Point de vue après la projection des essais de l’Idiff 2006, " Cinq caméras, trois décors "

par Charlie Van Damme

Je présume que les performances de ces cinq caméras seront abondamment comparées, je n’y ajouterai donc pas mes commentaires.

Mais une chose m’a troublé.

En introduction à la projection, il nous a été dit que sans doute le réglage du projecteur était un peu trop doux.

Les images non étalonnées me donnaient le sentiment de voir des interpositifs. Parfait : des images très douces qui offrent un minimum de marge à la prise de vues et plus de possibilités à l’étalonnage. Une logique proche de la prise de vues argentique.

Mais effectivement, les images étalonnées semblaient dans l’ensemble manquer de " corps " : pas de vrais noirs profonds et relativement à ces noirs un peu ternes, des blancs relativement mous, même lorsqu’ils semblaient saturés à la prise de vues. Des couleurs un peu fadasses aussi.

Et puis, surprise. En clôture à cette projection, quelques images qui, elles, semblaient trop dures, trop brillantes et trop saturées, du moins par rapport à ce que nous venions de voir. Question d’accoutumance sans doute.

Le réglage du projecteur n’était donc pas en cause. En principe, un bon projecteur, qu’il soit à l’ancienne ou numérique, ne doit faire qu’une seule chose : restituer l’image sans la dénaturer en quoi que ce soit, comme une chaîne haute-fidélité. Les projecteurs numériques offrent des possibilités d’intervention sur les caractéristiques de l’image, mais c’est une arme à double tranchant : cela permet aussi au projectionniste de modifier l’image selon son goût, par exemple.

Je crois que l’on est simplement face à un problème de " sensitométrie ", et que lors de l’étalonnage, tout s’était passé comme si l’on avait travaillé sur un " positif " trop doux, pour reprendre le jargon de l’argentique. Que l’image finale entrée dans le projecteur n’avait ni le " gamma ", ni le contraste qui convenaient aux conditions de projection, avec les conséquences sur le sentiment de saturation.

Je crois qu’il faut revenir à une logique sensitométrique et au diagramme de Jones, et fixer quelques ordres de grandeur, comme en argentique (pas nécessairement les mêmes) : gamma du négatif (de l’original) autour de 0.65, gamma du positif vers les 2.4, gamma de l’image en projection proche de 1.4 . Ça ne nous empêchera pas de jongler avec ces ordres de grandeur et de s’en écarter volontairement comme on le fait en argentique, mais au moins ce sera en connaissance de cause, avec une probabilité très forte que ce que l’on essaye de faire, on le retrouvera à l’écran.

De toute façon, on est coincé entre deux impératifs contradictoires.

En prise de vues, on a tout intérêt à produire un original doux, avec plus de détails dans les noirs et dans les blancs qu’il n’en faut (" pied " et " épaule " bien larges).

En projection, une image standard de référence, la fameuse " tête de femme " par exemple, devra être un peu plus contrastée et un peu plus saturée pour qu’on ait le sentiment que l’image représente la dame " comme " elle est dans la réalité.

A cela, deux raisons :

1 - Le niveau de projection est relativement bas et l’œil perçoit moins bien et les contrastes et les couleurs (conditions de vision crépusculaire).

2 - Aucun système d’enregistrement d’images n’est capable de restituer l’entièreté des nuances colorées et le contraste (la dynamique) que la vision est capable de différencier ou encaisser.

Il faut donc compenser en raidissant le gamma et en augmentant la saturation.

En fait, ce qu’il nous faudrait, c’est un outil qui cumulerait les qualités de la tête de femme et du coin de Goldberg, pour permettre une appréciation subjective et objective, chiffrable en termes de " gamma " (sens argentique du terme) et de dynamique (tant de plages, ou tant de stops). Un outil normalisé que l’on filmerait une fois pour toutes et qui accompagnerait le film de la prise de vues à la projection de contrôle.

Une boîte à lumière avec un grand coin de Goldberg à mettre sous le visage de quelqu’un, par exemple.

Cela me semble d’autant plus nécessaire que l’on est amené à apprécier nos images dans des conditions fort différentes : moniteur sur le plateau, à la salle de montage, au labo numérique, en projection. Il y a de quoi perdre ses repères.