Pierre Lhomme, une compréhension mutuelle totale

Par James Ivory

La Lettre AFC n°300

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En 1980, quand je suis venu pour Quartet, le premier long métrage que j’allais tourner en France, je n’ai pas emmené mon chef opérateur anglais, Walter Lassally. Lui et moi avions déjà tourné cinq films ensemble, mais peut-être était-il déjà pris sur un autre film. Humbert Balsan, l’un des producteurs de Quartet, m’a recommandé Pierre Lhomme.

Humbert et moi sommes allés en Normandie, où il travaillait sur un film avec Jane Birkin, pour le voir. Je l’ai apprécié tout de suite. C’était un homme élégant et plein d’esprit - son mode vestimentaire n’a jamais changé depuis toutes les années où nous avons travaillé ensemble : Levi’s bien patiné, et lunettes d’aviateur souvent sur le front au-dessus de son visage très expressif. Dès que nous avons commencé à tourner, Pierre est devenu le centre spirituel du processus de réalisation - pas le réalisateur, moi-même, ni les acteurs : Isabelle Adjani, Maggie Smith et Alan Bates. Pierre était notre centre de gravité. Et bien sûr, comme tous les plus grands opérateurs, il était celui qui travaillait le plus sur le plateau, celui qui portait la plus grande responsabilité.

James Ivory en 2002 - Photo Pierre Lhomme
James Ivory en 2002
Photo Pierre Lhomme

Quand Pierre a accepté de tourner Quartet, je n’avais jamais pas encore vu une seule image des films qu’il avait déjà tournés, y compris ceux de cette époque enivrante qu’avait été la Nouvelle Vague. Quand nous avons commencé à projeter nos rushes, je n’ai pas été déçu. C’était un des opérateurs qui savait le mieux éclairer les belles femmes. Il y en a, qui sont très connus, très respectés, toujours occupés, mais qui ne savent pas le faire ou qui s’en soucient pas. J’ai toujours aimé le style que nous essayons toujours d’avoir dans mes films et qui fait que, à travers l’éclairage, fusionnent tous les éléments visuels dans une sorte d’abstraction de la réalité. Quartet, qui se déroule dans le Paris des années vingt, en est un très bon exemple, tout comme Maurice.

J’ai emmené Pierre en Angleterre avec nous quand nous y sommes allés pour tourner Maurice. J’ai délibérément choisi de ne pas avoir d’opérateur anglais. J’ai pensé, étant donné le sujet de ce film, qu’il serait préférable d’avoir à mes côtés un Français, au fait de ce qu’étaient les mondanités. Je n’ai jamais regretté cette décision, bien que la présence de ce Français hautement qualifié parmi la délicate équipe de tournage anglaise a conduit à une certaine tension - pas celle de Pierre, mais la leur. Qu’on peut même se dire qu’ils n’aimaient pas prendre leurs ordres auprès d’un Français exigeant.

James Ivory et Pierre Lhomme pendant le tournage du "Divorce"
James Ivory et Pierre Lhomme pendant le tournage du "Divorce"

Plus tard, il vint avec nous au Kerala, dans le sud de l’Inde, pour tourner un film de mon partenaire, Ismail Merchant, intitulé Cotton Mary. Je pense que je ne l’ai jamais vu en colère nulle part, et le degré de compréhension mutuelle totale que je partageais avec Pierre a été rarement dupliqué sur les films que j’ai faits par la suite, sans lui, dans d’autres pays, à l’exception de l’Angleterre où Tony Pierce-Roberts est devenu mon nouvel opérateur britannique après Chambre avec vue. Pierre a tourné deux autres films pour Merchant Ivory en France : le splendidement photographié Jefferson à Paris (1994) et une comédie romantique, Le Divorce (2002).

James Ivory, New York, 22 juillet 2019

Traduit de l’anglais (américain) par Richard Andry, AFC

En vignette de cet article, Pierre Lhomme et James Ivory à Claverack, New York, USA, en 2016 - Archives personnelles Pierre Lhomme