Philippe Rousselot, AFC, ASC, parle de sa vision du métier

Par François Reumont pour l’AFC

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Philippe Rousselot, AFC, ASC, a profité de son séjour polonais pour participer à plusieurs rencontres ou séminaires autour de l’image de film. L’ancien assistant de Nestor Almendros est devenu l’une des légendes de l’image de film en France et à l’étranger (La Forêt d’émeraude, de John Boorman, Les Liaisons dangereuses, de Stephen Frears, ou La Reine Margot, de Patrice Chéreau). La plus décontractée et la plus informelle a sans doute été la discussion à bâtons rompus de près de quatre-vingt minutes qu’il a engagée avec un public venu nombreux le questionner sur sa vision du métier.

Quand on lui demande de regarder l’évolution du cinéma sur les dernières quarante années que couvre sa carrière, la première remarque qui lui vient à l’esprit se porte sur le rythme et sur le montage des films. « Ça, c’est une chose qui me fascine », explique-t-il, « comment un film qui possède près de huit cents plans au montage final peut-être maintenant considéré comme un peu lent ! Quand j’ai réalisé mon propre film, Le Baiser du serpent, en 1997, avec un nombre de "cuts" à peu près similaire, on me disait alors que le film était déjà un peu trop surdécoupé ! J’imagine mal vers quoi on ira dans vingt ans ! »

Sur le passage entre l’argentique et le numérique, le chef opérateur confie ne plus trop vraiment penser à la chose désormais. « Certes, la pression économique qui a suivi l’introduction des caméras numériques dans la profession était plutôt inconfortable pour nous. Passer d’un monde où une caméra film avait une durée de vie de plus de quarante ans à six mois, voire un an pour les premières caméras numériques, c’était fatigant. Désormais, les choses se sont stabilisées et je crois que qu’on peut faire de très bons films avec l’une ou l’autre des technologies. Soyons honnêtes, je ne connais aucun film où un spectateur sort de la salle parce qu’il a été tourné sur telle ou telle caméra. Maintenant j’essaie juste de faire mon travail le mieux possible en fonction de la filière choisie pour fabriquer le film. »

La question de la relation aux comédiens a aussi été abordée par une des festivalières. Philippe Rousselot répond avec beaucoup d’enthousiasme .
« Une chose est sûre, c’est que vous devez en tant qu’opérateur être amoureux des personnages du film – mais pas forcément des personnes !
Prêter attention, c’est la première chose à faire dès les premiers jours de tournage, et ça va mettre tout le monde en confiance. Derrière la caméra vous êtes souvent le premier spectateur du film, à proximité des comédiens. Tandis que le réalisateur est souvent installé dans une tente technique, avec les moniteurs. Et à la fin de la prise, c’est là où vous pouvez échanger un bref regard, envoyer ce signal que tout comédien recevra et qui est l’une des clé pour gagner sa confiance. C’est extrêmement important, et pas seulement avec les comédiennes qui peuvent se sentir mal à l’aise parce qu’elle ont vingt ans de plus que le personnage dans le script. J’estime même que c’est l’une des missions de l’opérateur de montrer qu’on est intéressé par leur part du travail. Si vous êtes capable de reprogrammer votre cerveau afin d’oublier la technique, de ne pas penser, par exemple, au mouvement de votre main droite et de votre main gauche à la tête manivelle, et de pouvoir sentir si oui ou non la prise est bonne pour le jeu, alors, croyez-moi, votre image sera bonne. »

