Paria

« L’âpreté du sujet a rendu ce projet difficile à concrétiser. Premiers repérages un an avant le tournage, accompagnant, dans des couloirs du métro après l’heure de sa fermeture, une équipe de la RATP qui ramasse les SDF pour les " remonter " en surface et en amener quelques-uns en bus au Centre à Nanterre. Comment filmer " proprement ", en Super 16 mm, toutes les séquences d’un scénario complexe, totalement de nuit, dans un " no man’s land " de lieux, proches des gares, proches du périphérique, dont les personnages ne seraient pas des acteurs, le tout se déroulant lors du passage à l’an 2000... Alors, comment faire ?

Après réflexion, et aussi par choix forcément financier, Nicolas et moi avons décidé de tenter le mini DV, kinescopé en 35 mm par la suite. Je me suis sentie plus en accord avec le sujet raconté. Filmer des nuits entières des " vrais gens " dans les bus de ramassage en Super 16 dans un contexte de scénario de fiction est un dispositif forcément un peu lourd. En mini DV, je pensais que cela serait plus léger techniquement, donc j’allais être plus libre, plus disponible.

Dès le début, le concept d’une image " charbonneuse ", lourde, ténébreuse s’est imposé. Les gens du jour auraient le même support que les gens de la nuit, c’est-à-dire une image volontairement sous-exposée. La luminosité " solaire " ne devait pas être perçue comme plus agréable que celle des lampadaires de ville, au sodium, au mercure, et que celle de tous ces " néons " des couloirs, des quais et même des tunnels de la RATP.

Les personnages sont lourdement vêtus. Les cheveux " pèsent ". Les visages sont gris. La condensation se forme sur les vitres des bus, provoquée par la chaleur des corps entassés. Le cadre et la lumière devaient être à l’image de tout cela : c’est-à-dire tout, sauf transparente, légère, translucide.

Voilà le concept. La concrétisation a été difficile. Faire quelque chose de " réfléchi " en mini DV est super dur. Tout est capté et captable, mais c’est du vide, du non-concept. Il faut être vingt fois plus vigilant, ne rien laisser passer, ne pas faire genre " on fait du flou pour faire plus vrai ". Une peau pas très belle devient assez moche lorsqu’elle est filmée en vidéo. Sur support argentique, la " mise en fabrication " aurait été plus lourde, mais le résultat plus probant. Là, nous n’avions soi-disant jamais le temps, toujours aller plus vite sous prétexte de tourner en mini DV.

Alors, avec Nicolas, nous avons commencé à prendre notre temps, à refaire les prises parce qu’elles n’étaient pas nettes, à intervenir sur les espaces, les décors, parce qu’une fois cadrés, les éléments ne racontent pas toujours ce que l’on croyait au départ. Ce n’est bien évidemment pas parce qu’on est en DV, que tout tombe du ciel, surtout sur un sujet où les personnages ne peuvent pas subir le résultat " d’un travail bâclé " et méritent une vision plus " noble " qu’une simple captation vidéo.

Voilà, ça n’a pas été tous les jours très simple. Mais comme l’image est aussi " épaisse " en texture que " les lourds manteaux des personnages ", je suis à peu près contente de toute cette démarche.

Une première copie à GTC, invisible, totalement noire, projetée malgré tout au festival de San Sebastian en septembre dernier par manque de délai...
Puis après, d’autres copies plus lisibles, plus " regardables ", le minimum demandé, en quelque sorte. »

Technique

Laboratoire GTC