Pascale Ferran : "Je m’inquiète pour les films "du milieu’’"

Des propos recueillis par Clarisse Fabre

La Lettre AFC n°231

Le Monde, 3 avril 2013
Pascale Ferran, réalisatrice de Lady Chatterley (2006), est l’une des 1 600 signataires de la pétition visant à "sauver le cinéma français". En cause, la convention collective de la production cinématographique, qui divise la profession. Mais l’initiatrice du " Club des 13 ", un groupe de réflexion sur le financement des films d’auteur, a hésité avant de signer l’appel. Car, dit-elle, une convention collective est absolument indispensable.

Le cinéma se déchire sur les salaires des techniciens...
Un film, c’est un petit pays. Or on sent des déchirures dans le tissu, comme jamais. Il faut tout faire pour réparer, repriser. Pour comprendre la situation, il faut repartir de constats simples. D’abord, il y a de plus en plus de films très chers et de films très pauvres, et de moins en moins de films " au milieu " (entre 3 et 10 millions d’euros de budget). L’écart ne cesse de se creuser. Conséquence : les films surfinancés où les vedettes sont grassement payées ont globalement tiré les cachets de premiers rôles vers le haut, et les films sous-financés ont eu tendance à tirer les salaires des techniciens vers le bas. Il y a encore dix ans, sur les films à gros budget, les techniciens étaient payés à + 20 % du tarif en vigueur et ça pouvait descendre à - 20 % sur les films les plus pauvres. Aujourd’hui le spectre est plutôt entre le minimum et - 40 %. Cela produit trop souvent une forme de rupture de solidarité entre les techniciens et les acteurs. Si on ajoute les délocalisations de tournage ou de postproduction au son, les techniciens ressentent, à juste titre, une dégradation de leurs conditions de travail.

Avec cette convention collective, les films d’auteur vont dans le mur ?
Sur la question des salaires, elle répond d’une façon maximaliste : grille de salaires revalorisée, obligation de payer tout le monde au moins au minimum syndical, paiement des heures supplémentaires et des heures de nuit, toutes choses qui, actuellement, se pratiquent sur peu de films, de l’ordre peut-être de 25 % de la production. C’étaient les pratiques de Claude Berri sur les films qu’il produisait. Il faut rechercher une voie médiane qui prenne mieux en compte l’incroyable disparité des budgets. Je suis inquiète pour les films " du milieu ". C’est-à-dire des films d’auteurs audacieux en termes de narration ou de mise en scène et qui sont souvent au bord de ne pas se faire, faute de moyens suffisants. Je pense à Holy Motors, de Leos Carax, à Camille redouble, de Noémie Lvovsky, ou à mon prochain film, en cours de montage.

Il y a cinq ans, le Club des 13 tirait déjà la sonnette d’alarme...
Ce qui se passe aujourd’hui est une forme de prolongement. Le travail mené par le Club des 13 a redonné de l’air aux producteurs délégués, l’avance sur recettes a été renforcée, etc. Mais d’autres financements se tarissent. Le seul endroit où il reste de l’argent, c’est du côté des télés. Et celles-ci concentrent leurs efforts sur les films faciles d’accès. Appliquer la convention collective dans ce paysage, sans le modifier, pourrait être très dommageable. Ce que personne ne souhaite évidemment, ni les techniciens ni les producteurs.

(Propos recueillis par Clarisse Fabre, Le Monde, 3 avril 2013)