au bout de la 55e entrée ; une copie 35 mm se paie 1 875 euros, et s’amortit à la 852e entrée.
Estimant, à partir d’essais, que la qualité technique était « suffisamment bonne » pour tenter le coup, Karmitz a donné son feu vert. Quand on invoque la rupture technique par rapport au support d’origine, il pointe une dégradation tendancielle du rapport puriste au cinéma, tant du côté des labos (copies de plus en plus mal tirées) que du côté des journalistes, qui n’hésitent plus à « découvrir les films en VHS ou en DVD ».

Au CNC, où le film est en attente de validation pour une aide sélective à la distribution, personne n’était au courant de cette opération de transfert et l’on reconnaît que c’est un cas inédit. Qui intervient à un moment où il n’existe pas de normes concernant la diffusion numérique, même si on s’achemine vers un seuil dit de haute définition, ou " 2K ", soit un type de projection supérieure à celle du 35 mm. Pour Yves Louchez, délégué général de la CST, « si l’on est rigoureux et qu’on cherche à se conformer aux exigences du réalisateur, il n’y a pas aujourd’hui de salle équipée pour ce type de projection numérique haute définition. Là, on est plus proche d’une qualité de type DVD, ce qu’on nomme de l’" e-cinéma ", de la vidéo-projection... » Louchez considère que la perte de qualité est de l’ordre de 30 %. En fait, après vérification : image brillante, plus stable mais moins contrastée, avec des moirures (sur les vestes à carreaux comme à la télé !).
A l’AFCAE, dont MK2 est membre, le cas exposé est commenté comme « n’ayant pas vraiment de sens » et ne présenterait « aucun avantage pour le spectateur pour le moment ».
(Didier Peron, Libération, 16 avril 2005)