Sur le thème des échecs, le directeur de la photo avoue les classer en plusieurs catégories :
« D’abord, il y a les erreurs involontaires qu’on fait par étourderie, vous oubliez de changer la sensibilité de la pellicule sur votre cellule, et tout est sous-ex ou surex... Passons rapidement là-dessus, tout le monde a déjà fait ça.
Ensuite, il y a les échecs liés à l’ambition. Par exemple, vous mettez au point une méthode extrêmement maline et sophistiquée de filmer une scène de nuit avec l’aide du montage, des effets spéciaux... Et finalement rien ne ce fait comme vous l’aviez prévu et le résultat est un désastre. Ça peut venir aussi de votre propre lecture du film, qui génère des idées bien au-delà du sujet ou de ce que raconte le projet. Votre égo crée alors une sorte de pièce rapportée, qui n’a de justification, au fond, que pour votre propre plaisir d’opérateur.
Enfin, il y a l’erreur de lecture du script, où vous ne faites pas assez attention aux détails. À ce sujet, je me souviens, par exemple, d’une séquence d’intérieur nuit dans un bureau où j’avais fièrement éclairé le plateau dans une ambiance très réussie, avec un niveau très sombre. Le problème, c’est que l’actrice, dans cette scène, devait trouver un papier important pour l’histoire... mais qu’il n’y avait même pas assez de lumière pour qu’elle parvienne elle-même à le lire ! »

Sur la technique, et notamment sur sa maîtrise des séquences en basses lumières, Philippe Rousselot dément avoir recours à des méthodes particulières de traitement de l’image. « A vrai dire, j’essaie de rester simple. Par exemple, quand je fais une séquence sombre..., je n’éclaire pas beaucoup ! Que ce soit sur La Reine Margot, que beaucoup de gens ont cité dans ma carrière, ou sur d’autres films, je n’ai jamais flashé la pellicule ou utiliser des procédés comme le sans blanchiment. Je considère que c’est un peu comme un gimmick ou un tour de passe-passe... En réalité, travailler dans l’obscurité, c’est avant tout une gestion spatiale des contrastes. Laisser toute une partie de l’image dans le noir, aucun problème, à condition que le regard puisse s’appuyer sur un point de lumière à un endroit, qui permette à l’œil de s’y accrocher. C’est vraiment cet équilibre qui est difficile à trouver et je dois vous avouer que même si j’adore La Reine Margot, peut-être suis-je allé un peu trop loin dans l’obscurité parfois sur ce film. Ou bien tout simplement, c’est que je vieillis et que comme tous les vieux, j’ai besoin de plus de lumière pour y voir clair ! »

Sur le choix des optiques, Philippe Rousselot avoue avoir du mal avec les essais. « J’ai toujours du mal, moi-même, à effectuer des tests équitables sur les optiques. Comme à un moment, je me mets irrémédiablement à faire des plans que j’aime, tout ça finit toujours par un choix très arbitraire qu’il serait totalement impossible de justifier si soudainement vous deviez être convoqué dans un procès face à un juge de films. »

Sur ses longueurs focales de prédilection, le directeur de la photographie avoue préférer les focales moyennes ou longues, et privilégier le tournage avec une série fixe plutôt qu’au zoom. « Le rendu en perspective que je préfère, c’est souvent entre le 75 mm et le 150 mm. À la fois ça peut tout à fait changer d’un film à l’autre, selon le réalisateur. Sur Constantine, par exemple - film de Francis Lawrence avec Keanu Reeves et Rachel Weisz -, le réalisateur m’a convaincu de faire des gros plans de la comédienne au 35 mm. Et je dois avouer que ces plans rendaient du tonnerre. Enfin bon, de toute façon Rachel Weisz rend du tonnerre à l’écran ! Tout ça pour vous redire qu’on peut très bien commencer un film avec ses propres idées et ensuite affronter la réalité et même changer d’avis. Quant aux zooms, même si leur qualité est objectivement désormais la même que celle des focales fixes, je reste attaché à la cohérence et la discipline qu’impose un tournage en focales fixes. Enfin, sur les questions d’ouverture, j’aime une image définie, avec suffisamment de profondeur de champ. Quand on tourne, par exemple, avec une caméra comme l’Alexa 65 sur Les Animaux fantastiques 2, il m’est difficile de descendre en dessous de 8 sur les optiques Thalia car la taille du capteur nécessite ce genre d’ouverture. C’est plutôt mon utilisation des longues focales qui va me permettre ensuite, selon les plans, de jouer sur l’impression de profondeur dans l’image. »

Photo en vignette par Jean-Noël Ferragut