Ne te retourne pas

de Marina de Van, photographié par Dominique Colin

Dominique Colin filme Ne te retourne pas en Sony F23
Après un premier film remarqué en 2002 (Dans ma peau), Marina de Van revient cette année avec un projet très ambitieux porté par deux stars qui se font face d’une manière inédite au cinéma… Ne te retourne pas propose une lente transformation au cours de l’histoire du personnage principal et de tout ce qui l’entoure...
Un défi qui a démarré en octobre 2007 pour les prises de vues pour s’achever à peine ces jours-ci en postproduction chez Mikros image. Dominique Colin, le chef opérateur de, entre autres, L’Auberge et Les Poupées russes, nous explique ses choix par rapport aux enjeux de ce film en perpétuelle mutation...
Sophie Marceau et Monica Bellucci - dans <i>Ne te retourne pas</i> de Marina de Van, photographié par Dominique Colin
Sophie Marceau et Monica Bellucci
dans Ne te retourne pas de Marina de Van, photographié par Dominique Colin

Pourquoi avoir choisi de tourner en numérique ?

Dominique Colin : Le choix d’un tournage en HD s’est rapidement imposé, d’abord à cause du très grand nombre de plans truqués. L’image HD ayant, à la base, beaucoup moins de texture que l’image issue d’une prise de vues 35 mm, le fait de rajouter des images de synthèse issues de la 3D y est plus naturel.
Au moment où nous avons démarré le tournage (septembre 2007), la caméra Sony F23 venait de sortir et on a fait des essais en la comparant à d’autres caméras de cinéma numérique disponibles (Viper, Dalsa, D20). Le choix s’est porté sur cette F23 pour la très grande latitude de son capteur et son coté plus économique en location. Il faut aussi noter sa profondeur de champ un peu plus grande (que la Genesis), plus propice pour les effets spéciaux.

En tournant avec les Digiprime, on pouvait rester la plupart du temps à pleine ouverture, ou fermer légèrement pour contrôler la profondeur de champ sur les plans truqués. En outre, ce que j’aime particulièrement sur les tournages en HD, c’est le fait de ne pas se retrouver avec des niveaux lumineux qui semblent irréels. On tourne avec des petites sources et très peu lumière, des optiques à pleine ouverture, et on voit sur le plateau quasiment comme dans la réalité. C’est radicalement différent pour l’ambiance… Sans parler de scènes dans l’obscurité où l’on voit mieux sur le moniteur que sur le plateau !
Et pour un comédien, jouer réellement dans le noir est finalement très différent que de jouer avec un projecteur dans la tête et s’imaginer qu’on y est...

Et la Red ?

La Red n’était pas sur le marché au moment où l’on a commencé le film… Nous ne l’avons donc pas testée... Depuis, j’ai eu l’occasion de me pencher sur cette caméra, mais je dois dire que je reste sceptique sur sa sensibilité et sur sa dynamique. Comparée à une F23 ou une Genesis, qui approche sans problème les 2 000 ISO si l’on veut, le capteur de la Red reste, à mon sens, encore à améliorer.
En revanche, sa conception et son " workflow " est de loin le plus intelligent. Je pense donc que c’est une caméra qui a beaucoup d’avenir, surtout depuis l’annonce récente de l’évolution de ses capteurs dans les versions futures.

Mais il y a aussi une autre caméra qui est capable de rivaliser dans le domaine, c’est la Panasonic 3000, avec laquelle j’ai eu l’occasion de filmer Les Beaux gosses de Riad Sattouf. Même si elle reste une évolution des caméras HD de reportages vidéo qu’on connaît, la qualité du capteur, et la qualité du Codec AVC Intra la place, pour moi, dans le trio de tête quand il s’agit de tourner pour le cinéma.
J’attends d’ailleurs avec impatience une caméra qui serait enfin équipée d’un capteur plein format, avec le niveau de qualité de traitement d’images que les ingénieurs Panasonic ont réussi à atteindre.

Et d’un point de vue purement ergonomique ?

La caméra F23 reste lourde, et pas très bien conçue. Elle devient rapidement une forêt d’accessoires encombrante. Les batteries sont énormes, et les plans au Steadicam sont compliqués. Sony a depuis annoncé au NAB la sortie de la nouvelle F9000, qui devrait être un modèle HDCam SR plus compact que la solution " magasin magnétoscope " initialement conçue pour la Genesis. Je pense que c’est l’avenir, avec les magasins à mémoire flash qui existent déjà pour cette même caméra.

Quels ont été les choix principaux de focale ?

Dans l’ensemble, le film est proche d’un rendu vu de l’œil humain. Nous ne sommes jamais descendus en dessous du 10 mm, et la plupart du temps tout est tourné aux alentours du 14 mm. La règle là encore est : tant qu’on peut allonger la focale, on allonge, est tant qu’on peut ouvrir le diaph, on l’ouvre !
Toutefois Marina voulait aussi donner à son film un point de vue assez mental, et parfois assez peu réaliste... C’est donc plus à travers les mouvements caméra que Georges Diane (le cadreur) a pu composer des plans assez sophistiqués... D’autant que le studio, avec ses feuilles mobiles, nous a donné beaucoup de liberté.

Comment avez-vous configuré " sensitométriquement " la caméra ?

Nous avons tourné en choisissant la courbe S Log, qui redonne un aspect film en exploitant au mieux la très grande dynamique du capteur. La pose en capture HD se doit d’être précise, surtout pour les hautes lumières, et cette dynamique est pour moi capitale.
C’est Bertrand Etienne, l’ingénieur de la vision avec qui je travaille sur tous les films en HD, qui se charge de vérifier ces réglages et qui s’occupe aussi de régler les moniteurs sur le plateau pour permettre un affichage proche de ce qu’on pourrait avoir à la fin. Ce rôle est indispensable désormais sur un tournage de cinéma numérique, et, par chance, ça commence à rentrer dans les mœurs !

Aviez-vous des moniteurs avec des profils d’affichage selon les ambiances tournées ?

Non, nous n’avions pas de moniteurs capables d’intégrer des profils d’affichage (ou contre LUT) mis au point lors de tests. A vrai dire, ce type de matériel est encore rare et assez lourd sur un plateau en gestion.
Mais je pense que c’est vraiment l’avenir. A condition d’avoir les moyens techniques et le personnel pour s’en charger...

Et comment s’est déroulé l’étalonnage ?

L’étalonnage du film s’est effectué avec Lionel Kopp sur sa console Digital Vision. C’est l’une des seules actuellement à être compatible directement avec les fichiers Avid HD, et donc qui évite de passer par une conformation des images.
C’est à mon sens une autre voie d’avenir, puisqu’on pourrait envisager bientôt d’avoir une réciprocité totale, avec une console de ce type sur le plateau, qui donnerait en amont du montage des métadonnées d’étalonnage, récupérées immédiatement par le système de montage. Le réalisateur monterait alors avec une image quasiment étalonnée…

(Entretien effectué par François Reumont)

  • Retrouvez d’autres propos de Dominique Colin dans le numéro Spécial Cannes de Sonovision.
Dominique Colin
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