Où est passé l’amour du métier ?

par Marc Galerne, K5600 Lighting

La Lettre AFC n°195

Alors qu’Avatar semble faire la preuve que l’argent et la qualité appellent le succès, des budgets de l’ordre de 700 000 euros font leur apparition sur le marché.
Alors que la présentation de Philippe Ros et de l’équipe d’Océans a bluffé tous les participants à la Journée CST du 14 Janvier à l’Espace Cardin, on annonce la fin de la carte professionnelle.
Une réunion de la CST Image du 20 janvier est consacrée à l’appareil photo Canon 7D.

Même si la conclusion est que c’est un appareil utile pour faire :
- Certains types de documentaires.
- Une 3e " caméra " qui peut amener des angles insolites.
- Une " caméra " jetable à l’intérieur de voitures de cascade, au milieu d’explosions…
Même moi, qui n’y connais pas grand-chose, j’en étais arrivé à cette conclusion.

Que l’on ne se méprenne pas : je ne suis pas en train de dénigrer cette réunion qui fit salle comble. Le travail de Françoise Noyon Kirsch est remarquable et la présentation de Patrick Leplat tout à fait satisfaisante dans un souci d’information.
Selon Françoise, il n’y jamais eu autant de monde à une réunion du département Image de la CST. Mais l’appareil Photo est-il vraiment la raison de ce succès ? Je ne pense pas. Tous les gens présents étaient largement convaincus des limites de ce type d’appareil et avaient déjà leur opinion en entrant dans la salle. Non, le succès vient du malaise ambiant qui règne sur la production aujourd’hui. De ce grand déballage de technologie à deux balles que les producteurs prennent malheureusement au sérieux.

A quand le tournage avec l’Iphone 4K sur lequel on montera des Master Prime, une crosse, un moniteur HD et un Steadicam ?
Un producteur proposant un appareil photo pour une fiction devrait se faire rire au nez par un chef opérateur.
Où est passé l’amour du métier ? Le respect de la technique et des techniciens ? Un chef opérateur me disait qu’il redoutait que, bientôt, le cinéma n’ait plus besoin des techniciens d’expérience car n’importe qui sera capable de faire des images avec des outils simplifiés. Même si c’était vrai, faut-il pour autant laisser opérer cette dérive ? Sans rien faire… ?
En plus, c’est totalement faux !!! Il suffit de regarder les films de vacances faits avec le meilleur des appareils photos…
Le témoignage de Philippe Piffetau en est la preuve. Il a effectivement ramené de belles images avec le Canon parce que c’est son METIER : il maîtrise la technique (de plus en plus complexe) de tournage et de postproduction, il a sa sensibilité qu’il a développée depuis le jour où il a mis son œil dans un viseur pour la première fois.
La pérennité du métier de chef opérateur passe par la valorisation de la connaissance de la technologie. Justement au moment où la carte professionnelle disparait !
Il faut défendre la qualité à tout prix, celle des outils et celle des hommes et femmes de métier.

La nature est bien faite et le corps humain en est la meilleure preuve. L’œil, comme l’oreille, est flatté par la qualité et il a du mal à revenir en arrière. L’exemple du son est évident : on ne supporte plus le moindre souffle, le scratch scratch des disques d’antan. L’oreille s’est habituée au confort et se fatigue moins lorsqu’elle n’a pas à faire l’effort de " filtrer " les bruits parasitaires.
L’œil des (télé)spectateurs n’est pas différent : il s’habitue à la qualité de plus en plus grande et a du mal à revenir en arrière. Lorsque les foyers seront équipés d’écran HD et de transmission par fibre optique, il sera difficile de leur " vendre " des images de caméscope mal cadrées avec trop de profondeur de champ et des " effets de style " involontaires.
Le chemin de la qualité est le plus long et le plus ingrat car il faut sans cesse expliquer, argumenter, prouver mais aussi tenir ses positions et refuser mais à terme c’est le SEUL chemin viable et le seul qui vaille la peine.
Le succès d’Avatar en est l’exemple le plus flagrant. Produire le film le plus cher de l’histoire du cinéma en pleine crise économique s’est avéré être un bon choix.
Le pari de Jacques Perrin sera sans nul doute récompensé.
Les films que produit Luc Besson possèdent une qualité technique indiscutable qui a contribué à placer Europa Corp au rang qu’elle occupe aujourd’hui.
Et si le succès des films américains dans les salles du monde entier venait tout simplement du fait que les gens ont l’impression d’en avoir pour leur argent… Le prix d’une place de cinéma ou d’un DVD est le même pour un film à 100 millions d’euros ou un film à 500 000 euros.
Il y a un devoir de qualité quelque soit le coût du film.
Tant que l’on essayera d’attraper des mouches avec du vinaigre, on n’inversera pas cette tendance. On ne parviendra jamais à persuader les mouches d’apprécier le vinaigre : c’est ce que l’on essaye de faire en ce moment avec des films au rabais qui ne méritent même pas le tirage d’une copie et encore moins d’archivage.

Il ne suffit pas de critiquer, il faut agir et il y a des moyens de le faire :
- En intervenant auprès des producteurs, des diffuseurs, des acteurs pour les sensibiliser, les informer.
- En intervenant auprès des services publics : non pas pour demander encore plus de subventions, mais pour réguler l’utilisation des aides existantes.
Comment peut-on octroyer de l’argent public à des films dont les budgets techniques ne garantissent pas la faisabilité d’un produit de qualité ?
Au niveau des sociétés, il existe des aides à l’exportation (nous exportons 40 % de notre chiffre) et nous n’y avons pas le droit car nous avons eu un exercice négatif l’année dernière. Ça ne fait pas plaisir, mais c’est logique quelque part et je l’accepte. Par contre, je le discute si de telles restrictions ne s’appliquent pas au cinéma sous prétexte d’étiquette " artistique " et d’exception culturelle ou tout simplement de copinage.

Ne perdons pas courage, ne devenons pas agressifs ou démotivés car nous pouvons au moins essayer de changer les choses.
Ce n’est pas du ressort ou de la responsabilité de telles ou telles associations ou fédérations mais bien de l’ensemble des organisations.
La peur des représailles est l’excuse de ceux qui ont encore quelques choses à perdre, faut-il pour autant attendre de ne plus rien avoir à perdre pour réagir ?